Centre communautaire du complexe paroissial Saint Antoire, Egg |
Dossier réalisé par Julien CORREIRA Le récent ouvrage analoge und altneue
architektur1 nous invite à revenir sur cette architecture riche en références,
entre ancien et nouveau que l’architecte zurichois miroslav Šik développe
depuis les années 1980. À cette époque, miroslav Šik participe à des concours
en Suisse, à paris et berlin. En parallèle, il commence à enseigner en tant
qu’assistant à l’EthZ au côté de Fabio Reinhart, ancien assistant d’aldo Rossi
dont il fut l’élève. Šik a développé à travers sa pratique d’architecte,
d’enseignant et de théoricien, une méthode en rapport avec l’analogie, l’usage
des références ou plus largement avec l’histoire. |
Parmi ses anciens étudiants on trouve des architectes comme andrea Deplazes, Valerio Olgiati, christian Kerez, quintus miller et paola maranta. La série d’interventions pour la paroisse Sankt antonius à Egg (1988 à 2002) permet une lecture transversale de l’œuvre de Šik éclairant sa position théorique et pédagogique.
La paroisse Sankt Antonius de Egg, une œuvre transversale de Šik:
Le projet réalisé à Egg entre 1988 et 1997 est considéré par André Bideau comme une version construite de l’Analoge Architektur2. De même, l’édification d’un presbytère, commencé en 1997 et achevé en 2002, peut être considérée comme une version construite de l’Altneu3. Le projet de Egg permet ainsi de comprendre la transition entre ces deux temps du travail de Šik. En 1921, une petite église en bois sombre et à nef simple fut construite dans le style traditionnel de la Suisse orientale par l’architecte Josef Löhlein, qui a demandé qu’elle soit dédiée à saint Antoine. L’intérieur et en particulier l’abside sont très ornés et décorés d’icônes et d’inscriptions dorées. En 1926, le pape Pie XI a offert une relique de saint Antoine aux pèlerins de Egg venus à Rome, ce qui a transformé l’église en haut lieu de pèlerinage régional. L’afflux croissant de pèlerins a nécessité une première extension en 1933, le chœur a été agrandi, une niche baptismale a été ajoutée, un grand clocher a été construit, et la façade d’entrée a connu quelques modifications. En 1939, une extension est opérée sur le côté gauche de l’église, dont la nouvelle aula, et augmente la capacité d’accueil. En 1988, Miroslav Šik remporte le concours pour une nouvelle extension de l’église. Les agrandissements proposés suivent les lignes de l’existant et s’accompagnent de la création d’une cour à l’arrière de la parcelle. Les études ont réellement commencé en 1991, et la première phase de travaux a démarré en 1994 par la construction du nouveau centre communautaire qui fut achevé en 1995. Il a permis d’accueillir les pèlerins durant la phase de rénovation de l’église, de 1995 à 1997. Le nouveau bâtiment se déploie à l’arrière de la parcelle, en contrebas d’un quartier résidentiel. Si la longueur du centre communautaire est deux fois supérieure à celle de l’église, cette nef ouverte sur toute sa périphérie reste discrète et assez basse sous son imposante toiture en pente. Les extrémités aux angles tronqués du nouveau centre communautaire font écho à l’univers formel existant que l’on retrouve dans l’abside et le baptistère de l’église, à la forme des plafonds, à certains linteaux de fenêtres et jusqu’aux tavaillons de bois aux angles biseautés. Le nouveau centre est une seconde nef évoquant l’Arche de Noé, et se compose selon deux axes de symétrie perpendiculaires. La partie nord accueille l’entrée et la salle commune, la partie sud est réservée à des pièces de service, bureaux et salles de réunion. La structure en bois lamellé-collé est visible et évoque la coque d’un navire retourné. Le dispositif spatial sobre est complété par le traitement du plafond et des murs en panneaux de bois plus clairs. À l’extérieur, on reconnaît l’approche que Šik a théorisée et enseignée sous le nom d’Analoge Architektur. Le principe est de travailler à partir d’une idée picturale pour produire une ambiance répondant à un contexte afin que les nouvelles parties se mêlent aux parties anciennes. La rénovation de l’église est visible mais il est difficile d’identifier les modifications apportées par l’architecte qui ne cherche pas à effacer le style et l’ornementation de l’église. Le sol de l’aula est abaissé au niveau de la nef principale. Afin d’améliorer la vue depuis l’aula, l’autel est rehaussé et l’ouverture vers le chœur est élargie. Ce projet a certainement accompagné l’évolution de l’Analoge Architektur vers une forme moins dogmatique, mais néanmoins emprunte d’expériences du quotidien, du lieu, et cherchant à partir d’atmosphères à produire un réalisme poétique. Šik continue de travailler pour la paroisse d’Egg sur le projet de presbytère livré en 2002. Ce bâtiment complète l’ensemble et délimite la cour construite en 1995 en dalles de granit et agrémentée d’un jeune chêne central. Le sous-sol semi-enterré regroupe les pièces de service. Le rez-de-chaussée surélevé est réservé à l’entrée, aux pièces communes et à une chapelle signalée par des ouvertures verticales étroites contrastant avec les larges baies qui rythment la façade. Le premier étage accueille quatre appartements. Les appartements de deux pièces occupent les angles. Ils sont distribués par un escalier central et un palier en U. La hauteur du volume de ce hall et l’apport de lumière zénithale théâtralisent le dispositif. L’usage de la tuile et des tavaillons de bois huilés rend difficile la datation du presbytère qui emprunte la forme d’une maison traditionnelle et semble paradoxalement plus ancien que le centre communautaire à l’écriture plus moderne. Šik réinvente les formes et les détails anciens et les mêle par exemple à l’émergence métallique et cubique de la cage d’escalier qui sort de la toiture. Deux bandeaux périphériques créent une casquette continue alignée sur les linteaux des deux niveaux, ces subtiles courbures du bardage mettant en valeur la tradition constructive locale. Le mélange des deux nouveaux bâtiments et de l’existant est parfaitement maîtrisé et fabrique un « ensemble » où règne une atmosphère de sérénité comme hors du temps. En 2012, Miroslav Šik a développé la notion d’« ensemble » dans l’exposition qu’il a dirigée pour le pavillon suisse de la Biennale de Venise. Pour l’occasion Šik, Miller & Maranta, ainsi que Knapkiewicz & Fickert ont chacun réalisé un collage mêlant leurs projets. Le résultat produit des atmosphères urbaines suisses imaginaires rappelant la fresque réalisée en 1973 par Arduino Cantàfora pour la Città analoga d’Aldo Rossi ; l’ambition de Šik était d’ailleurs clairement tournée vers la ville. Il appelle à un projet collectif sous forme de dialogue pour une fabrique urbaine aux variétés harmonieuses à petite échelle avec une qualité formelle qui reflète le contexte local4. Il est pour lui « impératif que nous réfléchissions à notre pratique en matière d’ensembles urbains et paysagers en nous appuyant sur la théorie et les références historiques et en les utilisant comme guide5 ». Après cette brève traversée des deux temps de l’œuvre de Šik, penchons-nous un moment sur son activité didactique à partir de la récente analyse de Lukas Imhof qui conclut trente années d’enseignement et donne un éclairage plus théorique sur le passage de l’Analoge à l’Altneue Architektur.
De l’analogue à L’Altneue architektur :
En
1987, lors d’une exposition de travaux d’étudiants accompagnée d’une
publication6, Miroslav Šik publie : « An die Seelenmaler7 »
(Au peintre d’âmes), un texte théorique à valeur de manifeste dans lequel il
affirme les grands principes de l’Analoge Architektur. Dans la première partie
: « Un monde lisible », Šik critique l’architecture qui nie l’histoire, il
défend au contraire une « architecture parlante analogue, qui par ses emprunts,
son réalisme, sa poésie, et son pluralisme de styles serait compréhensible et
donc lisible pour le plus grand nombre8 ». Dans la seconde partie : « Éclat sur
tout » ; on comprend que « le regard sensible de l’Analoge Architektur sur la
réalité a une visée éthique, esthétique et poétique10 ». Dans son texte, il
s’oppose fermement à l’attitude postmoderne qui fonctionnerait par citations ou
par imitations historicistes. De plus, il méprise une certaine conservation
figée du patrimoine et son manque d’interprétation semblable à l’armoire à
papillon pleine d’une odeur de formol11. Ceci n’est pas sans rappeler une
citation du roman Stiller, de
l’architecte et écrivain zurichois Max Frisch :
Qu’est-ce que la tradition ? À mon sens,
c’est s’attaquer aux tâches de son époque avec un courage égal à celui des
ancêtres s’attaquant aux tâches de leur temps. Tout le reste n’est
qu’imitation, momification, et s’ils considèrent leur patrie encore comme quelque
chose de vivant, pourquoi ne se défendent-ils pas quand la momification se
travestit en protection du patrimoine?
L’idée
développée par Frisch résonne avec la posture de Šik. Si ce dernier a
revendiqué une attitude de conservateur rebelle, il se défend de tout
conservatisme politique. D’autre part, la revendication d’un contextualisme et
l’intérêt pour l’Heimat, terme qui n’a pas de meilleure traduction française
que « patrie », et qui est donc intraduisible puisqu’il n’a rien à voir ici
avec le patriotisme voire le nationalisme. Pour le personnage de Stiller comme
pour Šik, il faut bien distinguer un rapport positif à la tradition qui n’a
rien à voir avec l’imitation ou la volonté de figer les choses dans un temps
suspendu. Dans la partie intitulée « Contre la tendance », Šik définit les
classiques en architecture et expose sa manière d’y faire référence :
Les classiques sont des architectures
vibrantes qui ont tant de visages qu’ils défient fièrement les ravages du
temps. Mais les classiques sont aussi des architectures dont la poésie permet
d’exprimer telle ou telle caractéristique de la tâche constructive de manière
plus intense et plus exigeante. […] Le mot magique du travail de composition
avec les classiques n’est pas copie et fidélité stylistique, mais
improvisation. […] Comme toute improvisation, l’improvisation classique
s’appuie éga lement
sur une base stylistique. […] Le bien, le beau et le vrai dans l’art vivent
hors du temps.
Pour
lui, cette démarche n’a rien d’élitiste, elle permet de s’extraire du temps
tout en s’intégrant dans le contexte d’une culture populaire plus que dans
celui d’une culture savante. On pourrait définir la démarche analogue par
l’emploi d’un système de références qu’il s’agit de mélanger, pour obtenir un
nouveau style plus assigné à aucun autre. Miroslav Šik conclut son texte
fondateur en enjoignant le lecteur à suivre ses principes : « Projetez des
classiques, un régionalisme, un art concret. Devenez des architectes analogues.
» Sans développer davantage le fondement de la didactique analogue de Šik,
comme le suggère Lukas Imhof, retenons que le but recherché était la congruence
entre les images d’ambiances proposées, l’ambiance requise par le programme et
la spécificité du lieu15. L’Analoge Architektur arrive à la fin d’un cycle
lorsque la chaire de Fabio Reinhart prend fin en 1991. Il est nommé professeur
à l’ETHZ en 1999, ses préoccupa tions se tournent alors davantage vers la
réalité de la construction. Si l’Analoge Architektur s’intéressait aux
atmosphères produites et aux références, les trois principes de l’Altneu sont
selon Imhof : la conception avec des images, le travail avec des références et
la simulation des conditions réelles de conception15. Dans cet enseignement le
projet fait consciemment appel à l’histoire mais avec une attitude
nécessairement désinvolte qui s’intéresse plus à la nouveauté du projet.
Miroslav Šik ne cherche pas le contraste dialectique de l’ancien et du nouveau
mais plutôt leur mélange en un ensemble harmonieux. Son rapport à la tradition
et le mélange d’ancien et de nouveau rappelle la proposition de Robert Venturi
: « Par l’implication dans la relativité de la perception et la relativité du
sens, les vieux clichés dans de nouveaux contextes atteignent des
significations riches qui sont ambiguës à la fois “ancien et nouveau” et “banal
et vivant”16.» Les idées de Venturi ont effectivement été réinterprétées en
leur temps par Šik, plus récemment les architectes Go Hasegawa, Kersten Geers
et David Van Severen ont utilisé cette même citation lorsqu’ils ont été amenés
à dialoguer ensemble sur le rapport qu’ils entretiennent avec l’histoire17. Ces
architectes produisent des œuvres très différentes de celle de Šik, mais si
l’on suit l’analyse de Pierre Chabard en conclusion de l’article
L’architecture contre l’histoire (p. 63), ils se rejoignent certainement par
leur volonté de reconnecter l’architecture avec les ressources du passé. On
trouve évidemment des différences entre les générations, dans les postures,
dans les réponses et c’est cela qu’il est intéressant de faire émerger, de
faire dialoguer, de comparer. L’Altneu de Šik, la
Non- Referential Architecture
d’Olgiati18, le Feeling of History de Zumthor19 et l’Apparent Banality d’Hasegawa, Geers et Van Severen20 donnent
matière à penser aujourd’hui, mais seule l’histoire finira par révéler ce
qu’elle retient du rapport que ces architectes entretiennent avec elle.
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