L'université a besoin de nous et nous avons besoin d'elle

Rédigé par Margot GUISLAIN
Publié le 14/06/2007

Dossier réalisé par Margot GUISLAIN
Dossier publié dans le d'A n°164  Entretien avec Nicolas Michelin, directeur de l’Ensa de Versailles*

d’a : De quels maux souffrent aujourd’hui les écoles d’architecture ?
Nicolas Michelin : Les écoles sont en bonne santé mais, de mon point de vue, elles manquent de professeurs habilités à faire de la recherche appliquée en architecture. Je veux dire directement liée au projet d’architecture. Car il existe déjà beaucoup de recherche fondamentale dans des disciplines autour de l’architecture.
À l’étranger, des professeurs peuvent obtenir cette habilitation, devant jury et sur présentation de travaux. Ils obtiennent alors un statut bien supérieur à celui que détiennent les enseignants français, qui se résume trop souvent à venir dispenser un savoir puis à repartir.
Sur ce modèle, on pourrait donc envisager la création de laboratoires de recherche et d’enseignement, où des professeurs, ainsi habilités, assistés de doctorants, initieraient des thèmes d’études autour du projet, comme le développement durable, l’hyperdensité, l’urbanisme des écoquartiers, le confort thermique, etc. Tout thème que les enseignants, directement liés à l’exercice du projet, relaieraient en atelier avec leurs étudiants.
Au bout de quelques années, on garderait la mémoire des travaux, on trierait, classerait, reformulerait et les matériaux ainsi cumulés feraient l’objet d’une publication sur le thème développé. De nouveaux écrits verraient ainsi le jour, venant contrebalancer les textes officiels du CSTB qui concentre aujourd’hui à lui seul toute la recherche appliquée en architecture. C’est le CSTB qui est à l’origine des normes ; pourquoi pas bientôt les écoles ?
Car il faut savoir que dans les écoles d’architecture, on parle aujourd’hui de struc-ture, de thermique, sans hésiter à remettre en cause les règlements... Bien sûr, le monde de la recherche se protège et les écoles restent malheureusement comme des « trous noirs », où de nombreuses réflexions autour du projet, pourtant très valables, restent sans suite. Une porte ouverte par-ci, un recueil de diplômes par-là ne suffisent pas à en faire profiter... Dans les universités d’architecture à l’étranger, si les professeurs invités ne produisent rien à partir de leurs recherches, ils sont priés de partir après quelques années.

d’a : Parlons justement du mode de recrutement et de la titularisation à vie des professeurs d’architecture…
N. M. : Le mode de recrutement est en effet critiquable avec un jury qui retient quelques candidats sur environ 200 dossiers reçus, puis choisit, après trente minutes d’audition, un professeur qui devient alors titulaire à vie.
En tant que directeur, je constate de toute façon un essoufflement évident de la plupart des enseignants au bout de trois ans. Certains professeurs installés de longue date n’effectuent même pas leurs heures. Et cet absentéisme souligne notre dilemme : avoir besoin d’enseignants qui pratiquent l’architecture mais qui, de ce fait, manquent de temps pour l’enseignement. Il faudrait quelques titulaires à vie, mais j’imagine surtout des « titulaires de projet Â» limités à trois ou six ans d’exercice continu.

d’a : Que vient apporter la réforme de l’enseignement ?
N. M. : La réforme est très bien, avec un cursus plus rapide, plus dense, mais il y manque un doctorat dans la discipline architecture établi en lien avec l’université. Car l’université a besoin de nous et nous avons besoin d’elle. Cela est vrai en architecture, et aussi en urbanisme. Les géographes formés en université manquent d’architectes et les masters d’urbanisme sont trop théoriques : on y parle d’infrastruc-ture, d’économie mais pas de projets. Or la particularité des architectes est de savoir faire du projet et il faut en faire profiter l’université. Il faudrait donc qu’il y ait des doctorats qui se développent à partir de la notion de projet d’architecture et non plus seulement à partir des sciences humaines, comme l’histoire et la sociologie. Enfin, nombre de thématiques, par exemple la requalification des grands ensembles, n’ont pas leur place dans les années d’études de l’école, le temps du projet (six mois) étant trop court pour les aborder sérieusement.

d’a : Quelle est votre position sur la HMONP, l’habilitation à exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre ?
N. M. : Pour être le signataire d’un projet d’architecture, l’ordre des architectes et
l’État ont estimé qu’il manquait aux diplômés des connaissances professionnelles liées à la mise en œuvre, comme les réglementations, les modes de passation des marchés, les contrats, etc. Beaucoup d’étudiants se sont alors mis à douter de leur diplôme, se demandant même s’ils pouvaient travailler en agence. Et la HMONP n’était pas non plus très claire à ce sujet.
En ce qui concerne l’école de Versailles, nous n’encourageons pas nos étudiants à passer cette habilitation dans l’année qui suit leur PFE, nous poussons tous nos élèves à partir travailler en agence, considérant qu’ils ont, au bout de cinq ans, toutes les capacités professionnelles à faire du projet. Et plutôt que de consacrer une sixième année entièrement à la HMONP, ils passent par la validation des acquis d’expérience (VAE) permettant tout autant de l’obtenir.

Entretien retranscrit par Margot Guislain


* Nicolas Michelin est architecte, urbaniste et directeur de l’école nationale supérieure d’architecture de Versailles.

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