Des jeux d’enfants installés sur une des « Platz » du bidonville. |
Dossier réalisé par Pascale JOFFROY Comment être architecte en bidonville, en France, quand les habitants sont expulsés plusieurs fois par an et que le qualificatif d’« indigne » est porté à tout-va sur leur fragile habitat ? Pour l’association « Système B, comme bidonville », la question engage, au-delà d’une réflexion sur la pratique de l’architecture, un travail de conception différent appuyé sur une économie de la pauvreté, sur le réemploi et la déstandardisation de la construction. Tenir compte du contexte signifie ici respecter au sens fort ces habitats de dépannage et tout ce qu’ils représentent pour ceux qui les construisent. |
Créée en 2015, l’association "Système B, comme bidonville" agit au sein des bidonvilles et défend ceux-ci comme une stratégie d’opportunité de ses habitants, en l’absence d’autres solutions. Officiellement, 20 000 personnes habitent dans des bidonvilles en France métropolitaine, un chiffre qui colle mal avec les 140 000 sans-abris comptabilisés par la Fondation Abbé Pierre ; 13 % des habitants de bidonville seraient de nationalité française, une proportion en augmentation.
La dignité du bidonville tient à son programme : un habitat autoconstruit par des populations vulnérables. Chacun y est bâtisseur de l’essentiel et construit de la façon la plus brute – et pour cela émouvante – ce qui correspond à ses besoins. Les occupants de terrains sont les victimes d’une politique impuissante à loger ou à héberger, qui cherche à cacher cette impuissance par l’expulsion et la destruction. Rompre le cycle infernal et illusoire de ces destructions est un des buts défendus par l’association.
Pour réfléchir et agir, le groupe pose l’immersion in situ comme source première de connaissance, d’inspiration et de projet : c’est sur place que l’on voit les gens vivre, habiter et construire. Dans un premier temps, un secteur d’action spécifique a été choisi, le Val Maubuée (Seine-et-Marne), où près de 800 personnes tentent de prendre racine et se réinstallent après chaque expulsion. Les décisions sont discutées avec les habitants, les constructions réalisées en leur présence et avec eux s’ils sont volontaires. L’idée n’est pas de construire à leur place, mais de compléter l’équipement individuel ou collectif qu’ils n’ont ni les moyens, ni la disponibilité ou le temps de construire. Ce peut être un lieu d’apprentissage collectif, des escaliers d’accès, des sanitaires, des cheminements contre la boue du sol, ou encore divers compléments aux baraques autoconstruites (l’isolation, par exemple). Autant que possible, l’aide se porte également sur le tissage de liens avec la ville, à commencer par des moments de convivialité, d’échanges de savoirs et de savoir-faire, dans le bidonville et hors de celui-ci.
Une autre approche du projet
Pour construire, l’association assume le contexte de temporalités écourtées par les expulsions (plusieurs par an) et travaille dans l’hyper-éphémère. Ce temps très court est intégré au processus de conception : le projet doit pouvoir être construit vite, démonté, récupéré ou déplacé. Le processus se veut proche du mode constructif des habitants : une économie de la pauvreté, des matériaux de réemploi, des bâtisseurs « non qualifiés ». Une autre approche du projet se dégage peu à peu, libérée d’une pensée du composant et de la régularité. Le chantier est un acte collectif où les principes généraux dessinés à la main s’ajustent pour tenir compte des matériaux collectés et des conditions de la construction. Bâtir soi-même apprend combien il faut d’énergie pour faire quelque chose et permet d’aborder de l’intérieur un processus de construction où la dépense est principalement physique. Construire en situation de grande pauvreté incite à inverser le processus habituel qui met l’argent sur l’achat (et le transport) de composants normés plutôt que sur la force de travail.
L’association, constituée principalement d’architectes bénévoles, s’impose une certaine discrétion pour ne pas exposer les habitants à une autre forme de violence symbolique. Elle s’efforce de ne pas leur jeter à la tête un prétendu savoir de « sachant », cherchant plutôt auprès des autoconstructeurs l’appel d’air d’un nouveau regard sur les questions que se pose l’architecture aujourd’hui : comment habite-t-on, construit-on, recycle-t-on dans ces conditions humaines difficiles, ici et ailleurs ?
Un habitat du devenir
Au-delà des chantiers, Système B met en place différents champs d’action à la frontière de l’informel et de l’institutionnel, pour tenter d’engager sous des formes tactiques d’autres devenirs pour le bidonville. Une collaboration s’est installée avec l’École d’architecture de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée, dont trois des cofondatrices de l’association sont issues. Un cours et un workshop de master « Bidonvilles et habitats précaires » y ont été créés, pour développer sur d’autres modes les mêmes réflexions et actions. Cette collaboration, repérée par le projet « Nouvelles richesses » du Pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise en 2016, porte d’abord une recherche commune : la façon d’intervenir dans un processus d’autoconstruction reconnu comme légitime, avec le rêve attaché depuis toujours aux habitats précaires : que ceux-ci ne soient pas seulement un lieu de survie, mais un tremplin vers le travail et l’habitat de droit commun. Ce regard suggère de penser autrement la ville et l’habitat de la frugalité, du temporaire et du fragile : la ville comme processus du devenir, et non pas seulement de l’établissement.
Légendes
L’accueil périscolaire
Pneu, bâche, Dibon, mobilier donné par Emmaüs ou bois de la forêt : les matériaux sont issus à 95 % de récupération.
Les enfants de ce bidonville ne sont pas scolarisés ! Dans l’attente, cet accueil périscolaire commandé par l’association Convivances a permis de préscolariser pendant six mois une cinquantaine d’enfants, avec un financement de la Région et deux emplois « d’instit’ » à mi-temps.
L’escalier d’accès
Les bidonvilles occupent des « rebuts » urbains souvent difficiles d’accès. L’escalier est installé sur un dangereux dénivelé en terre de 3 mètres.
Jeux d’enfants
Sur les ruines de l’accueil périscolaire dont la démolition a été imposée (« pas aux normes »).
WC pour dame
Bambou et bâche de récupération.
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N° 251 - Mars 2017
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