Structure d'étais de maçon et d'échelles d'aluminium utilisées comme arbalétriers, Festival Les Effusions, Eure |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER Yakafokon est un collectif d’architectes, de charpentiers, de plasticiens et de scénographes. Depuis deux ans, il participe au festival de théâtre Les effusions. Cet événement se tient sur l’île du Roi, entre deux bras de l’Eure, dans la commune de Val-de-Reuil. Yakafokon réalise les installations nécessaires au déroulement du festival et participe au montage des différentes scénographies. Trois de ses membres, Thibaut Terrier architecte, Étienne Chorain charpentier et William Bastard plasticien scénographe, reviennent sur cette expérience. |
D’a : Comment
vous êtes-vous rencontré et comment avez-vous eu l’idée de constituer ce
collectif ?
À la sortie de nos études ou de nos formations diverses, nous étions tous sensibles aux travaux de collectifs comme Bellastock, ETC ou Exyzt. Après ces années théoriques, nous étions désireux de nous lancer dans ce type d’aventure, de nous confronter aux questions de fabrication de notre cadre de vie, de continuer à apprendre en faisant. Nous étions déjà quelques-uns à avoir participé à l’édition 2016 des Effusions, en y construisant un bar et une cuisine avec les pièces d’une charpente que nous avions démontée. Ce moment a été l’occasion de rencontres qui se sont agrégées dans Yakafokon.
D’a : Qu’est-ce
que le festival des Effusions ?
L’île accueille
déjà un théâtre permanent, La Factorie, et une salle de répétition de danse, occupée
par la compagnie Beau Geste. Les deux bâtiments représentent un total de quatre
salles de représentation. À la fin de l’été, le site devient le lieu d’une
résidence de création, d’une durée de trois semaines, qui se conclut par Les
Effusions, festival d’un week-end. Cette résidence est organisée par le
collectif Les Bourlingueurs, qui réunit plusieurs compagnies de théâtre, de
musiciens et des associations comme Yakafokon. C’est un lieu d’échange entre
comédiens, techniciens, artistes, etc. Le principe est que tout le monde créé
quelque chose, à sa manière, dans son domaine. Même les cuisiniers expérimentent,
cette année nous avons mangé des légumes sous toutes leurs formes pendant trois
semaines !
D’a : Qu’est-ce
qu’apporte Yakafokon à la résidence ?
Nous avons une sorte de rôle de logisticiens
créatifs ! Nous élaborons la mise en scène du site, pour l’aspect
plastique et graphique, et mettons en place les structures d’accueil des
résidents et des festivaliers comme les sanitaires, les bars ainsi que la base vie,
qui abrite la cantine et sa cuisine. C’est le lieu où tout le monde se retrouve
et échange pendant les repas. Bien entendu, il n’était pas question de louer un
barnum, l’idée était bien de faire une création architecturale. Il aurait sans
doute été plus économique de louer des structures standard à une boîte
d’organisation d’événements, mais ce n’est pas l’esprit de la résidence. Lors
de l’édition 2016, nous souhaitions faire une démonstration de construction
avec des matériaux de récupération. Nous avions repéré sur Le Bon Coin une
annonce d’offre de matériaux à qui viendrait démonter un vieux bâtiment Ã
charpente bois. Nous avons donc passé quelques jours à déconstruire ce vieux
hangar pour en récupérer les matériaux, notamment les bois de charpente, avec
une équipe de dix personnes. Une partie des matériaux a servi à fabriquer le
bar et la cuisine de 2016. C’était un va-et-vient intéressant entre nos
dessins, nos idées initiales et les matériaux disponibles, mais aussi, surtout,
avec les possibilités de mise en œuvre, en fonction de notre outillage et de
nos moyens de levage. On apprend vite que les choses ont un poids et qu’elles
ne se manipulent pas avec la même facilité au sol ou en hauteur.
D’a : Pourquoi
n’avez-vous pas renouvelé l’expérience cette année ?
Le réemploi est un sujet très attrayant, mais il est encore
difficile de se procurer tous les matériaux nécessaires à un projet, dans un
temps donné, et dans une aire géographique acceptable. Il n’existe pas de
filière de réemploi, pas de stock disponible chez les démolisseurs, et nous ne
pouvons procéder que par opportunité, ce qui limite les possibilités. C’est une
chose à laquelle nous réfléchissons par ailleurs, mais en 2016 nous avions dû
acheter pas mal de choses pour compléter notre trésor. Cette année nous avons
voulu essayer de construire cette cantine avec du matériel de chantier qui,
d’outil, deviendrait éléments de construction. Cela nous intéresse de
travailler ce genre de ready-made à partir d’échelles, d’étais, de sangles de
transport, etc. Notre objectif était de ne rien transformer, de laisser les
matériels ou les matériaux dans leur état initial. Nous avons aussi utilisé des
bastaings de coffrage, utilisés dans leur longueur du commerce, sans découpe [A5_1
et 8]. L’idée était d’imaginer une construction totalement réversible, comme
une sorte de stockage provisoire, où aucun élément n’est dégradé ou modifié et
peut donc être réutilisé autrement, plus tard. On voulait voir ce qu’on pouvait
faire avec cette idée.
D’a : Tout cela
est-il construit in situ ?
Pas tout à fait, avec l’expérience de l’an passé, nous
avons préféré faire un montage à blanc, avec les étais à leur hauteur minimale,
dans un hangar que nous a prêté la mairie de Val-de-Reuil. Une fois que nous
maîtrisions notre sujet, nous l’avons acheminé sur l’île pour le monter, grâce
au garagiste du coin qui nous a aidés avec son camion et sa petite grue
hydraulique.
Nous avons aussi remonté la structure du bar de l’an
dernier, en la transformant pour en faire deux. La toiture a été revue :
des tubes d’électricien assemblés en croisée d’ogives couvertes par des restes
de bâches de l’année passée pour l’une, tandis que l’autre a été couverte sur
le même principe que la toiture de la base vie. Petit à petit, nous complétons
les installations du festival en essayant de les améliorer d’une année sur
l’autre et, surtout, de s’offrir un temps d’expérimentation.
C’est intéressant comme l’ambiance des festivals favorise
l’entraide et les solidarités entre les gens qui n’étaient pas supposés se
rencontrer. Nous devons une fière chandelle à José et son camion, surtout pour
le démontage le jour d’après, quand la dynamique n’y est plus !
D’a : Un
festival, c’est une manifestation qui reçoit beaucoup de public, comment
avez-vous abordé la question de la sécurité de votre construction ?
Les Bourlingueurs, organisateurs de la résidence, avaient
engagé un directeur technique, Damien Gallot, qui connaît bien la sécurité des
événements festivaliers. Sa connaissance des arcanes de la réglementation et
des démarches administratives nous a été très précieuse. Nous avons dû, par
exemple, produire une note de calcul qui garantissait la stabilité de notre
construction. Ici encore, l’entraide du collectif a fonctionné, un ami
ingénieur a travaillé avec nous sur le sujet. Ce qui est intéressant, c’est que
ce que nous voyons au départ comme une contrainte s’est avéré une aide
précieuse : par excès de prudence, nous avions prévu des choses inutiles
comme des croix de contreventement en trop. Cette étude de structure nous a
permis de simplifier la construction et d’alléger nos tâches de chantier. Ce
directeur technique nous a aussi permis d’anticiper les demandes des pompiers
et de la préfecture. Il y avait en outre un bureau de contrôle spécialisé dans
les structures éphémères qui nous a beaucoup aidés dans ce sens. C’est
étonnant, mais des gens qu’on imagine a priori être des censeurs se sont avérés
être des facilitateurs. À la fin, lorsque les pompiers sont venus contrôler nos
installations avant l’autorisation d’ouverture au public, ils nous ont juste
dit : « Pas mal, ça tient bien ! » Le point sur lequel ils
ont été les plus vigilants était le matériel de cuisine professionnelle que nous
avions racheté d’occasion sans forcément en connaître toutes les
caractéristiques. Nous avons appris que les pompiers se méfient des friteuses
plus que des charpentes !
D’a : Quels sont
vos projets pour 2018 ?
Sur les deux dernières éditions, nous nous sommes fait plaisir, mais nous nous sommes aussi épuisés ! Nous avons appris qu’on sort forcément un peu exsangue de ce genre d’expérience. Les structures que nous avons fabriquées nous ont demandé des investissements qu’il nous faut d’abord amortir si nous voulons pouvoir rebondir sur autre chose. Toutefois, le festival a été un vrai succès avec plus de 700 entrées vendues en un week-end, au-delà de la capacité d’accueil des différentes salles. Nous réfléchissons donc à fabriquer une scène extérieure, voire une scène flottante, sur l’Eure. Nous aimerions pouvoir partager cette bulle d’expérimentation avec d’autres personnes qui souhaiteraient se confronter au travail de la matière et à l’élaboration d’une création de groupe.
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