Les architectures technocritiques - WikiHouse , digital Do it yourself (6/6)

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 03/04/2018

Prototype de WikiHouse d'Aukland, améliorée pour résister aux risques sismiques

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°261

Les WikiHouses sont de petites maisons faites de panneaux de bois contreplaqué, assemblés sans clou ni colle ni vis, à fabriquer soi-même. Né en Grande-Bretagne en 2011, ce projet coopératif international permet à une communauté de makers d’échanger et de développer des modèles de maisons, sur une plateforme numérique. La conception de ces mini-architectures est fondée sur le logiciel libre SketchUp, à partir d’éléments plats découpés dans des plaques de contreplaqué de 18 mm d’épaisseur. Leur fabrication requiert une fraiseuse numérique pour la découpe, puis un simple maillet pour le montage des éléments. Toutes les parties s’assemblent par des liaisons astucieuses bois-bois, comme les tenons-mortaises et/ou les clavetages.

Leur mode constructif est assez proche du balloon frame américain, fait de cadres répétitifs qui décomposent le volume en tranches, selon un entraxe court. Cette charpente est ensuite recouverte de panneaux entiers du même matériau, qui contreventent le volume. D’autres développements en cours essayent avec les mêmes techniques de fabriquer l’enveloppe, les portes et les fenêtres. Ses auteurs revendiquent le principe de simplicité et d’accessibilité à tous ; ces maisons doivent pouvoir se fabriquer et se monter aussi simplement qu’un meuble IKEA. Mais tandis que cette analogie au géant suédois du meuble fait référence à une production industrielle massive, écologiquement et socialement critiquable, WikiHouse s’inspire des théories de Jeremy Rifkin sur les Collaborative Commons, pour promouvoir de nouvelles conditions de production open source. Ces structures sociales alternatives regrouperaient, selon Rifkin, l’ensemble des actions menées par des communautés solidaires pour s’affranchir de l’économie de marché qui rend ses membres captifs, pour lui substituer une économie du partage. Cette innovation sociale repose sur deux réalités nouvelles : la première est celle des réseaux sociaux d’Internet, qui peuvent diffuser la connaissance et les savoir-faire librement ; la seconde est l’émergence des FabLab, c’est-à-dire d’ateliers coopératifs de quartier qui mettent un outillage numérique et une assistance à disposition des personnes qui souhaitent développer leur projet. Comme un mantra, WikiHouse affirme : « We believe this could herald in a new industrial revolution […]. The factory of the future will be everywhere and the designer will be everyone. Â»

 

Le constat de départ des initiateurs de WikiHouse est le coût jugé exorbitant d’une maison conçue par des architectes et réalisée par des entrepreneurs, selon des procédés conventionnels. Leur pari est qu’une conception simple et libre de droits, associée à un mode constructif accessible à tous, devrait permettre de construire soi-même sa propre maison, sans compétence particulière autre qu’une appétence pour le « faire Â». Depuis son origine en 2011 à Londres, le projet s’est développé rapidement un peu partout dans le monde, sous forme de communautés locales en réseau. Cette première période de WikiHouse qui se poursuit jusqu’en 2016 a vu naître une bonne douzaine de prototypes variés, en Grande-Bretagne, Corée du Sud, France, Italie, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou encore au Brésil. Cette série de prototypes offre l’occasion d’observer les incrémentations successives d’une expérimentation partagée au fur et à mesure des difficultés rencontrées et témoigne de l’efficacité d’un dispositif horizontal fondé sur le crowdsourcing et l’échange libre et gratuit1. Cette expérience a permis de mettre au point les dispositifs constructifs, en même temps qu’elle en révélait les limites techniques et économiques. Mais elle a aussi montré sa capacité remarquable à solliciter l’imagination et l’innovation, par comparaison avec l’organisation très séquentielle de la maîtrise d’œuvre conventionnelle qui paraît alors bien lourde.

 

À l’origine, les échanges passaient via un cloud en forme d’auberge espagnole numérique, associé à un forum de discussions sur le site internet de WikiHouse. Assez logiquement, des questions d’ordre juridique sont apparues, concernant notamment la propriété intellectuelle de ces conceptions open source. Les WikiHouses sont désormais protégées par les licences Creative Commons, qui offrent un cadre légal à la propriété intellectuelle pour le monde de l’open source. Ces licences gèrent sous différentes formes les conditions d’attribution, de modification et de commercialisation de l’œuvre. Par exemple, une personne peut utiliser un modèle existant et l’améliorer, mais cette nouvelle version devra à son tour être remise à disposition de tous, sous les mêmes conditions de licence. Toutefois, le projet s’est aussi confronté aux problèmes de la responsabilité du concepteur, épineuse question que les architectes connaissent bien. De ce point de vue, il est difficile de mettre en ligne les fichiers de conception d’une maison, à disposition de personnes non compétentes, sans courir le risque d’être recherché en responsabilités en cas d’accident. Pour cette raison, le réseau WikiHouse, initialement très libre, s’est peu à peu refermé pour ne rendre disponible que quelques modèles déjà construits et vérifiés par des organismes de contrôle, avec des conditions d’accès plus restrictives. Mais le projet aura eu l’intérêt de faire émerger des pratiques originales et dynamiques, fondé sur un continuum numérique de la conception à la fabrication, en marge des pratiques conventionnelles de l’économie de marché dans laquelle elle s’inscrit. Il invite aussi à réfléchir au rôle de l’architecte et à ses attributions dans ce nouveau contexte de conception et de production numériques, libres de droits.

 

 

 

1. Stéphane Berthier, « WikiHouse, la troisième révolution industrielle à l’épreuve du réel Â», Criticat n° 18, automne 2016.

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