Comment les architectes s’organisent-ils face à la complexité croissante de la gestion des projets, avec notamment la multiplication des pièces écrites ? La simplification administrative tant promise allège-t-elle vraiment les procédures ? |
Hexakosioihexekontahexaphobie (peur du nombre 666), borbophobie (peur des gargouillis)…, les phobies étant nombreuses. Thomas Thévenoud, éphémère secrétaire d’État au Commerce extérieur, avait justifié par une « phobie administrative » ses errements fiscaux. L’« administrativophobie » n’a en fait aucune réalité scientifique ou médicale, mais le chantier de la simplification administrative en cours depuis des années devrait inciter l’Université à y réfléchir car elle entraîne à court terme d’innombrables complications. Celles-ci s’ajoutent à la multiplication des démarches et des procédures liées à l’évolution constante de textes réglementaires et législatifs qui se surajoutent dans la gestion des projets architecturaux. Certains frisent le burn-out et chacun finit par s’adapter en dénonçant d’innombrables dysfonctionnements et une inflation de tâches annexes dont l’utilité reste à démontrer alors qu’elle pénalise le temps voué à l’exercice d’un métier.
Avant d’approfondir dans de prochains d’a certains de ces sujets, commençons par observer comment les architectes et leurs responsables administratifs abordent ladite « simplification » et la montée en puissance de pièces écrites en tout genre.
« Nos CCTP effarent nos aînés ! »
Diplômé en 2004 et lauréat des NAJA en 2008, Pierre Audat débute en 2007 et fonde en 2016 une SARL après un exercice libéral. Dans cette petite structure représentative du tissu des agences d’architecture à la française, une personne à plein temps traite la gestion administrative courante, celle relevant de paramètres plus complexes l’étant par lui. Évoquant comme tant d’autres la lourdeur liée à une inflation de documents administratifs et de procédures, il évoque les permis de construire : « Au vu de nos CCTP, les architectes octogénaires qui sont nos aînés sont effarés ! Il y a vingt ans, le dossier d’instruction du permis d’un immeuble de bureaux de 16 000 m2 comptait dix à quinze fois moins de pièces écrites que celui aujourd’hui requis pour un bâtiment de 4 000 m2. L’évolution des normes RT2012 ou BBC accentue ce phénomène avec l’importance croissante du nombre de bureaux d’études intervenant sur un projet. Pour construire les maisons livrées il y a dix ans, j’aurais aujourd’hui deux fois plus de documents administratifs à fournir. »
Juriste au Conseil régional de l’Ordre des architectes Midi-Pyrénées, Laurence Turridano, très consultée par les architectes sur ces points, confirme : « Bien que le Code de l’urbanisme limite le nombre de pièces à fournir, les services instructeurs veulent fréquemment des pièces complémentaires par précaution. Au-delà de la complexification des dossiers qu’entraînent des évolutions légales (volet paysager, état du sol, attestations thermiques), cette surabondance de demandes ajoute de la complexité à la complexité, même si l’on peut comprendre les précautions prises par des services instructeurs eux-mêmes en butte à la complexité des procédures. » L’évolution législative ayant une incidence sur la rédaction des contrats, elle revient sur les textes qui protègent les consommateurs et rappelle aux architectes de ne jamais négliger certains écrits. Il en faut désormais un pour prouver qu’ils ont exercé leur devoir de conseil auprès d’un maître d’ouvrage privé. Elle leur conseille aussi de bien rédiger leurs contrats sur trois points : le droit de rétractation du client dans le cas d’une commande de maison individuelle, lorsqu’un contrat est signé hors établissement, ou si des clauses suspensives peuvent intervenir quand leur client sollicite un prêt1.
La paperasse remplace la confiance
« La confiance n’étant plus une valeur communément partagée, poursuit Pierre Audat, tout le monde – banques, assurances, maîtres d’ouvrage – juge sécurisant de multiplier les écrits, d’où une inflation de paperasse ahurissante pour prendre des garanties plus ou moins justifiées qui renforcent encore le poids des aspects juridiques. Un contrat simple en apparence peut demander trois mois d’études avant d’être signé par le biais d’un cabinet d’avocats ! » Mais cette surenchère juridique qui dope la rentabilité des cabinets d’avocats appelés à la rescousse n’est pas elle-même contre-productive ? Les avocats eux-mêmes tendent à le laisser accroire. Au sein de leur profession, beaucoup dénoncent la croissance pléthorique de textes souvent contradictoires qui leur impose une veille juridique de plus en plus assidue pour bien organiser la défense de leurs clients ou répondre à leurs adversaires. Quand on connaît les aléas et les lenteurs de procédures judiciaires à rebondissement, on peut s’en inquiéter.
Face aux lois et aux procédures ajoutées aux anciennes, Daniel Seddiki, du cabinet de gestion Fages Conseil, va jusqu’à parler de « choc de complexité », surpris qu’aucun candidat à la présidentielle n’évoque la simplification administrative qui doit pourtant devenir une réelle priorité. Pour lui, cette idée tant vantée par nos gouvernants vise en réalité à réduire les effectifs administratifs en renvoyant la tâche sur les entreprises. « Si envoyer un mail pour faire une déclaration est simple, cela nécessite une préparation complexe, précise-t-il. Obligatoire depuis janvier 2017, la DSN (déclaration sociale nominative), qui consiste à envoyer des fichiers informatiques aux organismes sociaux, prépare en fait la retenue des impôts à la source. Elle a nécessité une formation interne dans tous les cabinets de gestion. La retenue à la source risque d’ailleurs d’être aussi une usine à gaz, car le droit fiscal français – qui intègre beaucoup de catégories de revenus et de variations des périodes d’exonération et des plafonds d’abattement – est l’un des plus complexes. » Et d’ajouter que « l’architecte étant incapable d’affronter seul l’évolution des procédures, dès qu’elles atteignent quatre personnes, les agences s’interrogent sur la nécessité d’embaucher ou non une assistante administrative. La première difficulté porte sur la gestion des relations humaines et sociales, la seconde sur celle des notes d’honoraires et des candidatures ».
Comme les quatre jeunes associés d’Orma Architettura, SAS créée en 2014 ont-ils abordé ces questions à leurs débuts ? « Monter une agence n’est pas simple, explique Michel de Rocca Serra. Fort heureusement, gérer l’architecture est la première préoccupation lorsqu’on débute, car l’on n’a pas encore conscience des difficultés administratives qui pourraient décourager. À quatre, nous nous sommes, depuis, réparti les tâches et les déclarations diverses, relayés par un expert-comptable et un consultant extérieur. »
La dématérialisation, ses hics et ses atouts
« Aux dépens du temps consacré au dessin, nous faisons maintenant une partie du travail des administrations qui n’envoient plus systématiquement des avis de paiement écrits, d’où une vigilance dans le respect du calendrier des échéances pour éviter des pénalités », poursuit Pierre Audat. Et de fait, dans le joyeux casse-tête des procédures dématérialisées, DUCS, DSN, virements Sepa et autres réservent leur lot de surprises. Depuis 2015, les employeurs doivent ainsi effectuer par voie dématérialisée leur déclaration à l’Urssaf, à l’assurance chômage, aux caisses de retraite et de prévoyance et à Pôle Emploi via la DUCS (déclaration unifiée de cotisations sociales), les appels de cotisation papier n’existant plus. Pour que le prélèvement des cotisations soit effectué, chaque d’entreprise devait adresser une fois pour toutes à sa banque et à chaque organisme une autorisation de virement SEPA, réputé « harmonisé au niveau européen ». Mais cette dernière pose semble-t-il problème aux banques françaises, le système informatique rejetant parfois ces virements bien que les comptes des professionnels soient approvisionnés, ce qui les menace de pénalités de retard. « Cette mésaventure étant arrivée trois fois de suite avec l’Urssaf, notre expert-comptable a fini par régler le problème avec la banque », dit Michel de Rocca Serra. Rectifier ces bévues demande une énergie décuplée car la généralisation prochaine de la DSN prohibera les rares paiements par chèque encore possibles pour pallier les dysfonctionnements.
« Entre les préventionnistes, les AMO et les BET en tout genre, le coordinateur SPS, la direction de chantier, nous avons sur chaque affaire de multiples interlocuteurs et tous les échanges écrits qui vont avec car la dématérialisation se double d’un invraisemblable lot de pièces écrites », indique Élisabeth Naud, de l’agence Naud et Poux. « Grâce à l’informatique, la tâche administrative s’est néanmoins affinée. Chaque architecte assure sa part de secrétariat, Chantal Daudon, notre assistante de direction, étant essentielle pour ce qui relève de la responsabilité administrative de l’agence, notamment la précomptabilité et les candidatures. » Férue de procédures dématérialisée, cette dernière estime qu’une fois passée la phase de mise en place, celles-ci simplifient globalement la tâche, notamment pour les candidatures. Le plus complexe restant la gestion des contrats, où les avocats sont de plus en plus impliqués. Certains architectes renoncent tout bonnement à répondre aux demandes de candidatures dématérialisées, bien qu’elles risquent comme le reste de devenir obligatoires. Les plus jeunes eux-mêmes sont critiques. « Quand il faudra y passer, nous consacrerons du temps à cet apprentissage avec nostalgie, car nous avons toujours travaillé de façon traditionnelle, tant pour les candidatures que pour les permis de construire », dit Michel de Rocca Serra. Il défend « la matière papier pour les candidatures et les rendus de projet, car le papier permet de personnaliser une candidature et un rendu et de mieux communiquer son univers et son approche d’un contexte ».
Courage !
D’autres usines à gaz comme le document unique de marché européen (DUME2), que fort heureusement beaucoup négligent encore – y compris les maîtres d’ouvrage qui n’y comprennent pas grand-chose –, s’annoncent. À titre récréatif, proposons aux architectes de découvrir le databook d’expertise-comptable de l’application Small Business Act3. Conçue par des entrepreneurs, elle propose aux TPE (très petits entrepreneurs) de visualiser au quotidien leurs flux bancaires et leur trésorerie : entrées, sorties, factures en instance avec une lettre de relance dématérialisée toute prête à envoyer s’ils le souhaitent.
1.www.architectes.org/annexesspecifiques-necessaires-lorsque-le-client-recours-un-pret-les-annexes-scrivener
2.www.marche-public.fr/contrats-publics/DUME-publication-JOUE.htm
3. www.smallbusinessact.com/blog
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N° 253 - Mai 2017
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