Revenant sur les origines de l’architecture et le sens du terme « édifier », Rémy Butler commence par définir ce dernier ainsi : « Toute construction n’est pas un édifice. L’édifice est une construction importante par sa taille ou sa signification. Le mot signification a ici toute sa valeur : c’est lui qui ouvre le champ à la pensée symbolique et à la pratique artistique. À la différence des constructions, l’édifice fait signe1. » Après qu’il a montré en quoi l’architecture n’est pas un langage, souligner combien elle fait signe est pourtant la clef pour comprendre comment elle assume des enjeux de sens. Quand elle rencontre des situations dans lesquelles l’être humain interroge sa propre présence sur terre, c’est en ménageant par la géométrie la manière dont il se tient en ce lieu qu’elle le dispose à construire un sens à son expérience individuelle. Ces enjeux – qu’une seule ambiance apaisante ne suffit pas à embrasser – impliquent que la dimension sensible entre en cohérence avec les représentations intellectuelles qu’une société se fait de tel événement et des dispositions particulières du lieu où il est amené à prendre place. Après cette importante remarque liminaire, l’auteur écartant l’origine constructive de l’architecture défendue au XVIIIe siècle montre en quoi celle-ci vise d’abord à échapper au passage du temps, à inscrire dans une pérennité, une durée, la présence fragile des hommes, soit comme promesse d’un lendemain – c’est la lecture qu’il fait des greniers –, soit comme mémoire et c’est là le rôle de la tombe. Rejoignant ici Loos2, cette origine funéraire, au-delà de la dimension sacrée, ramène l’architecture à cette réalité, elle est un art du temps. Le sens même du terme « monument » y renvoie : « En français, le sens originel du terme est celui du latin monumentum, lui-même dérivé de montre (avertir, rappeler), ce qui interpelle la mémoire3. »
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1. Rémy Butler, Réflexion sur la question architecturale, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 18.
2. Adolf Loos, « Architecture », 1910, in Ornement et crime, Paris, Rivages, 2003, pp. 77-94.
3. Françoise Choay, L’Allégorie du patrimoine, Paris, Le Seuil, 1992, p. 14.