L'ENSA Paris Val-de-Seine livrée cet été - Frédéric Borel, architecte |
Dossier réalisé par Emmanuel CAILLE Entretien avec Jean Gautier, directeur, chargé de l'architecture au ministère de la culture |
d’a : La profession d’architecte offrira-t-elle des débouchés pour les 1 500 étudiants qui sortent diplômés des écoles françaises chaque année ?
Jean Gautier : Oui, sans aucun doute. C’est déjà le cas aujourd’hui et les conditions démographiques que connaît la France ne peuvent que favoriser ces débouchés. Onze milliards d’euros seront engagés par l’Agence nationale de rénovation urbaine au cours des six prochaines années en matière de construction de logements. À titre d’exemple, 49 000 logements doivent être construits dans les Alpes-Maritimes et 150 000 autres dans les Bouches-du-Rhône ! Il y a donc un vrai besoin d’architectes en France. Par ailleurs, dans les dix années qui viennent, des millions de nos concitoyens risquent de devenir des personnes âgées dépendantes. Si des constructions adaptées commencent très souvent à voir le jour, il y aura aussi une mise à niveau de logements anciens et cela fera appel aux compétences des architectes.
d’a : Les professionnels se plaignent souvent que les étudiants sortent mal formés des écoles. Comment pourrait-on y remédier ?
J. G. : Par mes précédentes fonctions de directeur de l’Architecture de la Ville de Paris puis des Affaires culturelles, de 1993 à 2001, j’ai été le cocontractant d’un grand nombre de maîtres d’œuvre. Je constate, contrairement à ce que l’on entend trop souvent, un niveau général encore meilleur par rapport à une quinzaine d’années. Un débat à ce sujet a eu lieu lors de la réunion des Grands Prix d’architecture. Certains ont dit que le niveau est très faible. D’autres ont exprimé une opinion radicalement opposée. C’est un débat naturel mais dont le côté pessimiste, je crois, ne traduit pas la réalité. Il y a un œil de la profession sur elle-même que je trouve particulièrement sévère et c’est quelque chose que l’on ne retrouve pas dans d’autres professions. La sélection d’entrée dans les écoles nationales supérieures d’architecture, compte tenu du nombre croissant de demandes, est plus rigoureuse qu’on ne le pense et permet de retenir les candidatures les plus motivées ou jugées les meilleures : on prend environ un candidat sur sept !
d’a : À l’étranger, contrairement à la France, les enseignants sont rarement titularisés à vie mais sont nommés pour trois ou cinq ans sur un projet précis qu’ils sont tenus de publier afin de postuler à nouveau. N’est-ce pas une situation plus « productive » ?
J. G. : Peut-on monter un système de contrats à moyen terme, d’une durée de cinq ou six ans ? L’Europe a répondu à ce besoin de souplesse par le système des associés mais il n’est pas possible de fonctionner, ni dans les écoles françaises, ni dans les facultés européennes, avec simplement des visitings ou des professeurs invités. Notre système a recours aux professeurs associés, qui viennent par exemple pour un semestre, afin d’introduire une nouvelle pédagogie. Ce système d’associés permet de solliciter des « pointures » ou des architectes ayant expérimenté un champ particulier... Mais pour encadrer la totalité des
20 000 étudiants au niveau de l’atelier de projets, le cœur de l’enseignement de l’architecture, il est nécessaire de recruter des enseignants capables de dispenser, régulièrement, un certain nombre d’heures par semaine.
d’a : Où en est-on du « D » de la réforme LMD ? Croyez-vous en la génération spontanée de docteurs en architecture ?
J. G. : L’enjeu est très important : il y a dans la profession l’idée que la réforme LMD diluera les écoles d’architecture dans l’enseignement universitaire. Tout cela se polarise autour du doctorat. Or nous
défendons un doctorat spécifique à l’architecture. Sa spécificité sera visible au sein de l’enseignement supérieur et correspond à celle des écoles. Des intitulés précis rendront compte des thématiques des différents laboratoires autour du projet ou de la réflexion sur les espaces par exemple.
Il y a en réalité un double aspect dans cette ambition : un aspect institutionnel et un aspect de fond. Comment étoffer par le biais d’un bon encadrement la pertinence et la singularité des doctorats en architecture ? Sur l’aspect institutionnel, la première « vic-toire », c’est le décret LMD 2005 puisque, pour la première fois, le « doctorat en architecture » a été reconnu en tant que discipline spécifique et non plus comme le fruit de disciplines connexes comme l’histoire, les sciences sociales, etc. C’est néanmoins grâce à ces disciplines que la valeur scientifique des productions des écoles d’architecture est reconnue depuis trente ans. Par ailleurs, l’arrêté d’août 2006 (Ndlr, arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale NOR : MENS0602083A) de l’enseignement supérieur modifie la carte des écoles doctorales et envisage un regroupement des laboratoires
de recherche. Pour la mise en place de ce doctorat, deux formules sont envisagées : la
co-accréditation et l’association. L’objectif est qu’à moyen terme et en fonction des capacités scientifiques des écoles, un tiers d’entre elles soient co-accréditées (environ six ou sept écoles) avec des universités au sein d’écoles doctorales, et un deuxième tiers associées. L’enseignement des praticiens ne devra pas être de type universitaire classique mais davantage axé sur la recherche inhérente à leur pratique. Les anciens doctorats dans d’autres champs disciplinaires continueront évidemment d’exister.
Il faudra ensuite, au niveau du recrutement et de l’encadrement, favoriser des enseignants susceptibles d’orienter des problématiques scientifiques directement liées au projet.
d’a : en quoi la réforme peut-elle modifier la pédagogie des écoles ?
J. G. : Elle a introduit d’abord de nouveaux enseignements obligatoires dans des domaines d’intervention importants pour l’architecte, le projet urbain, la réhabilitation, l’accessibilité... Elle induit par ailleurs un rythme différent de l’enseignement avec la semestrialisation qui permet d’envisager plus d’innovation pédagogique et le développement des workshops, des séminaires, des studios intensifs comme le pratiquent déjà certaines écoles, ou simplement des cours plus resserrés sur un semestre plutôt que sur deux. Concentrer les interventions ou les talents et compétences particuliers de certains architectes en raison du champ de leur production permettrait de réduire un mode d’intervention linéaire. Le LMD accorde cette souplesse du fait de la semestrialisation, tout en assurant un plus grand encadrement. La réforme inscrit également la mobilité des étudiants comme un élément de pédagogie.
d’a : Beaucoup dénoncent l’absentéisme de certains enseignants de projet, souvent des praticiens, générant une forme de laxisme dans les écoles. Est-ce quelque chose qui vous préoccupe ?
J. G. : L’absentéisme est relativement minoritaire mais cela a un effet délétère parce que c’est assez visible. L’inspection du ministère de la Culture et de la Communication avait mené une enquête révélant que cet absentéisme pouvait concerner 10 % de tout le corps enseignant, en tenant compte des congés maladie ou maternité. L’absentéisme, quand il est injustifié, doit continuer à être combattu avec fermeté. La critique est souvent formulée à l’encontre d’architectes praticiens enseignants. Pourtant leur titularisation non seulement n’est pas un problème en soi mais garantit aussi leur présence dans l’enseignement du projet. Leur titularisation relève de la responsabilité du jury qui les juge aptes à exercer leur fonction. Ils savent bien, au départ, quelles seront leur rémunération et leurs obligations de service. Ils exercent et remplissent leur fonction et s’ils
ne répondent pas à leurs obligations, c’est à l’État de leur rappeler leurs responsabilités. Mais il existe également des éléments de souplesse dans l’enseignement avec les possi-
bilités de temps partiels.
d’a : Les jurys sont souvent constitués de membres moins compétents que les impétrants. Est-ce normal ?
J. G. : Combien de fois, dans la profession, entendons-nous des critiques très dures sur l’endogamie des écoles et sur le corps enseignant qui serait coupé de la pratique ! De même, celui-ci a une relation parfois conflictuelle avec la profession. Notre rôle est d’assurer la meilleure formation possible en promouvant un cursus qui apporte une culture générale suffisante en matière d’architecture et qui, en même temps, fournisse les
instruments pratiques de l’art de construire. C’est une tension qui existe et nous la vivons sans arrêt. En tout état de cause, pour moi, l’enseignement de l’architecture doit rester spécifique et être au contact des praticiens. C’est capital.
Pour la titularisation dans le corps des professeurs, il faut en principe, comme à l’université, un diplôme de HDR. Celui-ci, pas plus que le doctorat en architecture nécessaire également, n’avait cours jusqu’à présent puisque c’est une reconnaissance du décret de 2005. Mais des équivalences existent pour se présenter aux concours et pour ce qui concerne les jurys des professeurs dans le champ du projet, leurs membres sont systématiquement professeurs ou, pour les personnalités extérieures, des architectes praticiens libéraux, par exemple qui n’enseignent pas dans les écoles mais dont la qualité de la production ou leur reconnaissance légitime leur participation au recrutement (Grand Prix de l’architecture, Naja...)
d’a : Quelle est la prochaine étape pour vous, après la réforme ? Y a-t-il des chantiers nouveaux ou en cours ?
J. G. : Le statut des établissements est un projet complexe. Il y a une logique statu-taire à trouver vis-à -vis de l’enseignement qu’implique le LMD. Ce statut est particulier dans le domaine de l’enseignement supérieur. Je souhaite que le passage prévu au statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) exploite au maximum les spécificités autorisées par la loi et préserve la singularité des écoles d’architecture.
d’a : Que va apporter le statut EPSCP aux écoles
d’architecture ?
J. G. : En France, le statut EPSCP concerne la plupart des écoles importantes d’enseignement supérieur (Sciences-Po, École des ponts, etc.). Comment créer une école doctorale si nous restons dans la marge ? Le statut d’EPSCP implique un conseil scientifique, un conseil de la vie étudiante et une réelle mobilisation des enseignants dans le fonctionnement de l’établissement. De plus, l’EPSCP accorde une légitimité pour la coopération avec les universités. L’étape suivante sera la réforme du statut de l’enseignant-chercheur et c’est également un grand chantier.
EPSCP : Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel constituent en France un type particulier d’établissement public. Ils assument des missions d’enseignement supérieur, de recherche et de vulgarisation.
Pres : La loi de programme sur la recherche a offert aux établissements d’enseignement-recherche et aux universités la possibilité de créer des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres). Ils rassemblent des établissements ou organismes d’enseignement supérieur et de recherche, publics ou privés, européens, et peuvent avoir pour partenaires associés des entreprises, des collectivités territoriales ou des associations. Le but est de regrouper une partie de leur activité, de mettre en
commun des ressources et d’augmenter la notoriété des membres du Pres.
Vacataire : Le vacataire est payé « à la vacation », c’est-à -dire sur la base des heures d’enseignement effectives, ce qui peut ne pas intégrer le temps de préparation, de correction… La vacation n’intègre pas non plus de congés payés.
Ce statut est parfois dur pour l’employé mais d’une grande souplesse pour l’employeur. Le vacataire peut fixer ses conditions : tarif horaire, remboursement des frais de déplacement, salariat des heures de préparation… Tout cela peut être fixé par une convention préalable.
Professeur associé : Dans le système universitaire français, un professeur associé (Past) est un enseignant recruté pour une période de six ans maximum dans un même établissement à plein temps ou à mi-temps. Selon ses qualifications et selon sa négociation à l’embauche, il peut être maître de conférences associé ou professeur associé. Recruté typiquement sur la décision d’une commission de professeurs en fonction de son parcours personnel et non de ses diplômes universitaires, le Past apporte à l’université une approche professionnalisante. Les Past ne peuvent pas limiter leur activité à l’enseignement et doivent conserver leur activité professionnelle hors de l’université. Leur salaire, selon le cas, est équivalent à celui d’un maître de conférences ou à celui d’un professeur des universités, sans ancienneté mais avec une prise en compte du niveau universitaire atteint par le postulant. Ce traitement peut être réévalué à la hausse, lorsqu’une commission décide la reconduction du poste.
Professeur invité : Enseignant dans une université pour un temps déterminé. Cela peut s’appliquer à un professeur d’une autre université, un praticien qui s’est
distingué par la qualité de sa production. La limite du temps d’enseignement est
comprise entre un et trois ans, au-delà desquels le professeur doit postuler à nouveau.
HDR : En France, l’habilitation à diriger des recherches est un diplôme national de l’enseignement supérieur qu’il est possible d’obtenir après un doctorat. Il a été créé en 1984. Ce diplôme permet de postuler à un poste de professeur des universités (après inscription sur la liste de qualification par le conseil national des Universités), de devenir directeur de thèse et d’être choisi comme rapporteur de thèse. La condition essentielle pour y postuler est d’être déjà titulaire du doctorat.
Doctorat : Le doctorat est un grade national dont la réglementation est fixée par
arrêté ministériel. Pour préparer le doctorat, il est nécessaire d’avoir le grade de master, que l’on obtient généralement en cinq ans d’études après le baccalauréat. La durée pour la préparation du doctorat est de trois ans, donc huit après le bac pour l’obtention du doctorat. Il s’agit cependant et en général de la limite inférieure de préparation.
(HMONP) : L’habilitation de l’archi-tecte diplômé d’état à l’exercice de la maî-trise d’œuvre en son nom propre est une période de formation dans une école nationale supérieure d’architecture et en entreprise d’architecture d’une durée d’au moins six mois, à l’issue de laquelle l’architecte diplômé d’État est tenu de rendre compte de ses acquis en vue d’obtenir le diplôme d’habilitation lui donnant droit de s’inscrire à l’ordre des architectes. Cette formation est étoffée par des cours professionnels, théoriques, dispensés à l’école.
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