Images du projet de transformation de la tour WTC 4 dans le quartier Nord de Bruxelles |
Dossier réalisé par Karine DANA À l’occasion de deux projets pilotes issus d’une réflexion sur de nouvelles manières de construire à faible impact, l’agence belge 51N4E nous dévoile son retour d’expérience, prônant la construction de nouvelles alliances autour d’une ingénierie intelligente du projet. |
D’a : Comment réagissez-vous au débat actuel sur la mise en cause des matériaux de construction dans les émissions carbone ?
Freek Persyn : Largement dominé par les lobbies industriels, le débat actuel sur l’usage des matériaux est réduit à une opposition idéologique béton versus bois. Il semble aujourd’hui urgent de réinjecter de l’intelligence et de réorienter le sujet de manière factuelle sur les manières de construire. Même si nous sommes tous d’accord pour dire que le choix du matériau joue un rôle important dans les émissions carbone, les questions de la réutilisation des structures existantes, de la sollicitation d’une ingénierie intelligente, du partage des espaces et de leur adaptabilité, de leur occupation plus intense, et de la nécessité de construire de nouvelles alliances en amont du projet sont devenues prépondérantes.
Les façons de faire, d’aménager, d’urbaniser, d’ériger sont actuellement dominées par les modèles de rentabilité liés à la production de masse, qui mettent en œuvre des solutions très généralistes, surconsommatrices de matériaux, contreproductives et menant à des aberrations lourdes au sein des territoires. La question est maintenant de savoir comment construire un nouvel espace de production qui permettrait d’optimiser véritablement l’acte de construire.
Nous travaillons actuellement en ce sens, sur deux projets qui nous permettent d’examiner de plus près les enjeux de ce débat actuel et de mesurer l’importance du rôle que peuvent jouer les architectes, tout comme les ingénieurs, dans ce qui pourrait constituer un nouveau cadre de projet. Il s’agit bien de construire des alliances en même temps que le projet.
Quels sont vos retours d’expériences ?
F. P. : En 2019, alors que nous avons été lauréats du concours ZIN pour la transformation des tours existantes WTC 1 et WTC 2 à Bruxelles-Nord pour l’investisseur Befimmo, nous avons entrepris une première expérience de recyclage du béton d’une partie des planchers des tours d’origine – dont nous conservons les noyaux – pour l’utiliser comme un béton neuf destiné au nouveau projet. Cela a servi de démonstrateur et nous a permis de comprendre qu’une opération de recyclage de béton était intéressante à partir du moment où le matériau n’était pas réexploité suivant le même système de pensée que le béton initialement produit. Cette conclusion nous a amenés à développer un autre projet dans ce même contexte urbain et immobilier, sur le site voisin WTC 4, lequel était constitué des fondations et du socle d’une tour qui n’avait jamais été construite. Pour ce projet, nous menons une recherche avec Philippe Block – professeur d’architecture et de structure à l’ETH de Zurich – afin de concevoir des dalles béton travaillant uniquement en compression. Ce procédé constructif permet d’utiliser 70 % de béton en moins, d’œuvrer à partir d’un béton recyclé presque dégradé, de mettre en œuvre des planchers très minces et beaucoup moins lourds pour le reste de la construction, si bien qu’ils permettent une optimisation structurelle très intéressante. Dans le cadre de ce projet, au regard du gain de légèreté structurelle et de la faible quantité de matière utilisée, nous pouvions même ajouter des niveaux. Malheureusement, les services d’urbanisme de la ville Bruxelles souhaitaient que cette tour reste à la même hauteur que les autres pour des questions – très discutables – d’homogénéité urbaine.
Olivier Cavens : Dans le cadre de ce projet WTC 4, nous travaillons également sur l’optimisation du principe de noyau central en béton armé comme le veut le standard, avec le bureau d’études Greisch et le groupe de recherche de l’ETH. Suite à une étude de bilan carbone, nous avons choisi de reprendre toutes les charges au vent et de stabilité latérale dans une structure diagrid en béton qui fait partie de la façade de la tour. Le noyau n’est donc plus conçu en béton armé, mais il est composé de parois légères qui rendent son impact environnemental beaucoup plus faible. D’autre part, on divise le noyau en quatre autres décentralisés, qui libèrent un grand espace en double hauteur au centre du bâtiment. Ces solutions se combinent avec le système de plancher préfabriqué en béton recyclé développé par le laboratoire de Philippe Block (BRG), actuellement en phase de test et de prototypage. Le défi est aujourd’hui de convaincre le client qu’il faut aller plus loin dans les investigations. Aussi, nous sommes entrés en discussion avec un entrepreneur, car la mise en œuvre est nouvelle et donc plus coûteuse bien que nous utilisions très peu de matière.
On se rend bien compte qu’il est donc essentiellement question d’état d’esprit pour que ce genre d’expérience se concrétise et se généralise sur d’autres projets. C’est un effort collectif à fournir durant tout le déroulé du projet.
F. P. : L’urgence de la situation actuelle implique de questionner la chaîne de production pour construire différemment. Cela nécessite de passer par une phase de research design indispensable. Dans le cas du projet WTC 4, Philippe Block a fait en sorte que les conditions de l’expérimentation puissent exister. Ainsi, l’Etat suisse a investi dans cette recherche appliquée, au même titre qu’un fonds de recherche, et nous avons aussi bénéficié d’un cofinancement par l’industrie suisse et Holcim. À partir du moment où l’alliance est porteuse, même s’il s’agit d’une petite échelle de projet, nous mesurons combien cette approche pourrait s’étendre à d’autres projets et concerner le marché belge. Cela nécessite toutefois beaucoup d’envie et de bonne volonté... Actuellement, nous cherchons à lever de nombreux blocages concernant les responsabilités, les plus-values et les risques au regard des implications de chacun. Et ces questions-là sont extrêmement complexes à trancher.
Benoit Lanon : Nous menons une seconde expérience tout aussi riche d’enseignements pour la construction d’une aire de recyclage à Bruxelles, un programme habituellement rejeté en dehors des villes. Notre proposition a porté sur une nouvelle organisation du site dans le but de l’intégrer à un environnement urbain et habité. Notre ambition a donc été de créer un espace public – un skatepark – en relation avec le Recypark, afin que ces deux programmes puissent bénéficier mutuellement de leur attractivité. Une halle issue de filières de réemploi couvre ces deux programmes, tant pour répondre à une nécessité d’usage que pour créer une identité commune au lieu. Pour la conception du Recypark, nous avons souhaité réutiliser une structure existante. Et toute la difficulté a été là... Alors qu’il est aujourd’hui assez courant de réemployer des matériaux de finition, réutiliser des éléments structurels implique de nombreuses questions en matière de responsabilités.
Dans le cadre du concours, et après des recherches dans toute la Belgique avec la collaboration de l’agence Rotor, nous avons identifié quatre structures pour lesquelles nous avons pu démontrer le bon potentiel de réemploi, ce qui fut un point majeur de notre proposition lors du concours. Puis, nous avons été confrontés aux contraintes de disponibilité et de viabilité de ces structures au regard de la temporalité courante d’une procédure de projet public. Neuf mois plus tard, nous avons eu la chance d’apprendre que la halle existante en bois lamellé-collé, provenant d’un ancien manège équestre à Liège, étudiée en phase de concours, soit encore disponible et viable. C’est alors que nous avons fait une deuxième vérification concernant le taux d’humidité et d’hygrométrie du bois. Les pieds de poteaux n’étaient pas tous en bon état. Pour les réutiliser, nous avons dû les couper sur 1 mètre et doubler les arcs pour rassurer tous les acteurs en phase conception sur leur capacité structurelle. Dans ce contexte de projet, le client a financé le démontage de la halle et son stockage pendant plus de vingt-quatre mois.
D’a : Quelle était donc la motivation du client ?
B. L. : Pour le client, ce projet se veut exemplaire et démonstratif. Bien qu’il y ait un surinvestissement au départ, il veut soutenir cette idée que l’on peut démonter et réutiliser une structure existante sur un autre site. Le projet servira en quelque sorte de « jurisprudence » pour les projets de réemploi structurel à venir en Belgique.
Et alors que nous entrons dans la phase de construction, la question des responsabilités se pose de manière centrale, et nous cherchons à trouver une issue pour que le projet puisse se concrétiser. En effet, nous ne disposons d’aucune fiche technique concernant la structure, nous ne connaissons pas la classe du bois ni son essence, nous ne savons rien sur le laminage, l’âge de la structure, les types de colle utilisés, etc. Or, ces données sont nécessaires pour définir la classe de résistance structurelle du bois à partir de laquelle les ingénieurs fondent leurs calculs...
D’a : Dans ce contexte de risques et d’incertitudes, le client accepte-t-il de prendre la responsabilité de la fiabilité technique de l’ouvrage ?
B. L. : Nous devions en effet trouver un moyen d’assumer une mise en œuvre qui présentera toujours un risque. Nous nous sommes donc concentrés sur un élément clé de contrat d’assurance : il s’agit du « dommage sans faute ». Cela suppose que si nous pouvons prouver que nous avons fait notre travail du mieux possible lors de l’étape de conception, une couverture est envisageable. Cette sortie d’impasse portant sur des responsabilités que personne ne voulait prendre a été concomitante avec l’arrivée d’un nouvel ingénieur dans l’équipe, également attaché au bureau Greisch, et très expérimenté sur les questions de réutilisation de structures bois. À partir de tests en laboratoire portant sur la résistance structurelle, le type de colle et l’étude de la délamination, il lui sera bientôt possible d’établir une classification structurelle du bois qui permettra alors à l’entrepreneur de lancer ses calculs. Nous savons désormais que la difficulté ne porte pas tant sur l’usage d’une structure existante que sur son démantèlement et sur son remontage sur un autre site. Si la structure était restée au même endroit, je pense que cela aurait été plus facile. Finalement, la réutilisation d’un existant lors d’une rénovation est moins problématique que le démontage et le remontage d’une structure, alors que cette pratique même est courante dans le cadre d’installations temporaires. Le problème n’est donc pas tout à fait rationnel... Et pour aller à l’encontre de cette peur, il faut travailler avec des gens impliqués qui partagent le même état d’esprit.
F. P. : Les débats en sont aujourd’hui là : on doit inventer de nouveaux contrats et de nouveaux cadres pour construire. La question est donc : comment faire de l’architecture dans ces conditions-là ? Et de savoir si, d’autre part, le réemploi de structures est possible ou s’il ne l’est pas... Dans ce nouvel environnement de projet, l’architecte a un rôle crucial, tant dans le réusage de la matière que dans la gestion des contrats d’assurance et des négociations. La chaîne du projet avec les partenaires devient davantage circulaire que linéaire. Un nouvel équilibre est en jeu : un équilibre dynamique. Il faut donc créer un contexte économique et culturel pour que ces recherches soient possibles. Il faut réunir les attitudes, partager les modes de pensée et de faire. Cela rend les processus de design plus compliqués, mais permet de créer des situations optimisées.
La situation actuelle est complexe car elle est transitionnelle. Il faut créer de nouvelles conditions d’optimisation de l’acte de construire. Il n’est plus possible de bâtir sans se demander si l’on doit fabriquer de la matière, si l’on peut recycler, réemployer de la matière, en minimiser les quantités. Cette attitude a un impact énorme sur l’acte de construire et sur le territoire.
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