RATP Habitat, Paris 13e, DATA architecture |
Dossier réalisé par Maryse QUINTON |
Parmi les thématiques récurrentes qui alimentent le débat actuel sur l’architecture et l’urbanisme figure la transformation des bureaux en logements. Alors que la démolition est désormais envisagée en dernier recours plutôt qu’en première intention, s’ouvre grand la voie de la transformation. Composer avec ce qui est déjà là , considérer l’existant même le plus ordinaire pour lui donner une nouvelle vie : telle est la nouvelle donne après des décennies où cette question n’intéressait que peu d’architectes. Depuis qu’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont obtenu le Pritzker Prize à la faveur d’une démarche engagée en matière de logement, nourrie au refus catégorique de démolir, le sujet de la transformation – terme qui s’est peu à peu substitué à ceux de réhabilitation, rénovation, reconversion… – est plus que jamais d’actualité.
À la fois sociale et environnementale, l’urgence est aujourd’hui double : nécessité de produire des logements, notamment dans les territoires les plus tendus, mais aussi de stopper l’artificialisation des terres malgré la pénurie de foncier. Le changement d’usage d’un bâtiment arrivé au bout de son cycle de vie offre une alternative réelle à la production effrénée de constructions neuves. Sans verser dans le dogmatisme et pour emprunter une expression éculée du marketing territorial, la « ville résiliente » n’a définitivement plus d’autre choix que de se reconstruire sur elle-même. Dans ce contexte global de transition écologique, la transformation des bureaux en logements n’en reste pas moins une vieille antienne, anecdotique lorsqu’on se penche sur les chiffres. Mais la crise sanitaire pourrait bien faire décoller ce marché encore confidentiel.
Avec l’avènement du télétravail, l’immobilier tertiaire connaît un bouleversement inédit. Les bureaux se vident partiellement et voient leur obsolescence s’accélérer. Les entreprises n’ont d’autre choix que de s’interroger sur le devenir de ces surfaces tertiaires sous-utilisées quand elles ne sont pas tout simplement désertées. Deux solutions s’offrent alors. La première consiste à entreprendre des travaux plus ou moins importants et onéreux pour recouvrer une nouvelle jeunesse sans certitude de retrouver preneur. C’est parfois rentable, souvent défavorable. Face à cette deuxième option, la stratégie d’un changement d’usage s’impose à la faveur du logement. « Le marché du bureau est déflationniste, mais celui de l’habitat est inflationniste. Ces deux marchés ne demandent qu’à se rencontrer », résume Alexandre Chirier, président d’Action Logement, que nous avons interrogé dans ce dossier. Cet alignement des planètes crée une situation favorable pour mener à bien ces transformations. D’autant plus favorable que les différents confinements ont projeté une lumière crue sur l’habitat, chacun se retrouvant brutalement confronté aux limites de son logement. Trop petit, trop cher, trop bas de plafond, trop standard, trop rarement pourvu d’un espace extérieur, le logement est redevenu un sujet depuis que, à la suite du rapport Lemas (lire d’a n° 287, table ronde p. 36-43), le rapport de la mission sur la qualité du logement conduite par l’architecte-urbaniste François Leclercq et le directeur général d’EpaMarne/EpaFrance Laurent Girometti fut rendu public le 8 septembre dernier. Qu’il soit suivi de faits concrets ou non, il a au moins le mérite d’avoir remis le logement dans le débat public et politique. Ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique chargée du Logement, Emmanuelle Wargon, s’est appuyée sur ce référentiel pour lancer la consultation citoyenne « Habiter la France de demain » autour de cette problématique. Mi-octobre, elle a dévoilé des pistes supposées améliorer la qualité de l’habitat. Parmi les dix propositions formulées par le gouvernement : « Transformer quatre fois plus de bureaux en logements à horizon de dix ans, passer de quelques opérations exemplaires à un mouvement de fond. Il conviendra également de moins figer l’usage des locaux, avec notamment des destinations moins définies dans les PLU, voire dans les permis de construire1. »
Face au contexte de pénurie de foncier, la réalisation de logements demeure une priorité. Des millions de mètres carrés de bureaux étaient vacants avant la crise sanitaire, un phénomène qui ne fait qu’augmenter depuis. Transformer les bureaux vides en logements, l’équation simple en apparence masque une réalité bien plus complexe. Toutes différentes, toutes singulières, ces opérations convoquent de nombreux acteurs, cristallisent des enjeux contradictoires, sont directement liées aux questions fiscales et économiques. L’architecture n’est qu’un paramètre parmi d’autres, du moins est-il souvent considéré comme tel.
Une histoire vieille de trente ans
Si la transformation des bureaux en logements est un sujet d’actualité, il n’est pourtant pas récent. En 1994, au sortir d’une crise du marché immobilier tertiaire, Hervé de Charette, alors ministre du Logement du gouvernement d’Édouard Balladur, déclare que la transformation des bureaux en logements est « un impératif économique et social2 ». Un impératif qui n’avait finalement d’impératif que le nom. Vingt-cinq ans plus tard, ces transformations sont toujours accessoires à l’échelle du marché. En juin 2021, Knight Frank, spécialiste de l’immobilier d’entreprise, est revenu sur « cette histoire vieille de trente ans3 » à l’occasion d’une étude. Pour le seul exemple de Paris qui, avec l’Île-de-France, concentrent la grande majorité de ces opérations, 400 à 500 logements sont nés de ces transformations entre 2001 et 2020 : une goutte d’eau face au 1,4 million de logements existants que compte la capitale. Elles portent sur un nombre très réduit de mètres carrés et ont essentiellement été initiées par des opérateurs publics. « Depuis près de trente ans, le sujet revient sur le devant de la scène à chaque période de crise du marché immobilier tertiaire. En 1994, l’Apur en parlait comme de l’une des « solutions les plus appropriées pour résorber un stock pléthorique de bureaux vacants4 », tout en pointant « les contraintes économiques et réglementaires auxquelles seraient confrontés les opérateurs souhaitant s’engager dans cette voie ». Ces contraintes, ainsi que le rétablissement du marché des bureaux après chaque récession, expliquent que le phénomène ne se soit jamais réellement intensifié.
L’épidémie de covid 19 pourrait changer la donne. En Île-de-France, celle-ci a fait chuter la demande placée de 42 % en 2020 et alourdi le stock de bureaux disponibles de près de 900 000 m2. Inédite par sa soudaineté et sa dimension mondiale, la pandémie a surtout accéléré des changements à l’œuvre depuis près de vingt ans, consacrant la transformation de nos modes de vie et de travail. Celle-ci ne serait donc pas une « crise de plus », tant ses conséquences s’annoncent durables pour le marché immobilier des bureaux. Dès lors, les conditions semblent réunies pour massifier les conversions, d’autant que le cadre réglementaire est un peu plus incitatif et que la construction de logements neufs a lourdement chuté depuis le premier confinement.
Enfin, les liquidités allouées par les investisseurs au résidentiel sont de plus en plus abondantes, mais se heurtent à la rareté de l’offre disponible. Les opérateurs privés se sont empressés de réagir et s’emparent désormais du sujet, ce qui va nécessairement enclencher une nouvelle dynamique et accélérer le marché. Des foncières et des outils spécifiques dédiés sont créés en interne chez les promoteurs, signe qu’ils ne considèrent plus ce potentiel comme anecdotique. Une manière aussi de redorer leur image à grand renfort d’arguments vertueux et écologiques après des décennies à couvrir les ZAC de logements souvent de piètre qualité.
De nombreux freins
Néanmoins, de multiples contraintes empêchent pour l’heure de passer à la vitesse supérieure. La liste est longue des freins qui entravent ces transformations. Cadre réglementaire et législatif, volonté politique, équilibre financier à trouver, localisation rédhibitoire, morphologie et/ou état des bâtiments, fiscalité avec l’épineuse question de la TVA… Le coût demeure un problème central dans ces transformations de bureaux en logements, plus vertueuses mais aussi plus chères. Au coût d’acquisition du bâtiment s’ajoute celui des travaux. La loi Duflot, du 18 janvier 2013, permet d’accorder une importante décote lorsqu’une municipalité souhaite se positionner sur une vente de l’État et de ses établissements publics, à la condition que ces actifs soient affectés à la construction de logements dont une partie au moins est réservée au social. Par exemple, dans le cas de l’îlot Saint-Germain dans le prestigieux 7e arrondissement, l’acquisition des différents bâtiments a été signée contre 29 millions d’euros pour une valeur estimée à 85 millions d’euros. À Nantes, la caserne Mellinet estimée à 19 millions d’euros a été cédée pour 6,3 millions d’euros.
Pour tenter de lever ces freins, la loi Elan comprend des mesures comme le bonus de constructibilité qui permet de compenser les surfaces perdues et les surcoûts, les dérogations d’obligations de mixité sociale dans les zones non carencées ou encore le permis d’innover qui permet de déroger à certaines règles. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de cette loi, ces mesures n’ont pas déclenché l’accélération escomptée et le bilan reste mitigé. Chez Nexity, on estime que si « la loi ELAN a entre autres permis de faciliter la transformation des bureaux vides en logements, il est encore nécessaire de desserrer les freins d’urbanisme et de fiscalité, d’apporter de la souplesse, et de favoriser l’harmonisation de la réglementation. Les transformations ne sont pas possibles partout et s’avèrent parfois délicates et onéreuses, selon le type de construction »5.
Travailler avec l’existant
Et l’architecture dans tout ça ? Jusqu’où peut-on aller pour ne pas dénaturer l’existant ? C’est la question à laquelle tous les architectes doivent répondre lorsqu’ils s’attaquent à la transformation. Rendre vivable un bâtiment non conçu pour un usage domestique, « les promoteurs ont parfois du mal à se faire à l’idée que l’existant a son existence », sourit Jean Bocabeille, qui mène plusieurs projets de transformations de bureaux en logements au sein de l’agence BFV. Patrick Rubin insiste quant à lui sur l’importance cruciale de la phase de diagnostic, souvent sous-estimée quand elle n’est pas tout simplement bâclée. Elle est pourtant essentielle pour agir le plus justement possible face à ce qui est déjà là . Mais aussi pour ne pas s’obstiner à « forcer » un bâtiment dont la transformation requerrait une telle énergie qu’elle pourrait se révéler absurde. Un constat partagé par Antoine-Marie Préaut, chef du service de la conservation régionale des monuments historiques d’Île-de-France : « La conservation de l’existant offre de multiples possibilités dès lors qu’il est laissé suffisamment de temps à la phase de diagnostic, qui seule permet d’appréhender un bâtiment et d’en identifier les atouts6. » Tous les bâtiments ne sont effectivement pas mutables, n’est pas candidat à la transformation qui veut.
Déterminante est la question structurelle – le poteaux-poutres étant de loin la situation la plus favorable –, tout comme un bâtiment trop épais sera plus difficilement transformable tandis que le refend fige à jamais la possibilité d’évoluer avec aisance. Parmi les mythes qui entourent la transformation des bureaux en logement figure celui de la hauteur sous plafond de ceux-ci qui, imagine-t-on un peu vite, permettrait enfin d’en finir avec le standard du 2,50 mètres. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois, les efforts en termes d’isolation acoustique pour atteindre les normes exigées dans le logement sont si conséquents qu’ils impliquent de sacrifier une grande partie de cette hauteur libre. Cependant, s’il est une vertu à accorder à ces transformations, c’est l’impossibilité d’y appliquer les plans types et autres recettes de la promotion immobilière. Construire dans l’existant invite à repenser en profondeur le système de production du logement. Les réalisations que nous présentons dans ce dossier témoignent de la valeur ajoutée – qualités spatiales, volumes, surfaces, hauteurs, taille des fenêtres… – qu’offrent ces opérations, lesquelles obligent à sortir des standards.
Et demain ?
Il serait imprudent de prédire la mort du bureau. Si certains bâtiments sont obsolètes, d’autres se portent très bien et sont toujours demandés. Une pénurie7 se profile d’ailleurs dans le Quartier central des affaires (le QCA, qui comprend le 8e arrondissement et une partie du 1er et des 2e, 9e, 16e, 17e) à Paris, où la vacance est au plus bas. La demande de bureaux existe toujours mais se précise sur la qualité, devenant très exigeante, précipitant l’obsolescence des bâtiments ne correspondant plus aux attentes. La pandémie engendre ainsi une accélération structurelle et conjoncturelle du sujet de la transformation des bureaux en logements. Une étude de l’IEIF8 montre le gisement très important qui se profile en s’appuyant sur différents scénarios : « Selon ces simulations, l’IEIF estime par exemple, sur une base de 41 % des entreprises qui passeraient à deux jours de télétravail par semaine, que le gain de surface envisageable serait de 27 %. Sur le parc de bureaux francilien, cela représenterait 3,3 millions de mètres carrés (soit 6,5 %) et un impact déflationniste sur la demande placée de 14 % par an. » Promis à un bel avenir, le marché est encore émergent. Pour occuper une part significative dans la production de logements, il lui faudra se structurer et s’adosser à une véritable volonté politique.
C’est donc un état des lieux que nous dressons à travers ce dossier, à cet instant si particulier où la crise sanitaire a bouleversé le monde du travail et de l’immobilier tertiaire, ouvrant une voie inédite et favorisant la collusion inattendue de différents phénomènes. Le corollaire de ces transformations consiste à faciliter aujourd’hui la réversibilité de demain, dès la conception des opérations. À Saclay, l’agence Bruther a livré en 2020 une résidence étudiante et un parking réversible9, anticipant l’obsolescence de ce dernier une fois que le métro desservira les lieux. Les places de stationnement qui occupent les trois premiers niveaux pourront alors être reconfigurées en chambres étudiantes. Pour Patrick Rubin, la réversibilité est désormais la voie à suivre : « S’il est entendu qu’un bâtiment peut avoir plusieurs vies, l’effort est devenu démesuré pour y parvenir, tant l’architecture est le plus souvent contrainte par sa programmation initiale et sa reconversion progressivement complexifiée par la multiplication des normes. L’idée d’habiter, travailler, enseigner… successivement dans un même lieu engage à dissocier programme et procédés constructifs dès la conception, au bénéfice d’une souplesse d’usages dans une géométrie libérée », défend-il. L’enjeu est donc double puisqu’il s’agit à la fois de desserrer les conditions de faisabilité des transformations à l’œuvre aujourd’hui mais aussi d’anticiper celles de demain.
1. Source : ministère de la Transition écologique.
3. Transformation de bureaux en logements, étude de Knight Frank, juin 2021.
4. Le marché des bureaux à Paris et en Île-de-France, caractéristiques et évolutions, étude de l’Apur, mars 1994.
5. « Nexity réalise des projets de transformation de bureaux en logements sur l’ensemble du territoire », septembre 2021.
6. Bureaux -> Logements, Transformation 58 rue de Mouzaïa, Paris 19e, Canal architecture, éditions Archibooks, 2021.
7. Le Grand Pariscope, Édition 2021, Marché des VEFA de bureaux et offre future neuve en Île-de-France, étude d’Arthur Loyd Paris Île-de-France, 2021.
9. « La beauté n’est plus ce qu’elle était », Richard Scoffier, d’a n° 286, décembre 2020-février 2021, p. 84-95.
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