Vue extérieure du monument de Steilneset, commémorant le procès des sorcières de Vardø, Norvège |
Dossier réalisé par Pierre CHABARD Pour comprendre la production d’un
architecte – qu’il s’agisse de Palladio, de Le Corbusier ou de Rem Koolhaas –,
il est tout aussi décisif d’analyser sa conception du temps que celle de
l’espace. Comment (se) pense-t-il (dans) le temps ? Comment conçoit-il le
passé, le présent, le futur ? Comment inscrit-il son action et les formes qu’il
dessine dans ce flux temporel ? Quelles ruptures et quelles continuités envisage-t-il
? Quelles relations entretient-il avec ce qui l’a précédé et ce dont il hérite
? |
Mais également, au-delà de son cas individuel, dans quelle mesure son rapport au temps reflète-t-il celui de ses confrères et plus généralement de ses contemporains ? Comment l’architecture traduit-elle, consciemment ou non, ce rapport collectif qui caractérise une société ou une époque et que l’historien François Hartog nomme son « régime d’historicité » ?
Il y a tout juste quarante ans, l’exposition « Roma Interrotta » invitait douze architectes à spéculer sur l’histoire de Rome telle qu’elle aurait pu se dérouler depuis le fameux plan que Giambattista Nolli en a dressé en 1748, si les ruptures de la révolution industrielle et de la modernité n’étaient pas intervenues. Cette étrange uchronie architecturale et urbaine illustrait surtout l’obsession pour le temps, le passé, la mémoire, l’histoire et l’archéologie des architectes invités, d’Aldo Rossi à Colin Rowe, de Léon Krier à Robert Venturi, d’Antoine Grumbach à Michael Graves. C’est d’ailleurs au moyen d’un qualificatif d’ordre temporel qu’on a pendant un temps désigné la génération à laquelle ils appartenaient : le postmodernisme (terme qui s’est diffusé, une fois n’est pas coutume, depuis l’architecture vers les autres champs de la pensée et de la création). Deux ans plus tard, Paolo Portoghesi, organisateur de la première Biennale d’architecture de Venise, théorisait magistralement cette équation temporelle postmoderne, centrée sur la notion de « mémoire », comme « présence du passé » en réaction à la tabula rasa moderniste : « La mémoire peut nous aider à sortir de l’impuissance, à substituer à l’acte magique par lequel nous avions cru exorciser le passé et construire un monde nouveau sans racines, l’acte à la fois ludique et rationnel de la réappropriation du fruit défendu1. » Jugée tour à tour passéiste, populiste ou nostalgique, accusée de se complaire dans un présent perpétuel plutôt que de projeter un futur meilleur, cette posture postmoderniste a suscité de nombreuses réactions. Parmi elles, des approches néo-avant-gardistes ont cherché à renouer avec la nouveauté ou l’innovation, qu’elle soit formelle, programmatique ou technologique. Nées à la fin des années 1980, elles ont triomphé au tournant des années 2000, plébiscitées par le marché immobilier et le marketing urbain jusqu’à ce que la grande crise économique de 2007 ne les fasse vaciller. Qu’en est-il aujourd’hui ? Alors qu’on observe dans l’architecture contemporaine un commerce renouvelé avec le passé, un retour de l’ornement, un goût pour la citation ou du moins la référence, une réflexion plus ouverte sur la tradition et un scepticisme envers la nouveauté à tout prix et son corollaire, l’obsolescence, ce dossier entend initier une discussion collective sur l’éventuelle spécificité du rapport au temps qui se dessine depuis une décennie. Marqués par une certaine conscience – voire culpabilité – relative à leur rôle dans les mécanismes économico-immobiliers métropolitains et dans les déséquilibres environnementaux planétaires, beaucoup d’architectes s’interrogent en effet non pas seulement sur les formes esthétiques de leurs bâtiments mais sur l’inscription temporelle de celles-ci. Plutôt que de dresser un bilan définitif de cette question ouverte, ce dossier propose de l’approcher sous plusieurs angles, à partir de différents thèmes (l’histoire, la ruine, l’événement, la tradition et l’archaïque), en observant comment ceux-ci sont aujourd’hui reconfigurés. À la lumière de diverses publications et expositions récentes, il sera d’abord question du retour de l’« histoire » dans le débat architectural et des malentendus (évidemment féconds) qui se glissent derrière le mot. Jacques Lucan livrera une synthèse de ses réflexions sur l’archaïsme, développées à l’occasion de sa leçon d’honneur à l’EPFL en avril 2015 puis d’une conférence à la Cité de l’architecture en juin dernier. Le thème de la « ruine » et de son esthétique sera ensuite revisité à l’occasion d’une réalisation marquante de l’agence belge De Vylder Vinck Taillieu. Alors que l’ETH Zurich fédère aujourd’hui plusieurs architectes revendiquant un rapport à la « tradition », Julien Correia reviendra sur une figure cruciale de ce milieu, Miroslav Šik, et sur sa définition d’une architecture altneu, à la fois ancienne et nouvelle. Enfin, à travers l’histoire déjà longue du parc de la Villette, Loïse Lenne analysera quant à elle différentes variantes de l’événementialité architecturale et de sa critique.
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