Habitats légers et mobiles : un habitat « social »

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 28/03/2020

Tiny House

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279 La présence sur le sol français de nombreux habitats permanents légers et mobiles (yourte/caravanes, camions, « tiny houses Â») et l’évolution du droit français qui les concerne incitent à interroger ces habitats en tant que « production Â» individuelle de logement, alternative aux modes de fabrique officiels. 

Une caravane habitée à l’année peut-elle, doit-elle être considérée comme un logement, un habitat autorisé ou seulement un remède « de fortune Â» au « sans-abrisme Â» ? Si les comptages officiels manquent de données rigoureuses, on sait que l’habitat léger et mobile (deux qualités souvent liées) se développe avec la difficulté d’accéder au logement ou de pouvoir le payer. Il répond aussi parfois au choix d’habiter de façon plus écologique, plus autonome, en accord avec des valeurs personnelles. Il est à caractère « social Â», mais hors de toute production d’État. 

La loi Alur a circonvenu certaines questions légales attachées à ce sujet, ouvrant la reconnaissance de ces habitats dits « démontables et mobiles Â», sans fondations, qui ne sont plus considérés seulement comme des habitats de loisir ou de dépannage mais inscrits dans le droit commun. L’esprit de la loi est clair : « La crise du logement frappe durement les Français, touchés tant par la hausse importante des prix que par la perte de la notion de vivre-ensemble et d’espace collectif, peut-on lire dans le dossier de presse qui résume la doctrine de cette loi. S’opposant à cet état de fait, de nombreuses expérimentations citoyennes émergent sur l’ensemble du territoire et proposent de nouveaux modes d’habitat, autant d’alternatives prometteuses aux pratiques classiques de production de logements. [...] Convaincu que la diversité de la société doit se refléter dans la diversité des modes d’habitat possibles et choisis, le Gouvernement a souhaité garantir et sécuriser ces alternatives, pour permettre la diversification des formes d’habitat choisi, dans le respect de l’environnement et de la biodiversité. Â»

Concrètement, la loi Alur modifie le code de l’urbanisme pour rendre obligatoire la prise en compte dans les documents d’urbanisme « des besoins présents et futurs de l’ensemble des modes d’habitat installés de façon permanente Â», y compris donc l’habitat léger et mobile qui est, selon sa taille, soumis à un permis d’aménager ou à une déclaration préalable. Une autre modification permet d’autoriser l’installation de résidences démontables en l’absence de desserte par les réseaux de distribution d’eau, d’assainissement et d’électricité (art. L111-4 du CU), incitant donc à l’installation d’équipements autonomes. La loi Alur ouvre aussi la possibilité de délivrer des autorisations temporaires reconductibles et de les inclure dans les documents d’urbanisme, en zone urbaine (où la défense de stationner régit généralement un peu vite la question) et dans les fameuses « pastilles Â» des zones agricoles ou naturelles non constructibles de façon conventionnelle.

Ces éléments traduisent une meilleure acceptation de l’habitat léger. Leur application reste cependant limitée par des principes qui n’évoluent qu’à la marge, en particulier le droit du sol relatif à ce type d’habitat. L’architecte Misia Forlen, ancien pilier de l’association Échelle Inconnue, souligne qu’il reste impossible d’habiter une caravane toute l’année, ni sur un camping, ni même sur un terrain privé. « La loi interdit l’habitat continu en caravane, ce qui équivaut en droit français à ne pas reconnaître la caravane comme un logement. Il faut toujours se déplacer ou habiter ailleurs par intermittence. Â» Une seule exception confirme cette règle depuis peu : le nouveau statut de « Terrain familial Â» permet à un groupe de maisons légères – auto-institué ou créé par des bailleurs en tant que logements sociaux â€“ d’être reconnu par l’administration territoriale. Un millier de places ont ainsi été créées, mais la procédure est complexe et les résistances tenaces. Une méfiance bien étrange si l’on songe à la société américaine, ou la mobilité de l’habitat – du mobile home à la tiny house aujourd’hui, est une mode de vie banal et accepté, hybridant sans complexe le modèle pop, les impératifs économiques de mobilité au travail et les besoins de populations en situation précaire.

 

Pour une sortie de la zone de non-droit

Des associations de « la société civile Â» luttent pour sortir ces habitats légers de la zone de non-droit qui les condamne à être invisibles ou rejetés. L’ANGVC et la Fnasat-Gens du Voyage conduisent des études quantitatives sur les « Besoins d’habitat méconnus des indicateurs du mal-logement Â». Des centaines de milliers de personnes seraient concernées. L’architecte Stany Cambot, fondateur d’Échelle Inconnue, déploie un activisme inclassable et passionnant – auprès de travailleurs mobiles, par exemple. Reliée au mouvement du Dal (Droit au logement), l’association Halem conteste que l’habitat en dur permanent soit la référence exclusive du logement, « ce qui génère une précarité institutionnalisée Â». En Belgique, le collectif HaLé et le réseau brabançons pour le Droit au logement mènent des combats similaires. Une dimension européenne de l’habitat léger tend à émerger, et le choix d’une « région pilote Â» est à l’étude.

Des « projets Â» d’habitations mobiles voient parallèlement le jour : la « Maison qui déménage Â» d’Habitat et Humanisme par exemple, ou la tiny house mobile IMBY (In My BackYard) des architectes Quatorze. Mais ces projets ne bravent malheureusement pas la difficulté des déclarations préalables en mairie, tandis que l’engouement récent pour l’habiter léger incite parfois à l’élargissement de l’offre communale… et de ses dérives : à Rezé, en Loire-Atlantique, le maire a récemment lancé un appel à installation d’un « village de trois à six mini-maisons Â» sur une réserve foncière de la ville de 6 700 m2. Outre une densité digne d’un banal pavillonnaire, l’autoconstruction y est interdit au profit de modèles de « professionnels qualifiés Â», tandis qu’une redevance contre viabilisation de 250 à 300 euros par mois est demandée aux futurs habitants. Ce déni de la réalité économique de l’habitat léger au profit d’une réappropriation « bobo Â», vendeuse d’innovation, est un risque. Les architectes sont attendus en revanche sur le terrain où des formes d’assistance – légères elles aussi â€“ sont utiles.

L.G. et P.J.

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