L’entretien et les réhabilitations concernant
28,4 % des travaux d’architectes, la spécialisation en deux ans proposée
par l’École de Chaillot dans les domaines patrimoniaux suscite un
intérêt croissant chez les architectes. Benoît Melon, son directeur, revient
sur la philosophie d’un établissement plus que centenaire fondée par Anatole
de Baudot et sur ce qui le distingue d’autres cursus patrimoniaux. |
D’a : Comment caractériser la méthode pédagogique de votre école et
son évolution ?
Benoît Melon : L’École repose tout d’abord sur une expérience
irremplaçable : le « cours de Chaillot » remonte au XIXe siècle,
à l’époque où l’État confiait en 1887 la première chaire « d’architecture
française » à Anatole de Baudot, disciple de Viollet-le-Duc. Au fil du
temps les choses ont évolué et, en 2004, l’enseignement de Chaillot a été
rattaché au système universitaire LMD (licence, maîtrise, doctorat) et au
protocole de Bologne favorisant la
reconnaissance académique de leurs études à l’étranger. Notre établissement
délivre ainsi un diplôme du niveau « postmaster ».
La « méthode de Chaillot »
relève d’une expérience acquise au fil des ans par des enseignants de haut
niveau : architectes en chef des Monuments historiques, inspecteurs
généraux, conservateurs du patrimoine, universitaires, ingénieurs, artisans et
techniciens intervenant sur les Monuments historiques. Elle consiste d’abord
dans l’éducation du regard, l’apprentissage des techniques d’intervention sur
des édifices anciens. L’enseignement concerne toutes les périodes depuis la
préhistoire et toutes les échelles, du détail architectural au « grand
territoire », des petits édifices aux monuments les plus prestigieux.
D’a : Quel est le contenu de ces deux ans
d’études ?
L’École est le département « Formation » de la Cité de
l’architecture et du patrimoine qui est accrédité pour délivrer un diplôme
d’État de spécialisation et d’approfondissement (DSA « mention
Architecture et patrimoine »), dont le domaine d’études s’étend des
monuments et centres historiques au patrimoine dit « ordinaire ».
Elle forme des « architectes du patrimoine », spécialisés dans
la conservation, la restauration et la mise en valeur des édifices anciens et
de leurs abords.
Pour prolonger cet
enseignement, un cycle de formation continue en partenariat avec l’Association
des Architectes du Patrimoine (AAP) a débuté cette année avec une première
session théorique et pratique sur « l’usage du plâtre dans le bâti
ancien ». Parallèlement, nous assurons deux cycles de conférences
pour le grand public1 ou des professionnels2. Nous
assurons aussi en un an et conjointement avec l’École des Ponts ParisTech la
formation postconcours des Architectes et Urbanistes de l’État (AUE). À
cela s’ajoutent des coopérations de même nature à l’étranger, d’où des
débouchés intéressants pour nos intervenants et nos architectes du patrimoine.
Le programme réunit cinq champs disciplinaires : sciences de la
conservation et de la restauration ; ensembles urbains et sites
patrimoniaux ; histoire de l’architecture et des arts qui s’y
rapportent ; théories et doctrines, atelier sur site ; économie et
gestion de projets. Une mise en situation professionnelle (MSP) adaptée à nos
architectes en exercice accompagne ce parcours.
Au-delà des compétences
attendues des candidats dans le domaine de l’architecture et du patrimoine, une
solide culture générale et un savoir-faire théorique et pratique sont
requis. En 2020, sur 151 candidats au concours d’entrée au DSA, 47
ont été admis. Après deux ans d’étude – à raison de deux jours tous les
quinze jours –, le taux de réussite est d’environ 70 %.
D’a : Partant d’une formation très
professionnalisante, était-il aisé de rentrer dans le dispositif universitaire ?
Quel sens donner à la mise en situation professionnelle dans ce contexte ?
La force de notre enseignement est d’être dispensé très majoritairement par
des intervenants (et non des « enseignants », au sens universitaire)
d’un très haut niveau, tous en activité sur le terrain ou dans des groupes de
recherche pour les universitaires. Intégrer l’existant dans toutes ses
dimensions patrimoniales pour l’introduire pleinement dans la vie contemporaine
tout en préservant ce qui le caractérise est essentiel.
La restauration est un
sujet complexe et la doctrine est vivante ! Restaurer, c’est répondre Ã
l’esprit de la charte de Venise, mais aussi et sous certaines conditions
imaginer une partie d’édifice ou un édifice qui n’a jamais existé, par exemple pour
répondre à un usage contemporain. Montrer à nos élèves des réalisations qui
font débat et les inviter à dialoguer avec tous les acteurs est donc très
formateur. Lieu de l’apprentissage au coude à coude avec des praticiens
architectes, des artisans, des techniciens ou des économistes, l’atelier sur
site est un exercice en grandeur réelle auquel je tiens ; il associe
toutes les disciplines dans des conditions proches de l’exercice professionnel.
Nous choisissons chaque année un territoire où les élèves procèdent à l’étude
d’un site et de plusieurs édifices sur deux ans, chaque groupe travaillant sur
l’un des édifices de ce territoire. Un dialogue avec les élus ou la maîtrise
d’ouvrage permet d’évaluer les besoins et les capacités d’investissement. Partant
de l’observation par le relevé d’architecture en particulier, les étudiants
établissent des propositions de conservation, de restauration et d’utilisations
allant de la création d’accès handicapé à des interventions contemporaines plus
hardies où se mêlent valorisation de fouilles archéologiques, lisibilité des
périodes historiques et adaptation au monde actuel.
Cette formule d’atelier
sur deux ans développe l’esprit pratique sur un lieu d’apprentissage. Tous les
intervenants qui dispensent des cours théoriques ont vocation à venir sur le
terrain. Il s’agit également de comprendre la logique d’un maître d’ouvrage ou
celle de l’État et de pousser le raisonnement sur un projet en passant par
toutes les étapes de validation du contrôle scientifique et technique (CST en
DRAC).
D’a : Ayant été architecte libéral, ABF et
enseignant, jugez-vous préférable d’avoir une expérience de praticien avant de
« faire » Chaillot ?
S’agissant d’une formation en alternance, nous recommandons aux postulants
de disposer de quatre à cinq ans d’expérience professionnelle, mais certains le
tentent juste après l’obtention de leur diplôme d’architecte ou celle de la
HMONP, qui est fortement recommandée. Tous sont donc des professionnels,
indépendants ou salariés.
Pour cerner la
consistance du projet et les réalités du chantier, il est effectivement très
souhaitable d’avoir été confronté à une première expérience d’agence et au
chantier. Sans avoir fait ses gammes, difficile d’entrer dans les subtilités
d’un chantier « monument historique » !
D’a : Les ENSA de Belleville, Grenoble et
Montpellier proposent aujourd’hui des postmasters spécialisés en patrimoine.
L’École de Chaillot n’est donc plus seule à proposer ce type de cursus. Quels
sont ses atouts ?
Effectivement, il est possible depuis déjà plusieurs années de suivre un
cursus de spécialisation dans une école d’architecture dont certaines délivrent
aussi un Diplôme de spécialisation et d’approfondissement en architecture et
patrimoine.
Chaque école précitée a
créé un diplôme spécifique, d’où la richesse d’une offre dont la profession a
besoin. L’École de Grenoble s’est fait une spécialité sur les sujets liés Ã
l’architecture en terre. Belleville s’est forgé une belle réputation dans
l’architecture parisienne et haussmannienne. Chaillot est vraiment spécialisée
dans les « monuments historiques » avec une vocation à embrasser
toutes les époques et tous les territoires urbains ou ruraux. C’est une école
difficile faite pour ceux qui désirent un haut niveau de spécialisation et qui
s’engagent à se former régulièrement afin de le maintenir.
Le cours de théorie et
doctrine aborde les débats qui ont parcouru l’histoire et plonge l’élève dans
son propre positionnement aujourd’hui. Je dis souvent que nos élèves et leurs
intervenants font de la recherche comme Monsieur Jourdain faisait de la prose,
sans le savoir ! Ils contribuent à entretenir une réflexion approfondie
sur la doctrine.
Quand nous travaillons
en atelier sur des patrimoines aussi divers qu’une chapelle du XVIe siècle,
un habitat du XIXe siècle ou un lycée désaffecté des années
1930, nous comprenons que nous devons affiner les composantes de la doctrine
applicable dans un cas comme dans l’autre. Réfléchir par exemple à la
restauration et à l’adaptation aux contraintes contemporaines de menuiseries
standardisées des années 1930 implique que celui qui travaillait hier
exclusivement sur des matériaux de l’architecture dite « traditionnelle »
renouvelle son attitude. En ce sens, l’École est une pierre vivante de la
réflexion patrimoniale en devenir tout en s’appuyant sur la réflexion de ceux
qui l’ont forgée au cours de ses presque 135 ans d’existence.
D’a : Et s’il fallait définir le « challotin »,
nom donné aux élèves de votre école ?
C’est « une perle rare » dans un monde où la commande va
encore évoluer vers la réutilisation intelligente de l’existant et,
espérons-le, la fin des extensions quasi-anarchiques et démesurées de nos
villes à leur périphérie ! Ainsi, nous avons besoin non seulement de leurs
compétences de maître d’œuvre, mais aussi de leur capacité de conseil et
d’assistance auprès des élus et des maîtres d’ouvrage.
Nos diplômés trouvent
immédiatement des débouchés ou des commandes dont la diversité est un atout
pour ceux qui veulent se spécialiser. Les concours d’État – architectes en
chef des Monuments historiques (ACMH), architectes des bâtiments de France
(AUE) – relèvent d’une vocation mais la plupart de nos élèves rejoignent les
agences et un lieu d’exercice où leurs compétences sont appréciées.
« Faire
Chaillot », ce n’est pas seulement aiguiser son regard. C’est aussi une
façon d’écouter ceux qui vivent le patrimoine. C’est aussi apprendre à diriger
une équipe en tenant compte de paramètres matériels et immatériels, Ã
travailler avec de multiples partenaires spécialisés, des interlocuteurs
administratifs, des ingénieurs, des contrôleurs, des entreprises et des
artisans. L’architecte du patrimoine s’apparente à un médecin des monuments qui
doit établir un diagnostic global et préconiser l’intervention juste et mesurée
qui remettra l’édifice sur pied.
Propos recueillis par Christine Desmoulins
1. Les Conférences de la Cité.
2. Les Conférences
de l’actualité du patrimoine.
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