Faire revenir le renouvellement urbain dans le droit commun de l’urbanisme

Rédigé par Stéphanie SONNETTE
Publié le 07/10/2024

Carte Postale, édition J, Cellard (coll. bibliothèque municipale de Lyon)

Dossier réalisé par Stéphanie SONNETTE
Dossier publié dans le d'A n°320

par Maxime Vicens, de l’association Alarm Club

L’analyse en amont du modèle économique de l’ANRU et de la matrice financière des projets de renouvellement urbain devrait inciter les élus locaux à reprendre la main et à faire sans l’agence, plaide Maxime Vicens, de l’association Alarm Club.

Biographie:
Maxime Vicens est architecte, urbaniste et associé chez EXP architectes. L’Alarm Club est une association loi de 1901 qui alarme sur les dangers et les abus dans les domaines de l’art, l’architecture et la ville face au dérèglement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et aux inégalités sociales. Elle organise des actions de tout ordre pour proposer de bonnes pratiques et ouvrir à de nouveaux paradigmes. L’association regroupe architectes, artistes, urbanistes, anthropologues, sociologues, ingénieurs…

Malgré les efforts de communication déployés par l’ANRU pour mettre en avant son exemplarité en matière d’écologie, de qualité de vie et de développement social – en témoigne la célébration récente des vingt ans de l’agence –, celle-ci est plus souvent assimilée à un État démolisseur qui sacrifie depuis trop longtemps un nombre incalculable de logements sociaux sur l’autel de la mixité sociale. C’est ce que dénonçait le collectif Stop aux démolitions ANRU lors d’une manifestation devant les locaux de celle-ci le 7 février dernier, veille de la grande fête d’anniversaire, pour demander un moratoire sur les démolitions programmées. Pour évoquer leur souffrance, ses membres convoquaient les termes « épuration sociale » ou « déracinement ».
Dans l’entretien qu’Anne-Claire Mialot, directrice générale de l’ANRU, a accordé à d’architectures (à lire sur darchitectures.com), elle précise que l’agence ne peut se résumer à cela, en rappelant qu’elle finance également des réhabilitations, des équipements, des espaces publics, des constructions de logements sociaux. Le fait que l’ANRU subventionne également bon nombre de démolitions n’aurait donc rien de dogmatique.

À qui la faute ?
Un cadre de l’ANRU, qui souhaite rester anonyme, me disait ne pas comprendre les reproches faits à l’agence, renvoyant la balle aux Villes et aux élus : si cette politique ne leur convient pas, pourquoi continuer à solliciter l’ANRU ? Dans un autre entretien, Anne-Claire Mialot précisait ce point dans une langue plus consensuelle : « Les projets sont ceux des collectivités territoriales, ils sont portés par les maires démocratiquement élus et donc légitimes à porter ces projets locaux. L’agence les finance, les accompagne, et s’assure que les grands principes de la politique de renouvellement urbain sont respectés. Les projets sont locaux, décidés au plus près des habitants, et accompagnés par l’agence. »
Elle adoptait la même ligne de défense lors de la conférence de presse du 7 février 2024 qui a suivi la manifestation : les collectivités et les élus ont le choix et sont responsables de leurs projets. Cet argument, les membres de la délégation Stop aux démolitions ANRU l’ont unanimement ressenti comme une manière insupportable de la part de l’ANRU de se déresponsabiliser, une posture inacceptable pour eux.
Pourtant, au-delà des éléments de langage, pourquoi ne pas aller au bout de l’argument selon lequel les élus ont le choix et explorer la possibilité « d’un renouvellement urbain sans ANRU » ? Puisqu’on nous le suggère.

Avec ou sans l’ANRU
Plutôt qu’un moratoire sur les démolitions, ne faudrait-il pas imaginer un moratoire sur la croyance selon laquelle tout projet de renouvellement urbain doit se faire avec l’ANRU ? Auquel cas nous n’aurions plus besoin de manifester notre dépit devant ses bureaux, mais nous aurions simplement besoin d’apprendre à compter les plus et les moins, et de se rappeler que l’urbanisme n’a pas attendu l’ANRU pour exister. Et que le renouvellement urbain n’est rien de plus ou de moins que de l’urbanisme.
Car la question de l’indispensable présence de l’ANRU est toujours résumée de la même manière : parce que nous avons besoin de ses subventions, nous sommes contraints de travailler avec elle. Fin du débat. Démarrent alors d’interminables bras de fer pour tenter d’infléchir la politique de l’ANRU, sans trop la contrarier non plus, au risque de ne pas être conventionnés et de perdre les subventions.
Mais personne ne pose jamais cette question pourtant centrale : avons-nous réellement besoin de ces subventions ? Quelles sont les contreparties aux démolitions ? Surtout, quand on met bout à bout les avantages et les inconvénients, les recettes et les coûts, que reste-t-il vraiment ? Pour résumer : que serait un projet de renouvellement urbain sans ces subventions ?
Pour le savoir, il faut se plonger dans une matrice financière ANRU et comprendre ce qu’on a réellement à gagner et à perdre à ce jeu (financièrement parlant). Sans l’ANRU, on perd les subventions, mais on gagne des recettes (de la charge foncière). Jusque-là, c’est simple.
Commençons par la question des subventions. Tous les projets sont différents, mais les ordres de grandeur rencontrés sont relativement constants. Voici à quelle hauteur l’ANRU subventionne en moyenne les projets1 : la démolition de logements sociaux : 73,7 % ; la reconstitution de logements sociaux : 12,2 % ; les équipements publics : 24,5 % ; les aménagements d’espaces publics : 26,1 %.

À coûts équivalents : démolir ou réhabiliter ?
Il semble délicat, à la lumière de ces chiffres – quand l’agence subventionne à 73 % la démolition et à 12 % la reconstitution de logements sociaux – de continuer à soutenir que la démolition n’est pas un dogme. Sur un projet récent que j’ai eu à mener, la collectivité s’était engagée à démolir une barre de logements pour un coût de 11 millions d’euros et 32 millions de reconstitution des logements sociaux2, soit un total de 43 millions, dont 12 millions subventionnés par l’ANRU. Soit un reste à charge de 31 millions pour le bailleur social. Dans le même temps, le bailleur annonçait n’avoir plus les moyens de réhabiliter une autre barre, face à la barre démolie, qui allait donc rester en l’état. Or il se trouve que ces 31 millions à charge étaient précisément l’équivalent du coût de la réhabilitation lourde des deux barres (sur la base de 90 000 euros par logement).
Par cet exemple, on comprend donc qu’à coût équivalent : avec l’ANRU, on démolit une barre et on en laisse une autre à l’abandon, puis on tente de (...)

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