Entretien avec Paul Lacoste, membre du conseil d’animation de Halem : Contre l’exclusivité du logement « en dur »

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 27/03/2020

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279

L’association HALEM agit pour la reconnaissance des modes d’habitats légers et mobiles. À son actif, des mobilisations et jurisprudence emblématiques, un dialogue sporadique avec l’administration centrale, un militantisme étayé contre une restriction de l’habitat au logement en dur et permanent.

D’a : Quelle est la vocation de l’association Halem ?

Halem est née dans un camping de l’Essonne en 2003, après une coupure administrative de l’eau et de l’électricité en plein hiver. Dans l’ADN de l’association, le lien est indissoluble entre les habitants des campings à l’année, les gens du voyage et tous ceux qui revendiquent l’habitat léger et mobile comme un permis de vivre. L’habitat léger et mobile n’est pas réservé au loisir, il est pour beaucoup de gens un logement qu’il faut doter de droits communs. Nous fabriquons notre boîte à outils sur le droit commun de l’habitat léger, dans sa diversité. Nous avons aussi un rôle de lanceur d’alerte contre les lois qui referment les possibilités d’habiter, comme l’article 90 du projet de loi Loppsi 2, qui avait prévu d’expulser sans le juge, sur simple décision du préfet, les occupants d’habitations non conformes. Il a été abrogé le 11 mars 2011 par le Conseil constitutionnel, jugeant qu’il était « sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement décent Â», et qu’il « opérait une conciliation manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés Â». 

 

D’a : Qui sont les adhérents d’Halem ?

Ils font partie de ceux qui sont vulnérabilisés dans leur mode d’habitat, qu’ils habitent en caravane, véhicule habité, tiny house, yourte, maison de paille, mobile home, ou cabane de bidonville. Qu’on leur refuse le droit à la résidence, le droit à rester sur les lieux, le droit à l’eau et l’électricité. L’habitat léger n’est pas toujours synonyme de précarité, et la précarité elle-même couvre des situations ou désirs différents : désir ou espoir d’améliorer les conditions de vie, choix de mode de vie, sobriété volontaire, rupture sociale et renoncement. Que la situation soit subie, choisie, ou les deux, nous nous intéressons aux formes d’autonomie qu’elle produit. L’habitat léger et mobile est le seul habitat autonome.

 

D’a : À quels domaines s’attache votre veille juridique et comment opérez-vous ?

L’administration produit quantité de lois possiblement préjudiciables à ces habitats. Nous surveillons l’évolution des lois, codes et règles sur le tourisme, la construction, l’urbanisme, le pouvoir des maires. La loi Léonard sur le tourisme demandait à l’habitant d’un camping de présenter au bout de trois mois une preuve de résidence principale hors du camping, ce qui signifiait qu’un riche peut aller vivre dans un camping mais pas un pauvre. Nous avons obtenu avec le Dal la suppression de ce point. L’automne dernier, nous nous sommes battus sans succès pour le retrait de l’article 14 de la loi « Engagement et Proximité Â» qui permet au maire d’évincer sans jugement toute construction informelle. Alors que la crise du logement et la crise écologique s’amplifient, que les politiques d’inclusion se délitent, cet échec nous pousse à nous tourner vers les instances de contrôle des droits fondamentaux (Conseil constitutionnel, Cour européenne des droits de l’homme, ONU). Mais nous préférons l’action positive auprès des maires pour les inciter à créer des zones d’implantation d’habitats légers et réversibles et, en attendant, à délivrer des autorisations temporaires.

 

D’a : Quels potentiels offrent les règles d’urbanisme ? Que répondez-vous à ceux qui craignent un mitage du paysage par l’habitat léger ?

C’est une réserve assez dogmatique dans la mesure où l’habitat rural est souvent dispersé et qu’on souhaite éviter la désertification des territoires ruraux. Il faut avancer en intégrant l’humain dans la nature, et non par des lois hypocrites qui laissent par ailleurs construire des horreurs. La loi Alur reconnaît l’habitat léger et ouvre des potentiels qui restent encore d’application complexe. On peut regretter que, dans la pratique, les conditions d’exceptionnalité de ces implantations à travers les « Stecal Â» (secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées, ndlr) sont moins exigeantes pour les installations agricoles qui artificialisent les sols que pour le 1 % affecté à l’habitat réversible, qui subit des pressions normatives excessives. Nous réclamons un allégement des formalités, et leur conformité à l’engagement de non artificialisation des « porteurs de projet Â» (les habitants). Nous avançons la possibilité de promouvoir un coefficient de réversibilité des constructions. Nous revendiquons également l’application de la « loi d’orientation et de programmation Â» de 2003 portant une possibilité d’expérimentation dévolue aux collectivités, pour un accueil plus ouvert de l’habitat léger. Enfin, le Terrain familial locatif nous semble une voix institutionnelle importante. Recommandée par les préfets, aménageable par des bailleurs sociaux et décomptée au titre de la loi SRU, cette alternative aux aires d’accueil pour les gens du voyage donne la possibilité de mettre quelques caravanes autour d’un local de convivialité et ouvre des pistes.

 

D’a : Vous défendez le fait que ces habitats sont des habitats comme les autres et avez mis le mot « logement Â» dans l’acronyme de votre nom. S’agit-il d’un autre modèle d’habitat social ?

Nous partons des besoins des gens : tout le monde n’a pas la possibilité de trouver un logement, et l’habitat léger apporte aussi des solutions à la précarité, au loyer trop cher et au besoin d’autonomie. Il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas faire jouer le droit au logement pour un logement social, parce que la procédure est longue et qu’on se retrouve loin, seul, dans un logement coûteux. La reconnaissance de l’habitat léger dans ses caractéristiques sociales portées par les habitants décoince une situation bloquée par un système qui consacre tant d’argent à ne pas résoudre le problème de l’habitat et de l’hébergement. L’habitat léger est peu coûteux, il est appropriable, autoconstruit avec la possibilité d’un accompagnement technique. En réalité, les habitats légers sont reconnus de longue date, mais la loi Alur reste à double tranchant : elle reconnaît l’habitat démontable mais le contraint au maximum.

 

D’a : Quel est le rapport à la norme de ces habitations ?

En termes d’équipements, nous orientons les habitants vers des relais techniques attitrés. La demande est importante en termes de micro-éolien, capteurs solaires, filtration de l’eau et auto-assainissement, et les exigences de l’administration sont lourdes en termes de normes et d’organisme monopolistiques de contrôle. En termes d’écologie, bien des constructions légères réversibles dépassent en performance les normes environnementales et les attendus de non artificialisation des terres naturelles et agricoles – en premier lieu, les yourtes. Nous pourrions tranquillement revendiquer une aide à la toile à côté de l’aide à la pierre ! Car en plus de proposer à moindre coût un habitat sain, confortable, économique et nomade, on peut intégrer avec ce mode de construction des objectifs écologiques que l’habitat en dur ne pourra satisfaire, dont notamment le fameux « Zéro artificialisation nette Â».

 

Propos recueillis par Pascale Joffroy et Laureline Guilpain


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