Entretien avec François Taconet, d’Habitats Solidaires : Éviter le départ des copropriétaires pauvres

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 22/03/2020

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279

François Taconet, cofondateur et directeur général de la coopérative d’intérêt collectif Habitats Solidaires, prône un nouveau modèle d’opérateurs de l’habitat, adapté au redressement des copropriétés. Dans ces copropriétés, il plaide pour que soit redonné du pouvoir d’action aux propriétaires pauvres – pauvres économiquement et technico-administrativement. Il suggère de construire des convergences d’action entre épargne solidaire et argent public au sein de nouveaux opérateurs de l’habitat. Habitats Solidaires produit, par ailleurs, du logement à caractère très social et participe à des montages d’habitats participatif.

D’a : Quel est l’objet d’Habitats Solidaires ?

Le but d’Habitats Solidaires est d’apporter, sur un socle modélisable, des solutions sur mesure à des situations spécifiques de mal-logement. Habitats Solidaires est en quelque sorte une structure de recherche-action-innovation de maîtrise d’ouvrage sociale et participative. Elle a mis au point une procédure de « portage de lots dans les copropriétés Â» qui consiste à racheter les lots de copropriétaires défaillants pour rompre un cercle vicieux de mise en péril d’équilibres économiques individuels et collectifs et de dégradation physique des copropriétés. Juste après les émeutes de 2005, elle est intervenue sur la copropriété du Chêne-Pointu à Clichy-sous-Bois (93). Seule puis au titre d’une convention de partenariat avec la mairie de Clichy, elle y a racheté des logements mis en vente au tribunal, propriété antérieure de marchands de sommeil. L’objectif était de remettre ces « lots Â» dans l’offre de location très sociale. L’intervention à cet échelon permet d’éviter le départ ou l’aggravation des situations des plus pauvres.  

D’a : Comment est né Habitats Solidaires ?

Créée en 2003 à la suite d’une sollicitation du secrétariat d’État au Logement de Marie-Noëlle Lienemann, la coopérative émerge de réflexions collectives portées par trois principales structures associatives disposant d’un savoir-faire en maîtrise d’ouvrage d’insertion : SNL-Union, Bail Pour Tous et Pour Loger, que je dirige alors. Pour Loger s’est illustrée dans le relogement de divers squats parisiens, dont le célèbre 7, rue du Dragon.

 

D’a : Pourquoi votre travail dans l’énorme copropriété du Chêne-Pointu n’a-t-il pu aboutir ?

La convention est brutalement interrompue en 2011, du fait d’un retrait de la Région des partenariats de financement. Sur 873 logements du Chêne-Pointu à Clichy-sous-Bois, un peu plus de 700 seront démolis. C’est une perte de logements colossale. En amont, beaucoup de copropriétaires seront partis dans des conditions personnelles et financières désastreuses.

 

D’a : En quoi est-il si difficile d’intervenir dans les copropriétés en difficulté ?

La nomination d’administrateurs judiciaires liée à la dégradation importante des copropriétés dépouille les copropriétaires de leurs prérogatives individuelles et collectives. Parce qu’ils ont d’une certaine manière « Ã©choué Â» à « s’autogérer Â», les politiques et leurs experts deviennent décideurs à leur place. Maîtres d’ouvrage sur le bien d’autrui… D’un côté un représentant du pouvoir judiciaire, l’administrateur de justice, de l’autre un opérateur « technico-social Â» nommé par le préfet. Le premier a comme donneur d’ordre le tribunal, le second a comme donneur d’ordre collectivités et préfecture. Dans ce système, les copropriétaires sont absents de toute commande, et de toute participation réelle. Cette maîtrise d’ouvrage publique a été renforcée par la loi Alur, qui apporte de nouveaux moyens par la désignation d’opérateurs publics à ressources propres dans le cadre des Opérations de requalification des copropriétés dégradées d’intérêt national (ORCOD IN). On peut s’en réjouir, mais où sont les citoyens, en l’occurrence les citoyens-copropriétaires ?

 

D’a : Que préconisez-vous pour rendre le pouvoir d’agir aux copropriétaires précarisés ?

Dans les copropriétés en fragilité récurrente et pour éviter leur administration judiciaire irréversible, je propose que, sur les sites où la puissance publique a décidé de s’investir, soient créés des opérateurs de l’habitat d’un modèle nouveau d’économie solidaire mixte. Le capital de ces opérateurs serait constitué d’argent public et d’argent privé solidaire/citoyen. Ils seraient copropriétaires parmi les copropriétaires, posséderaient entre 5 et 25 % des logements d’une copropriété et seraient actifs au sein du conseil syndical. L’engagement de la puissance publique à moyen-long terme sur ces sites garantit le maintien ou même l’amélioration de la valeur patrimoniale. À titre d’exemple symbole : si une partie de l’impôt sur la fortune immobilière de Bernard Arnault, qui envisage la création d’une école d’excellence à Clichy-sous-Bois (ou Brigitte Macron devrait enseigner) était consacrée à des investissements solidaires mixtes sur des copropriétés clichoises fragiles, au côté d’épargne solidaire gérée des gestionnaires agréés et d’argent public, n’aurait-on pas là une expression forte de solidarité nationale ?

 

Propos recueillis par Pascale Joffroy et Laureline Guilpain

 

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