Eric Alonzo |
Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN Éric Alonzo a rejoint le petit groupe d’experts
chargés d’évaluer les dossiers des architectes candidats au crédit impôt
recherche auprès du MESRI. Il fait part de l’intérêt de sa mission à déterminer
le contenu de la recherche et de l’innovation en architecture tout autant que de
la difficulté de la profession à discriminer les travaux de R&D de leur
production courante. |
D’a : Dans quel contexte avez-vous été
sollicité pour expertiser les dossiers des postulants au CIR ?
Lorsque les agences d’architecture ont commencé à déclarer le CIR, le ministère de l’Enseignement supérieur (MESRI) a été contacté par l’administration fiscale pour évaluer des dossiers sur lesquels il avait peu d’expertise spécialisée. Il a donc sollicité un premier expert puis, sous l’ampleur des demandes, le cercle s’est élargi à plusieurs experts pour toute la France, tous rattachés à des écoles d’architecture. Avant de les instruire, on s’assure qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts, et l’on est bien sûr tenu au secret professionnel.
Il y
a une valeur épistémologique à déterminer le contenu de la recherche et de l’innovation
en architecture. Entre experts, il est nécessaire de nous forger une doctrine propre
à la discipline, d’extraire une philosophie du guide général du CIR. L’architecture
étant une science du faire, qu’est-ce qui, au sein d’une agence, peut être
appréhendé comme une activité de recherche ? C’est une appréciation
délicate, car on ne peut pas faire de distinction entre la discipline pure, qui
supposerait qu’il existe une recherche conceptuelle, et « l’opérationnel »
qui en serait un sous-produit.
D’a : Vous pointez un manque de discernement
des architectes dans l’évaluation de leurs travaux de R&D. Pouvez-vous
préciser ?
Tout
n’a pas vocation à être de la R&D, les architectes doivent parvenir à distinguer
les sujets de recherche des projets d’architecture. Certains nous soumettent
des books avec des contributions de
chercheurs, de critiques ou d’intellectuels, mais ce sont souvent des
publications à caractère essentiellement promotionnel. De même, développer des
ATEx, des prototypes, une modélisation 3D avec les BET ne constitue pas
une recherche pour autant. Dans les résolutions techniques d’un projet, il faut
bien discriminer ce qui est plus que la résolution d’un problème lié à un
projet particulier, fût-il compliqué à résoudre. Soyons francs, rares sont
aujourd’hui les agences qui ont une activité de R&D structurée en amont.
Beaucoup de dossiers consistent à la mise en forme, a posteriori, d’une sélection de travaux et d’études souvent
effectuée par des organismes de conseil. C’est un rapport un peu biaisé, car si
elles s’engageaient dans la R&D dès le départ, l’exercice serait plus
clair. Ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse pas mettre en évidence
rétrospectivement une activité de R&D. C’est là toute la difficulté…
D’a : Comment identifiez-vous ces
ingrédients d’une recherche qui n’en est pas une ?
Le respect
d’un certain formalisme est notre boussole : définir la problématique, les
hypothèses, dresser un état de la connaissance sur le sujet, mettre en place un
protocole, dégager des résultats de portée générale et reproductible, et promouvoir
les résultats au travers de colloques et de publications. Nous évaluons les
moyens mis en Å“uvre au regard des objectifs. Il est clair que cette aide
fiscale a suscité des démarches opportunistes chez certains, mais ce n’est pas nécessairement
une mauvaise chose car, la plupart du temps, il y a bien matière à R&D dans
les études menées dans les agences.
Après
l’examen de ces dossiers, on peut proposer une éligibilité partielle ne retenant
que certains travaux, comme nous pouvons aussi proposer de reformuler et de
mieux expliciter leur recherche. Dans tous les cas, cet avis n’est pas anonyme,
et le MESRI nous incite parfois à rencontrer les architectes, en cas de refus
notamment, pour expliquer nos choix de manière pédagogique. Il arrive alors
souvent de conseiller le recrutement de doctorants en architecture par le
dispositif Cifre, afin de mieux structurer leur recherche au sein de l’agence.
Cela prend du temps, mais cette acculturation est d’autant plus nécessaire qu’elle
permettra à terme de bâtir des projets de recherche explicites.
D’a : Les CIR vous semblent-ils un outil
qui peut réellement impacter la recherche et l’innovation en
architecture ?
C’est
un outil qui s’adresse à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille
et leur ancienneté. Par exemple, plusieurs jeunes agences mènent une approche
réflexive sur la commande et la manière d’y accéder, questionnent les outils, les
normes, les ressources constructives locales, dans un contexte de crise
environnementale, de doute et de raréfaction des finances de la maîtrise d’ouvrage
publique. Ils ont donc souvent à leur actif une part de R&D qui ne porte
pas son nom. Le CIR pourrait être un moyen de solidifier l’économie de ces petites
structures, c’est un réel coup de pouce. Plus nombreuses seront les agences à s’inscrire
dans le processus, plus elles contribueront à l’élaboration d’un savoir
cumulatif et transmissible, et donc à une meilleure reconnaissance de la
discipline. Ce dispositif s’inscrit dans une période particulièrement
intéressante dans cette longue histoire de débats sur la relation recherche-métier.
Si aujourd’hui la recherche formalisée est peu développée dans les agences d’architecture,
elle a vocation à l’être bien davantage. Le potentiel de la R&D en
architecture est considérable.
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