Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE Créée en 2005 en Suisse, UrbaMonde est une ONG d’appui
technique à la production sociale de l’habitat. Elle construit des partenariats
« publics-habitants » pour des quartiers d’habitation pensés et réalisés
par ceux qui y vivent. |
D’a : Quelle est la vocation de l’ONG UrbaMonde ?
L’objectif d’UrbaMonde est de promouvoir la production sociale de l’habitation, une « troisième voie » potentiellement plus productrice de logements que les secteurs publics et privés. Notre objectif est de faire en sorte que cette approche soit reconnue comme légitime – sinon légale – et durable. Conceptuellement, la force de la production sociale est d’être pensée de l’intérieur vers l’extérieur – l’habitat d’abord, puis le quartier, puis la ville. Cela permet aux besoins réels de s’exprimer. C’est en quelque sorte la vision d’Adolf Loos : assembler à partir des besoins de chaque pièce plutôt que partir d’une vision globale.
D’a : Comment cette production sociale de l’habitat est-elle
rendue durable ?
Dans son principe, la production sociale de l’habitat est reconnue
comme un des leviers de la ville durable par l’ONU. Le pragmatisme des
habitants est le meilleur décideur et s’inscrit dans la durée, contrairement Ã
un produit-logement vendu ; les choix changent ainsi de perspectives, y
compris pour des ambitions « innovantes » de bâtiments passifs, de
fermes urbaines, de limitation des espaces dévolus aux véhicules, ou encore d’espaces
communs et de studios de musique. On le constate aussi, l’autonomie des
habitants garantit la résilience de ces process aux changements politiques. Et
les outils non spéculatifs, lorsqu’ils sont utilisés, résistent mieux que les
autres aux crises financières.
Il faut d’abord veiller à faire accepter ces projets à travers des partenariats publics-habitants qui les différencient de la construction informelle. L’enjeu à tous les stades est d’activer « en sandwich » la pression de la base et son institutionnalisation par des conditions-cadres sur le foncier, le financement, les capacités d’étude, etc. Je suis convaincu que, dans cette mesure, la ville par les habitants peut s’imposer, dans les règles mêmes du marché libéral. Elle construit mieux et coûte moins cher. Zurich a voté une loi qui fait passer le canton d’un tiers de ce type d’habitat à 80 %.
D’a : Peut-on parler de méthodes partagées à travers le
monde ?
Les pratiques sont liées par leurs logiques
sous-jacentes et la mutualisation des expériences. Dans l’ouvrage Production sociale de l’habitat, nous analysons les points de convergence Ã
travers une dizaine d’exemples. Les étapes clés vont de l’organisation du
groupe sous différentes formes (community land trust, groupes d’épargne féminin, bauengruppe, etc.) à la négociation du terrain à travers des banques
des terres, des fondations, des achats de terrain, ou des techniques militantes
d’occupation : la Codha à Genève est née de l’occupation d’un immeuble
squatté, puis son rachat ; on trouve au Brésil des stratégies de plaidoyer
actif, avec des négociations tendues. L’accès au financement est un des leviers
clés ; les mécanismes d’épargne communautaires font fonctionner la
machine, mais l’obtention de garanties bancaires reste un problème. D’où l’activation
actuelle de mécanismes de financements solidaires pour multiplier les capacités
de prêts à la construction – le « Fonds pour un habitat
solidaire » d’UrbaMonde, parmi d’autres.
D’a : Comment faire pour que ces financements ne soient pas
« assistantialistes » ?
Il ne s’agit pas seulement d’une logique
nord-sud, il y a des possibilités sud-sud. Les fonds sont multidirectionnels,
de et vers l’Uruguay, le Canada, l’Europe de l’Est, la Suisse. Les placements
solidaires, garantis par des critères de gestion solidifiés, ont l’avenir
devant eux. Ce mécanisme d’aide existe en Suisse depuis plus de vingt-cinq ans
entre coopératives. Il fonctionne sur l’expérience et non sur la richesse.
D’a : Comment s’organise l’aide technique nécessaire à la
construction ?
Il existe plusieurs modalités : mandat d’études
et processus de dialogue parallèles, coécriture détaillée, AMO, etc. C’est une
obligation pour que l’État cautionne et garantisse. En Amérique du Nord et dans
le monde anglo-saxon, la notion de community architects s’est développée dans les années 1970 au sein des universités, qui
créaient des « studios » de projet au service des collectivités. En
Asie, le Community Architects Network présent dans une centaine de villes
développe aujourd’hui ses méthodologies. Concrètement, j’ai pu observer au
Sénégal des méthodes très fines de démocratie participative faisant converger
les groupes d’habitants vers des décisions claires et saisissables : des
approches par variantes chiffrées, par exemple, incluant le coût à long terme.
Du carrelage à la forme urbaine, on peut travailler à différentes échelles.
D’a : C’est un rapport très différent à l’architecture.
L’approche classique de l’architecture fait de
la forme le levier des évolutions sociales. Je pense l’inverse : l’innovation
sociale vient d’un groupe d’habitants qui veut construire autrement. L’architecte
ne peut qu’interpréter cette demande. Voyez à Zurich : c’est l’intelligence
collective qui fabrique le projet, y compris urbain.
D’a : Y a-t-il des résistances françaises à cela ?
La France a une tradition de la gouvernance
urbaine du haut vers le bas et peu de connaissances des mécanismes de la
démocratie directe. Les expériences de pouvoir habitant sont peu documentées
dans la littérature francophone. On ne sait pas traduire l’expression bottom up, ni community architects – « architectes communautaires »
a une connotation quasi terroriste ! Alors qu’il devait être le levier d’initiatives
habitantes, le principe du community land trust est devenu un outil de planification du territoire.
D’a : Comment sont financées les études ?
C’est un enjeu important, car les habitants doivent pouvoir commander
souverainement les études nécessaires. Les banques n’entrent souvent en jeu qu’Ã
l’autorisation de construire. Nous travaillons donc à la mise au point de
financements en amont. Ils prennent par exemple la forme de prêts relais d’étude,
soutenus par les financements solidaires.
Propos recueillis par Pascale
Joffroy et Laureline Guilpain
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