Aujourd'hui, c'est à l'aménagement et à la réhabilitation de territoires ayant chacun leur gouvernance que se confrontent les architectes-conseils de l'État (ACE), nés à l'ère de la reconstruction, de l'aménagement des territoires et de la toute-puissance d'un État financeur et maître d'ouvrage. Dans ce contexte, où leur expertise comble bien des manques, ils entendent réaffirmer leur mission et la faire évoluer.
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En 1950, Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction, nomme ses premiers architectes-conseils. Avec la reconstruction et la conquête du territoire, l'État centralisé entend mener une politique de qualité en réalisant des infrastructures lourdes, des équipements publics et des logements. Soixante ans plus tard, les architectes-conseils restent rattachés à ce ministère, désormais voué à l'Écologie, au Développement durable, aux Transports et au Logement. Mais qu'advient-il de leur rôle lorsque l'État se désengage ?
CHANGEMENT DE CAP CONFUS DANS LA GOUVERNANCE
Depuis 1950, leurs missions n'ont cessé d'évoluer au gré des politiques de l'État, mais la Révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en juin 2007 et la réforme des collectivités territoriales incitent à s'interroger sur la place du conseil. « Avec la décentralisation et la RGPP, l'État réduit drastiquement ses effectifs et transfère des prérogatives au secteur privé, rappellent Luc Weizmann et Christine Edeikins. Coordinateur et non plus aménageur, il affiche un changement de cap et d'identité de l'Équipement vers l'Écologie et le Développement durable, en regroupant au niveau départemental Équipement et Agriculture. L'expertise et l'assistance à la maîtrise d'ouvrage remplacent l'ingénierie opérationnelle avec, à terme, la question de la compétence des services. Parallèlement, les préoccupations sociales et environnementales reviennent au premier plan dans une France équipée où la "crise des banlieues" rejoint, par son échelle, celle de la reconstruction. »
Hormis les opérations conduites par l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) et certains projets spécifiques, l'État n'est plus guère porteur d'aides financières et c'est au tour des collectivités territoriales de décider de l'aménagement des villes et du devenir de nos paysages.
Concrètement, les ACE interviennent deux jours par mois. Sauf s'ils officient auprès des administrations centrales du ministère de l'Écologie, du ministère de la Culture ou dans une direction régionale des Affaires culturelles (Drac), ils sont rattachés à un département et interviennent sous l'autorité du préfet dans une direction départementale des territoires (DDT). Nées de la fusion des anciennes DDE (directions départementales de l'équipement), des DDAF (directions départementales de l'agriculture et de la forêt)
et des bureaux Environnement des préfectures, les DDT mènent les politiques d'aménagement et de développement durable des territoires. La réforme territoriale ayant réduit de fait les missions des anciennes DDE, les services sont fragilisés, les compétences diminuant au profit d'une résistance passive. Il faut par ailleurs redéfinir des périmètres et des compétences car les limites administratives évoluent, avec un questionnement sur la pertinence des communes et des départements et l'émergence des intercommunalités, des métropoles et des conurbations, où les services publics se superposent en millefeuille administratif.
DES MISSIONS CONTRASTÉES ET INÉGALEMENT RÉPARTIES
Avec la perte de pouvoir des représentations de l'État, les ACE sont moins sollicités. La dynamique de leur mission n'en est pas moins reconnue quand il faut analyser la spécificité de territoires tous différents, pallier des manques et nouer des contacts avec les acteurs locaux afin de conduire des projets.
« Si l'État n'est plus vraiment porteur d'aides financières, comment trouver une nouvelle justification de notre action? » s'inquiète Bernard Paris. Dans le Nord, département de 2,7 millions d'habitants dévasté par la crise, où des maîtres d'ouvrage de logements cessent de solliciter les subventions d'État pour échapper à la complexité des procédures, l'architecte-conseil ne chôme pas. Il a même été rejoint par l'un de ses pairs qui partage le suivi de 45 projets Anru et sa réflexion sur l'utilisation des subventions européennes de réindustrialisation.
En Seine-et-Marne, l'un des plus grands départements français, où les questions architecturales passent facilement à la trappe, Patrick Duguay est en revanche très sollicité sur les aménagements urbains et les opérations Anru. Jean-Paul Philippon – Seine-Saint-Denis – insiste sur la « nécessaire restructuration de l'action des architectes-conseils à l'échelon régional. C'est à nos interlocuteurs de nous solliciter, mais comment les contraindre à le faire? »
Intervenant sur des diagnostics de territoires comme La Courneuve,Tremblay ou Saint-Denis, il contrôle aussi les permis de construire de communes mal équipées en interne. Il participe à une réflexion sur le droit des sols et les PLU, ainsi qu'aux débats sur le Grand Paris. Si la communauté d'agglomération de Plaine Commune, mieux structurée, l'interroge moins, il est consulté sur des secteurs stratégiques comme le carrefour Pleyel. « Nous attirons l'attention sur la méthodologie car, sur certains territoires, les diagnostics techniques et culturels sont mal pris en compte. Pour ne pas réduire la ville à une série de "coups" et d'objets, certaines questions sont cruciales. Quand un élu décide de conserver ou de détruire, c'est un véritable enjeu. Il en va de même de l'impact des nouveaux tracés sur la vie publique ou de l'étude du parcellaire qui détermine les mutations futures. »
ACE depuis une quinzaine d'années, Christine Edeikins opérait dans deux départements ruraux avant de rejoindre la Drac Lorraine. « Les DDE jouaient un rôle clé dans la conduite des marchés publics et le conseil aux élus. Depuis que cette compétence semble s'être évaporée, nous sommes moins sollicités en amont. On nous appelle souvent pour tenter de rectifier des permis de construire mal engagés. C'est très perturbant pour les maîtres d'oeuvre et cela donne une mauvaise image des DDT. Dès mes deux premiers postes, j'ai été frappée par le brouillage des administrations déconcentrées, incertaines quant à leurs missions. En Drac, les choses sont différentes car elles interviennent en amont pour financer des projets. Pour l'architecte-conseil, l'idéal est d'être consulté par les conseillers des diverses disciplines lorsqu'ils montent un projet. En arrivant à la Drac Lorraine, j'ai vécu un moment idéal avec l'ancien directeur et sa conseillère architecture, également conservatrice régionale des Monuments historiques. En équipe avec eux, j'avais vraiment le sentiment de répondre à la mission qui est la nôtre. Ce support d'un conseiller pour l'architecture est essentiel pour que l'architecte-conseil soit sollicité. »
Nouveau venu au sein du corps, Bruno Dumétier a vu la DDE de la Haute-Loire se muer en DDT et les personnels changer de fonction. « La paysagiste-conseil et moi sommes présents ensemble pour fédérer des avis. Bien que tout cela soit fragile, nous sommes attendus. Pour une DDT, s'appuyer sur l'ACE permet d'établir des relations avec les collectivités. Le département étant divisé en trois secteurs, pilotés chacun par un délégué territorial, je les relaie car ils manquent des forces de travail nécessaires à la production des rapports destinés à aider les collectivités à créer un lotissement, un écoquartier ou un espace public par exemple. Les bailleurs sociaux me soumettent les projets en amont, ce qui est fondamental pour le choix des implantations. Une question pernicieuse tient à l'implantation de cellules ou de champs photovoltaïques. Des sociétés construisent gratuitement des bâtiments agricoles sur lesquels elles installent des panneaux qu'elles rentabilisent. Les agriculteurs qui l'acceptent héritent de bâtiments médiocres, qu'ils devront déconstruire dans dix ans. Nous alertons les maires et les agriculteurs sur ces projets opportunistes nullement durables. » Le développement des champs photovoltaïques sur des terrains boisés d'une vingtaine d'hectares loués à des filiales d'EDF et Veolia est un véritable détournement de la vocation de ces terrains. Or, lorsque la DDT le conteste, l'ACE, contraint à souligner les erreurs d'une politique d'État issue du Grenelle de l'environnement, est confronté au paradoxe de sa mission.
L'ARCHITECTE-CONSEIL, UN TRAIT D'UNION À VALORISER
« À la suite de la fusion des DDE et des DDA, les personnels issus de l'Équipement et de l'Agriculture et les spécialistes du littoral n'ont guère l'habitude d'oeuvrer ensemble. L'absence de langage commun me conduit à intervenir comme un trait d'union. Nous contribuons aussi à pondérer les clivages entre l'État et les collectivités locales et à faciliter les liens entre les départements et les régions », indique Patrice Dutard, ACE des Côtes-d'Armor. Si la diversité de leurs missions reflète celle des territoires, tous s'accordent à dire que si les grandes villes ont des services ad hoc, les maires des petites communes et les structures intercommunales les appellent fréquemment pour renforcer les moyens des services déconcentrés. Cette
action de terrain est d'autant plus importante que les ACE sont par ailleurs des professionnels libéraux en exercice. Aptes à expertiser des situations concrètes pour aider les élus, ils savent que toute opération repose sur des facteurs incontournables, de la préparation du programme au choix du site et du maître d'oeuvre, en passant par la définition du budget et du planning. Leur indépendance, leur expérience et l'acuité des responsabilités que leur fonction partage avec celles des maires facilitent les contacts, faisant
d'eux des interlocuteurs privilégiés.
Dans le cadre de la mutation inachevée des modes de gouvernance, ils ne peuvent que jouer un rôle précieux, en synergie avec d'autres acteurs locaux. « Nous comblons un véritable manque ; les élus des petites communes sont très seuls et les communautés de communes n'ont pas encore pris le relais de l'État», souligne Bruno Dumétier. Dans certains départements, les intercommunalités peinent à recruter des urbanistes dotés d'une véritable expérience qui manque aux jeunes. Initialement en charge de représenter l'État partout en France, les ACE peuvent aujourd'hui faire remonter au niveau national les réalités du terrain. Ils servent souvent d'arbitres en débloquant des situations et en compensant une absence de culture du projet au sein des services. Cristina Conrad, présidente du corps des ACE, insiste sur la force de permanence de celui-ci, sur son ancrage dans les territoires et sa capacité à capitaliser et à développer
des réflexions dans divers domaines. Face aux mouvances de l'actuelle redistribution des rôles, les ACE aspirent à devenir une force de proposition dans tous les territoires départementaux, régionaux ou national, en réseau avec l'ensemble des acteurs du conseil. Cette stratégie paraît d'autant plus pertinente que le regroupement Agriculture et Équipement devrait à terme renouveler les approches. Jadis ciblé sur des projets opérationnels, le travail rejoint désormais l'aménagement à plus long terme du territoire et les problématiques de la conduite sociale des projets avec des interactions constantes. Pour asseoir son rôle et le développer, le corps des ACE doit naturellement s'appuyer sur la capacité de synthèse propre à son métier. Il lui faut aussi renforcer sa visibilité et trouver les supports politiques et logistiques capables de
maintenir ses membres dans un réseau actif au niveau local, ce qui suppose vraisemblablement une formation des agents des collectivités. Au vu du trombinoscope, il importe également que les pré-papy-boomers, majoritaires, assurent la transmission en recrutant désormais des ACE parmi des quadras expérimentés.
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