Le 11 juillet 2023 à 8 h 30, « Caroline », la grande pelle mécanique de 120 tonnes, mettait à bas la dernière cage d’escalier de la « muraille de Chine », emblématique barre de logements sociaux du quartier Saint-Jacques à Clermont-Ferrand. Sous les caméras de France 3 Auvergne, devant le préfet du Puy-de-Dôme, la députée Delphine Lingemann et la sénatrice Marion Canalès – également présidente de la SEM Assemblia, propriétaire de l’immeuble –, le maire PS de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, se félicitait de cette « déconstruction », « l’une des décisions les plus importantes de [son] mandat1 ». « Dans vingt ans, on se souviendra que j’ai détruit la Muraille de Chine !2 » plastronnait-il dans La Montagne.
Gengis Khan municipal
Si cette rhétorique martiale et viriliste a pu justifier la démolition de bien d’autres grands ensembles et de bien d’autres « murailles de Chine » – dont celle du quartier Beaulieu-Montchovet à Saint-Étienne en 2000 – et si elle peut encore s’avérer efficace électoralement, elle semble aujourd’hui dépassée et anachronique, définitivement à contre-courant des enjeux actuels. La remise en cause de l’idéologie de la destruction créatrice, la prise en compte du patrimoine ordinaire et de l’énergie grise qu’il emmagasine, la conscience du poids du secteur du bâtiment sur l’environnement terrestre plaident en effet pour réduire voire stopper les démolitions. Démolir est un échec ; c’est l’acte sacrificiel par lequel on conjure l’impuissance à faire durer une construction. Comment en est-on arrivé à ce gâchis ?
Figure de proue du premier grand ensemble de la ville – une opération de 2 700 logements, initiée en 1955 et achevée en 1974 selon les plans de Georges Bovet3 –, le « bâtiment 101 », livré en 1961, était une barre longue et fine abritant 354 logements traversants – 16 T1, 102 T2, 118 T3, 102 T4 et 16 T5 – desservis par 14 cages d’escalier. Ses plus de 900 habitants, qui bénéficiaient des loyers les plus avantageux du parc social local, jouissaient aussi de la vue la plus imprenable sur la capitale auvergnate. Construit à la lisière nord du plateau basaltique de Saint-Jacques, l’immeuble surplombait en effet le centre de Clermont et sa cathédrale en pierres de Volvic, et s’ouvrait à l’ouest sur l’horizon volcanique de la chaîne des Puys. Légèrement coudé pour suivre la topographie, il superposait huit niveaux d’habitations sur un socle de services (locaux techniques, box, etc.) plus bas d’un niveau au centre pour épouser la forme d’un talweg. Tout en participant, telle une œuvre de land art, à structurer le paysage de la ville voire de la métropole, la barre de 320 mètres de long offrait ce paysage aux plus pauvres de ses citoyens.
Prise comme tant d’autres grands ensembles dans une spirale de stigmatisation de populations paupérisées et de dégradation de constructions plus aux normes, la « muraille de Chine » a fait l’objet de deux campagnes de travaux de réhabilitation : au tournant des années 1980, un ravalement (qui tenta de faire oublier son gigantisme sous un dégradé de camaïeux de brun) et l’installation de panneaux solaires sur le toit (pour assurer quand même 40 % de sa consommation électrique) et, au tournant des années 1990, le remplacement des menuiseries extérieures, la réfection des équipements sanitaires et électriques des appartements, la rénovation des halls d’entrée, ascenseurs, parkings et aires de jeux, etc.
En décembre 2012, un ambitieux projet de rénovation thermique a été (...)