Exposition "Timber Project", EPFL, 2005 par Yves Weynand et Hani Buri. Le prototype en panneaux de LVL "Tress Arc" exploite l'élasticité du matériau. |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER |
Dans un article paru en 2012, intitulé «
The Tectonics of Timber Architecture in The Digital Age1»,
Hani Buri et Yves Weinand, directeur du laboratoire IBOIS Ã
l’EPFL,énoncent l’avènement d’un nouvel âge digital de la construction,
après l’âge de l’artisanat et celui de l’industrie. Le titre fait
référence à la notion de tectonique, forgée à partir de la racine grecque
tekton, étymologiquement « le charpentier ». Elle est un héritage de
la théorie de l’architecture allemande du XIXe siècle, développée par Karl Bötticher puis
par Gottfried Semper2. Leur quête était celle d’une ontologie
de l’architecture qui ne chercherait plus en dehors d’elle-même ses motifs
d’expression. L’architecture ne devait plus être un simple support à une
ornementation extérieure, mais exprimer ses dispositifs constructifs
propres, être avant tout un « art de bâtir ». Ce concept de tectonique
a été revisité en 1995 par l’historien et critique d’architecture
américain Kenneth Frampton pour offrir une nouvelle lecture de
l’architecture moderne, qu’il estimait être trop souvent analysée sous
le seul angle de sa spatialité3. Si l’architecture moderne a
revendiqué une disparition de l’ornementation surajoutée, ce crime
dont parlait Adolf Loos, elle lui a en réalité proposée une nouvelle
forme, dans l’expression du « détail constructif ». Selon Kenneth
Frampton, la tectonique n’est pas qu’une simple affirmation de
la construction, souvent pauvre et muette ; c’est un art de la
fabrication qui exploite le potentiel d’expression poétique, tactile et
sensoriel de la matière, des outils et des métiers de sa mise en
oeuvre. L’ironie de l’histoire est que l’ouvrage de Kenneth Frampton
Studies in Tectonic Culture polarisait à l’époque le
débat universitaire américain en s’opposant à City of Bits de William
J. Mitchell, paru la même année, et qui annonçait l’avènement d’une
nouvelle ère de l’architecture, numérique, virtuelle et dématérialisée.
Considérant ce caractère virtuel et inconstructible des
architectures non standard issues des premiers outils informatiques,
Yves Weinand et Hani Buri se donnent l’objectif, non pas
d’inventer un set de solutions d’ingénierie au service de ces formes
étranges, mais de les revisiter entièrement à partir de leurs
problématiques constructives. Jugeant
intellectuellement insatisfaisantes les méthodes constructives qui
procèdent par saucissonnage des formes complexes, ou encore par
décomposition en facettes grossières, ils proposent une
approche synthétique des questions morphologiques et des questions
constructives. Leurs recherches visent à définir des modalités
de discrétisation algorithmique de ces surfaces complexes, pour
pouvoir les réaliser à partir de petits éléments répétitifs dont
l’assemblage formerait des structures spatiales ou « réciproques ».
Ces structures présentent selon eux un état d’équilibre ou d’adéquation entre
formes, schémas statiques et modalités constructives. L’enjeu est autant
d’inventer des modes constructifs adaptés aux formes de
l’architecture non standard que d’inventer les formes de celle-ci, Ã
partir de modalités constructives nouvelles, dans une logique de
consubstantialité.
« Timber Project »
Yves Weinand et Hani Buri énoncent
ainsi une tectonique de l’âge numérique (tectonics of digital age)
comme objectif prioritaire de leurs recherches. L’exposition «
Timber Project » rassemblait déjà en 2005 des expérimentations de
modes constructifs originaux, imaginés à l’EPFL dans le
cadre d’ateliers de projet d’architecture, en cycle de Master. «
Timber Project » présente ainsi une synthèse de cinq années de
travaux, entre 2000 et 2005, sous forme de maquettes à grande
échelle, comme autant d’hypothèses exploratoires de ces
nouvelles manières de construire. Ces pistes testent les capacités
morphologiques et mécaniques de structures spatiales tressées, tissées ou
plissées. Les deux premières exploitent l’élasticité du matériau
tandis que la troisième tire partie des panneaux de bois contrecollé
très résistants que l’industrie sait désormais produire dans des
dimensions architecturales. Étonnamment, ces modes constructifs
procèdent par transferts vers l’architecture des savoirs et savoir-faire
textiles (vannerie, tissage, tricot) et de l’origami japonais, tous
issus de cultures artisanales, dont les artefacts portent en eux la
mémoire du geste qui les a créés, qualité typiquement
tectonique. L’IBOIS se propose de les réinterpréter avec les moyens
numériques contemporains, à l’échelle de l’architecture. Les
structures tressées telles que Tress Arc exploitent l’élasticité des
grands panneaux de lamibois (LVL ou Laminated Veener Lumber en
anglais). Elles expérimentent la résistance des forces de friction ou de
frottement, essentielles dans la vannerie, mais qui sont actuellement
difficiles à prendre en compte dans les modes de
calcul conventionnels. De même, le projet
Continuity Tridimensionality est une structure spatiale qui évoque
l’entrelacement du ruban de Möbius. Elle est faite d’une nappe tressée de
quatre boucles constituées de trois lames chacune, qui se croisent en
un motif carré à son sommet. Ces recherches exploratoires et
empiriques menées initialement dans un studio d’architecture
sont aujourd’hui développées sous forme de thèses de doctorat dans le
but de les caractériser scientifiquement.
La chapelle Saint-Loup
L’autre domaine de recherche porte
sur les structures plissées, à la manière des origamis japonais.
Elles sont faites de plaques de bois contrecollé (CLT ou
Cross Laminated Timber en anglais) très minces en proportion de leur
portée. La structure tire sa résistance des plis dont elle
est formée. Le prototype de la chapelle Saint- Loup à Pompaples, dans
le Jura suisse, réalisé en 2008 démontre la faisabilité de ce type
d’approche. Il s’agit d’une petite structure plissée irrégulière dont le
développé s’inscrit dans un plan rectangulaire. Poursuivant la
référence aux origamis, les deux cours de plis perpendiculaires permettent de
décrire une nef intéressante, plutôt basse et large au niveau de
l’entrée des fidèles et étroite et haute à l’autre extrémité, où est
installé l’autel. Cette particularité est la conséquence directe
d’un développé rectangulaire : plus les élévations sont hautes, plus
le toit est étroit et vice versa. Les plis irréguliers
rythment l’espace architectural et sa lumière naturelle, tout en
définissant sa structure et son enveloppe. Cette construction est
réalisée en panneaux de CLT, de 40 mm d’épaisseur pour les murs et 60
mm pour la toiture qui présente une portée maximale de 9 m. Son
modèle informatique unique a servi à la génération de la forme, à son
dimensionnement structurel et à la conception des assemblages. Puis
il a été traduit en code d’usinage (G-code) pour la découpe sur une
machine à commandes numériques. Les différents panneaux
constituant chacune des faces de cette structure plissée sont réalisés en
panneaux de bois contrecollés, assemblés à coupe d’onglet selon les
différents angles déterminés par les pliages. Toutefois, les assemblages
y sont encore assurés par de fines platines métalliques continues,
sur toute la longueur des plis. En revanche, les derniers travaux du
laboratoire permettent désormais de s’affranchir de ces platines métalliques pour
relier les panneaux entre eux.
Le pavillon de Mendrisio
En effet, l’IBOIS a présenté en
2013 un nouvel édifice démonstrateur sous la forme d’un pavillon
exposé à l’école d’architecture de Mendrisio. Ce prototype explore
les propriétés architecturales et techniques de structures plissées
faites d’éléments courbes s’assemblant sur leurs arêtes cintrées,
grâce à des découpes à queue d’aronde minutieusement adaptées à la
complexité géométrique de la situation. Le pavillon de Mendrisio est un
simple portique de 13,5 m de portée par 4 m de largeur pour 3 m de
hauteur utile. Les panneaux de bois contrecollé de 77 mm qui le
composent présentent tous le même rayon de courbure pour des questions
d’économie de réalisation à partir d’un moule unique. Le toit de ce
portique est réalisé en trois parties : les deux panneaux courbes
d’extrémités, convexes, s’assemblent avec le panneau central,
concave. Les deux pignons présentent une courbure concave qui
assure la stabilité de l’édifice dans toutes les directions. La
double courbure inversée de la toiture offre une rigidité maximale
au regard de sa flèche. Les panneaux de bois contrecollés ont été
réalisés par l’entreprise allemande Merk. Cinq lits croisés de
planches de 15,4 mm ont été collés successivement puis pressés pour former ces
panneaux de 77 mm d’épaisseur. Le croisement des fibres du bois a
garanti une excellente stabilité de la courbure après pression, sans
élasticité résiduelle. Ces panneaux courbes ont ensuite été
découpés et usinés sur un centre de taille à commandes numériques
pour réaliser des découpes des liaisons à queue d’aronde. De la
sorte, l’assemblage n’est plus un tiers élément qui unit les deux
premiers mais une singularité de la découpe de chaque panneau. Il
offre la possibilité architecturale de lignes élégantes évoquant les
savoir-faire de la menuiserie. Ces assemblages « intégraux » offrent aussi
de bonnes caractéristiques mécaniques en répartissant les efforts sur
toute la longueur de l’arête, tandis que les éléments métalliques ont
tendance à concentrer les efforts sur des points particuliers très
sollicités. D’autre part, les équerres métalliques utilisées lors de
la construction de la chapelle Saint-Loup étaient inadaptées Ã
une configuration de lignes d’arêtes courbes.
Ceci ne tuera pas cela
On peut toutefois douter que ces
recherches témoignent de l’avènement d’un nouvel âge digital qui
remplacerait l’âge industriel comme ce dernier aurait remplacé l’âge
artisanal. Ces prototypes sont réalisés comme des pièces uniques sur
des machines numériques, mais ils exploitent des matériaux hautement
industriels comme les panneaux de CLT ou de LVL. Les machines
elles-mêmes, comme la plateforme numérique qui les exploite, sont les
fruits des développements de l’industrie, dans une perspective
d’amélioration de la productivité avant tout. Enfin, les modes
constructifs textiles ou plissés expérimentés sont des transferts de
savoirs et savoir-faire de domaines artisanaux. Alors, plutôt que d’y voir
une nouvelle ère qui effacerait le passé, il est sans doute préférable
d’interpréter cet âge digital comme une période de coexistence entre
des régimes techniques différents, une période de nouvelles
égalités, libérée de l’impératif de standardisation de l’industrie du
XXe siècle.
Lisez la suite de cet article dans :
N° 256 - Septembre 2017
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