Le cas de la maison de retraite de Castelnau-Montratier. |
Après
avoir levé le voile sur les normes et leurs incohérences (d'a
n° 204), élargissons le sujet par un cas d'école : la
maison de retraite de Castelnau-Montratier dans le Quercy. Cette
Å“uvre des architectes Gouwy, Grima, Rames (GGR) ayant valeur de
manifeste pour la vitalité des villages ruraux, n'en est pas moins
menacée de fermeture. Étonnant non ?
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À la fin des années quatre-vingt, grâce à l'engagement d'un élu et d'une équipe d'architectes, de belles maisons de pierre délaissées ont pu être transformées en une maison de retraite modèle, saluée par la presse architecturale et l'ouvrage de notre consœur Pascale Joffroy, La Réhabilitation des bâtiments aux éditions du Moniteur.
Face à l'abondance de la glose sur le développement durable, pourquoi cet équipement, qui contribue à la vie, à la pérennité et à la mixité d'un cœur de village, tout en assumant pleinement sa mission sociale, est-il aujourd'hui menacé de fermeture ? Au nom de quel mitage du territoire faudrait-il le remplacer par la construction d'un équipement neuf sur un terrain non desservi, à l'écart du village ? Rappel des faits et rencontre avec l'architecte Jean-Luc Rames.
Rappel des faits
Dressé depuis le XIIe siècle sur un éperon rocheux du Quercy, le village de Castelnau-Montratier (deux mille habitants) a subi les affres de l'exode rural. En son cœur, derrière leurs belles façades de pierre préservées, plusieurs habitations frôlaient l'abandon. Sur la place Gambetta et dans les ruelles adjacentes, des constructions médiévales et de belles maisons à arcades sont inscrites à l'Inventaire des monuments historiques.
À la fin des années quatre-vingt, soucieux de préserver la vie de son village, l'ancien maire décide d'inventer un nouveau projet pour ce cœur de village. Exemplaire dans sa mixité et la réutilisation du bâti ancien, sa démarche relève d'un bon sens assez rare aujourd'hui, mais aussi d'une mobilisation intelligente des financements possibles. Un centre culturel se réapproprie la Poste désaffectée et le maire fait racheter par la commune, une à une, une dizaine de maisons à l'abandon afin d'y accueillir des logements HLM et l'extension de la maison de retraite. Le projet d'architecture est réalisé par un enfant du village, Jean-Luc Rames, l'un des membres de la talentueuse agence toulousaine Gouwy, Grima, Rames. La réfection des voiries, confiée à ces mêmes architectes dans le cadre d'une opération initiée par le conseil régional, parachève discrètement cette revalorisation.
Rencontre avec l'architecte Jean-Luc Rames, de l'agence GGR
DA : En 1988, la maison de retraite est inaugurée. À cette époque, où l'on vit beaucoup moins qu'aujourd'hui sous la dictature de normes de toutes sortes, quel est selon vous le plus exemplaire dans cette réalisation ?
Jean-Luc Rames : Réhabiliter un bâti existant insalubre de cette ampleur en milieu rural est assez rare. L'ignorance des possibilités d'adaptation aux modes de vie actuels de ces vieux bâtiments en cœur de village et la facilité sont souvent à l'origine du déplacement des habitants vers des lotissements excentrés. À Castelnau, parmi les maisons réhabilitées, certaines présentaient un intérêt architectural moindre que d'autres, mais toutes contribuaient à une harmonie. Valoriser l'ensemble au profit d'une maison de retraite offrait de nombreux avantages. C'est une façon de préserver la typologie du village en évitant la construction d'un gros bâtiment neuf, mais aussi d'installer la majeure partie des locaux sur un seul niveau autour d'un espace central. Cela facilite la mobilité des personnes âgées, qui restent dans un univers connu par ses formes et son échelle, éclatée en petites unités faciles d'accès.
DA : Ce projet était porté par les élus, mais aussi par vous-même…
JLR : Je suis originaire de ce village où un nouveau maire venait d'être élu. Il nous avait confié la construction d'une nouvelle salle des fêtes et par souci d'équité, l'un de nos confrères s'était vu confier la rénovation d'un hospice installé dans l'une des maisons de ce cœur de village.
L'ancienne salle des fêtes occupait un bâtiment voisin, qui a donc été libéré. Le projet de rénovation de l'hospice conçu par notre confrère prévoyait la démolition de l'ancienne salle des fêtes pour créer une extension à l'hospice existant. Ce projet ayant achoppé au stade de l'APD, le maire nous a demandé de reprendre l'affaire à ce stade et nous avons décidé ensemble de faire évoluer le projet pour sauver ces bâtiments. Ces maisons de village n'ayant guère la cote tant leurs propriétaires peinaient à les entretenir, une proposition de rachat a été faite à dix d'entre eux et le projet de réutilisation que nous proposions a séduit le conseil municipal.
Nous avons respecté les limites budgétaires du projet initial et accepté de renoncer à demander des honoraires d'études jusqu'à l'APD, qui avaient été réglés à notre confrère. S'agissant d'un projet complexe à ajuster sur le plan financier et en termes de surfaces, il y a donc bien dans notre démarche une part de militantisme couronnée de succès, puisque ce projet a fédéré l'installation d'autres équipements dans des bâtiments repris par la commune : une médiathèque, une salle d'exposition, des logements sociaux. En nettoyant le cœur d'îlot, nous avons créé un cloître central qui relie l'ensemble.
DA : Pourquoi la fermeture de la maison de retraite est-elle envisagée ?
JLR : Après trois mandats successifs, l'ancien maire a souhaité se retirer. Son successeur a poursuivi sa démarche, mais le maire actuel semble s'en démarquer. Une communauté de communes gère désormais la maison de retraite. Selon ses ratios, un équipement n'est rentable qu'à partir de soixante-dix lits, alors que celui-ci n'en compte que cinquante. Parallèlement, les normes de sécurité incendie ayant évolué, l'escalier monumental non encloisonné n'est plus aux normes, une difficulté surmontable par l'application de mesures compensatoires, qui devraient faire l'objet d'une étude sérieuse.
La communauté de communes souhaite donc abandonner les locaux actuels sans égard pour la vitalité du village, en arguant qu'une maison de retraite en cœur de village est inutile pour des pensionnaires qui ne sortent pas beaucoup et qui seraient de plus en plus dépendants.
DA : Cela n'est-il pas en totale contradiction avec les objectifs de développement durable, dont tout le monde vante les vertus à longueur d'année ?
JLR : Nous avions pris en compte ces valeurs, notamment en récupérant les maçonneries et en évitant de démolir ces maisons pour reconstruire ailleurs. Le problème de la déshérence du village se posera à nouveau si la maison de retraite est fermée. Outre les questions de consommation du territoire, la construction d'un nouveau bâtiment sur site excentré imposera également des travaux de desserte et de voirie. C'est paradoxal, alors qu'une ancienne école privée vient de fermer, libérant les locaux mitoyens de la maison de retraite. Un projet de rachat de ces locaux permettant d'agrandir et de mettre aux normes l'équipement actuel ne mérite-t-il pas d'être étudié au profit de tous ?
Propos recueillis par Christine Desmoulins
Et pour conclure
Dans l'attente d'un épilogue qui nous échappe aujourd'hui, ce cas montre une fois de plus qu'un maire et un architecte, unis par un engagement et une responsabilité juridique comparable, sont bien plus efficaces que des normes ou des gouvernances complexes pour partager des convictions sociétales, économiques et patrimoniales au nom du bien commun.
Photo : Autour d'une cour commune, huit maisons ont été annexées à l'ancien hospice. Sur la place, l'une d'elles accueille l'entrée principale et l'administration. Vouées à l'hébergement, les maisons et la salle des fêtes sont rattachées au bâtiment principal par une galerie vitrée qui encadre un petit jardin discret, refermé sur lui-même. La démolition d'appentis en fond de parcelles a libéré au centre de l'îlot un autre jardin, qui fédère les divers éléments du programme. Des chambres trouvent une terrasse sur cet espace et deux cheminements à sa périphérie facilitent les allées et venues des personnes âgées dans le village.
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