Des écoles en quête de crédibilité

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 10/05/2007

ENSAP de Lille, enseignement du projet, PFE 5e année

Dossier réalisé par Emmanuel CAILLE
Dossier publié dans le d'A n°164

Essayez de parler de l’enseignement de l’architecture aux architectes ou même aux enseignants, ils lèveront les yeux au ciel en signe de lassitude, comme si la litanie des réformes qui se succèdent depuis quarante ans, était la preuve de l’impossibilité de faire évoluer positivement les choses. Heureusement, de bons architectes continuent de sortir des écoles d’architecture mais aussi, hélas, beaucoup encore de mauvais et qui souvent le resteront. Le dire expose évidemment à passer pour un grossier personnage, un sans-cœur qui n’aime pas les jeunes et ne sait pas voir tout le potentiel de sensibilité et de créativité prêt à s’exprimer en chacun d’eux, un pédant qui veut la mort de la corporation. Cet aveuglement ne cache-t-il pas la crainte de voir se révéler la carence d’un système d’enseignement devenu sclérosé et souvent déficient ? Le fait que la majorité des enseignants soient dévoués, enthousiastes et compétents doit-il empêcher de dire haut ce que presque tout le monde pense tout bas ? Les causes du malaise sont connues mais comme un secret de famille. Mis à part le manque de moyens, il est impensable de les dévoiler au grand jour : endogamie du milieu, laxisme, absentéisme, absence de rigueur scientifique et pédagogique. Cette analyse apparaîtra injuste à certains, tant la situation est inégale au sein des vingt écoles françaises, quelques-unes ayant relevé le défi d’un assainissement salutaire, aidées en cela par la remise en question inhérente à l’application de la réforme LMD.


Est-ce une discipline que l’on enseigne ou un métier ? La nature même de l’architecture porte en elle des questions qui ne peuvent se résoudre, façonnant depuis toujours par cette impossibilité une discipline qui se nourrit de ses contradictions ou en dépérit. Faut-il rattacher son enseignement au ministère de la Culture, à l’Équipement ou à l’Enseignement supérieur ? Ballottée de famille d’accueil en famille d’accueil, l’architecture, finalement hébergée par la Culture, était devenue le parent pauvre des études supérieures. Devant ce qui pouvait apparaître comme l’inéluctable destin de  cet enseignement, l’État a pris deux décisions qui ont tenté de faire mentir ce pessimisme récurrent. La première fut la mise en Å“uvre d’un important investissement patrimonial de rénovation, agrandissement ou reconstruction de presque la totalité des vingt écoles, ce dont témoigne un livre publié il y a quelques mois, Architecture des écoles d’architecture1. La deuxième fut la mise en place de la réforme du LMD (licence-master-doctorat) dont les objectifs principaux étaient de se mettre au diapason des écoles européennes et de créer les conditions d’élaboration d’un doctorat en architecture. Les deux premiers cycles, licence (trois ans) et master (cinq ans), après un accouchement dans la douleur, se mettent progressivement en place dans les écoles, ces dernières faisant preuve d’un pragmatisme et d’une réelle inventivité. Quant au doctorat, si la gestation paraît en bonne voie, son acte de naissance n’est pas encore signé. Cette réforme, dont les décrets d’application ne sont pas encore tous publiés, est un vaste chantier qui, s’il a fait beaucoup grincer des dents, aura eu le mérite d’engager un débat sur de nouvelles bases.


Incidemment, la réforme semble en tous cas avoir tranché sur un point : les architectes français sont depuis longtemps atteints d’un complexe d’infériorité, pour beaucoup justifié, par rapport à leurs voisins européens quant à leur capacité à se former avec un minimum de culture constructive. Les cinq premières années du LMD, centrées autour de la culture du projet, concept à la fois suffisamment riche et flou pour que chacun y mette ce qu’il veut, n’auront plus l’obligation d’entretenir l’illusion de préparer à ce savoir-faire professionnel, ce que de toutes façons elles n’avaient jamais su faire. Ces lacunes sont aujourd’hui censées être comblées par une « habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre » (HMONP, voir le lexique page 45), formation complémentaire de six mois mêlant cours et expérience en milieu professionnel afin d’acquérir un minimum de connaissances sur la constructibilité du projet, son économie, son chantier et son cadre juridique. Trop longue selon certains étudiants, inutile pour certains enseignants, trop courte pour certaines organisations professionnelles, cette HMONP – dont l’obtention devient un sésame pour l’inscription à l’ordre des architectes et donc à la signature d’un permis de construire – a fait l’objet d’intenses polémiques. Bon gré mal gré, chaque école semble aujourd’hui mettre en place ce système selon ses possibilités et la conception qu’elle s’en fait ; celle de Versailles, par exemple, encourage ses étudiants à partir travailler et voyager au moins plusieurs années avant de revenir passer cette habilitation.

Car en dépit du peu d’autonomie des écoles françaises, l’une de leurs caractéristiques est la grande hétérogénéité de leurs contenus pédagogiques, aussi bien entre elles qu’au sein même de chaque établissement. Cette réalité révèle à la fois la difficulté et l’incapacité d’élaborer en commun un cursus maîtrisé et rigoureux. On peut cependant voir en ces disparités une forme de richesse, même si cette diversité est plus souvent le prétexte à protéger des fiefs d’intérêts liés à des personnes ou à des disciplines sans proposer de véritables approches originales.


Sans le dire explicitement, cette réforme devrait également signer la fin du diplôme, en tout cas d’une forme de diplôme telle que l’on peut en faire remonter l’histoire à plus d’un siècle2. Rappelons que jusqu’à présent, l’étudiant, pour parachever ses études, choisissait lui-même son sujet, le lieu et le programme, ainsi que l’enseignant qui le dirigeait. Il disposait de plusieurs années pour le réaliser et choisissait son jury. Cette épreuve initiatique consacrait l’architecte comme auteur. Cette forme d’adoubement a eu le mérite de produire quelques diplômes d’une qualité exceptionnelle, fruits d’un long et complexe travail de réflexion. La contrepartie de cette liberté est que nombre de diplômes, d’une qualité souvent indigne, étaient accordés avec une telle indulgence qu’il était impossible, à qui possédait un minimum de volonté, de ne pas l’obtenir. Cette réalité est sans doute l’une des causes majeures de la perte de crédit des architectes, aussi bien dans le monde de la construction que dans les milieux intellectuels et, bien sûr, de la médiocre qualité de la production architecturale en général. Pour beaucoup, cette démission venait symboliquement consacrer un système où le laxisme était souvent érigé en mode de fonctionnement. C’est un sujet éminemment tabou, qu’il serait trop facile et injuste d’expliquer par la seule carence d’une partie du corps enseignant. On remarquera cependant que le recrutement de ce dernier pose de manière récurrente la question de la crédibilité du jury. Le système mis en place depuis une dizaine d’années, dans lequel les écoles définissent elles-mêmes le profil des postes à pourvoir, n’a-t-il pas renforcé l’endogamie naturelle du système ?

Le dispositif qu’instaure l’enseignement du groupe de projet porte en lui-même un risque de perversion : il s’y noue inévitablement, entre l’enseignant et l’étudiant, des relations personnelles, fusionnelles ou affectives, dont on comprend qu’elles portent à l’indulgence. On entend dans les écoles d’architecture des phrases impensables ailleurs : « on ne peut pas lui mettre moins de la moyenne, sinon il devra repasser son semestre Â» ou « elle a déjà redoublé, on ne peut pas la faire encore recommencer ! Â». Arrivent ainsi en cinquième et dernière année trop d’étudiants qui « n’ont pas le niveau ». Avec la mise en place du projet de fin d’étude (PFE) par la réforme – remplaçant le TPFE, il ne permet heureusement plus de choisir son jury et n’accorde plus qu’un délai d’un semestre –, les enseignants se retrouvent souvent avec un trop-plein d’étudiants à faire redoubler et la menace d’un sureffectif l’année suivante dû à l’arrivée de la quatrième année. La tentation est alors grande d’accorder par lassitude leur diplôme à ces étudiants.

Une autre raison de ce laxisme n’est-il pas la conséquence indirecte de l’un des plus anciens problèmes rencontrés dans les écoles : l’absentéisme des enseignants praticiens ? Si cela ne concerne heureusement qu’une minorité et que l’optimisme du ministère et des directeurs y voit quelque chose qui appartiendra bientôt au passé, ce phénomène touche presque tous les établissements et revêt de multiples formes : constituer un binôme pour ne venir qu’une semaine sur deux, envoyer des salariés de son agence pour se faire remplacer ou faire embaucher des vacataires. Comment être exigeant avec ses étudiants lorsqu’on ne l’est pas avec soi-même ? On comprend que cet absentéisme engendre, par la culpabilité qu’il déclenche, une indulgence envers des étudiants à qui il serait difficile de reprocher le manque de travail…

Le tableau peut paraître sombre et injuste envers à ceux qui ont la vocation et la générosité d’enseigner à un tarif plus bas et pour des charges horaires plus fortes qu’à l’université. Pourquoi en effet s’attacher à des problèmes d’intendance alors que les questionnements théoriques et pédagogiques sont autrement plus valorisants ? Parce que l’opportunité de remise en question qu’offre la réforme en cours est une chance dont il faut se saisir et parce que la juste ambition des nouvelles écoles nationales d’architecture d’accéder au rang de grandes écoles et de former à l’un des métiers les plus complexes de nos sociétés ne pourra pas se réaliser tant qu’elles n’auront pas la rigueur requise, ce dont elles ont jusqu’à présent manqué.

Emmanuel Caille


Notes

1. Architecture des écoles d’architecture, hors-série dela revue d’a, 196 pages, 20 euros.

1. Cf. les trois articles de Marie-Jeanne Dumont, « Vie et mort d’un diplôme Â», parus dans nos numéros 150, 151 et 152 (novembre 2005, décembre 2005 et janvier-février 2006).


Petit rappel sur la réforme en cours


Historique
C’est à Bologne, en juin 1999, que
29 ministres européens ont lancé un
projet commun de réforme des études d’architecture, le LMD (licence-master-doctorat). Seules trois écoles délivreront encore le DPLG jusqu’au 31 décem-
bre 2007. Ces mesures concernent plus de
20 000 étudiants en France.

Principe

Bac + 3, + 5, + 8. La formule paraît simple et semble réduire l’obtention du diplôme d’architecte à cinq années d’études. Les trois premières donnent droit à une
licence d’architecture validée par les écoles et les deux suivantes à un diplôme d’architecte valant grade de master. La validation de la licence au terme de la troisième année rend possibles les équivalences et les changements de cursus. Néanmoins, fait nouveau, le master à bac + 5 ne permet ni l’inscription à l’Ordre, ni l’exercice de la profession. Contrairement à l’ancien Travail personnel de fin d’études, le temps d’obtention du diplôme est raccourci à six mois et sera sans doute mieux encadré.

Objectifs
Le bac + 5 en architecture deviendra alors une formation généraliste, étape préalable à toute spécialisation (en patrimoine, en ingénierie, etc.) ou à un cursus universitaire (recherche, enseignement...). Les étudiants choisissant de se spécialiser sont amenés à suivre trois années supplémentaires de formation doctorale (bac + 8), alors que les autres devront acquérir une HMONP (habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre) d’une durée encore indéterminée, sous la tutelle d’un praticien. Un communiqué de l’UNSFA préconisait pour la HMONP une durée de deux à trois ans. Troisième possibilité : préparer un diplôme spécialisé en architecture (DSA) en suivant un à trois ans d’études. Ces trois directions devant permettre de varier les profils et les compétences des architectes et de labelliser les cursus afin de faciliter la mobilité des étudiants et les admissions par équivalence au sein de l’Union européenne.

Critiques
Si la mise en place d’un système européen homogène est profitable aux étudiants, le volet de la professionnalisation a suscité des inquiétudes. L’habilitation à la maîtrise d’œuvre a été maintes fois rebaptisée pour calmer certains étudiants. « Cette réforme, soulignent les étudiants élus de l’école d’architecture de la Villette, modifie le rôle de l’étudiant dans la société. Elle le place dans une situation d’adaptation conjoncturelle à une profession en crise, plutôt que de permettre aux écoles de mettre en place une réflexion critique à même de transformer la vision de l’architecte. »
Comment et par qui valider la formation professionnalisante ? Par l’école, les entreprises ou l’ordre des architectes ? Si le diplôme devait être validé par l’entreprise, cela supposerait une privatisation du titre d’architecte. L’État sera-t-il alors encore garant du titre ? Le caractère réglementé de la profession risque-t-il de disparaître ? Quels seraient les critères d’évaluation des différentes catégories d’agence ? 
Certains enseignants et architectes ont redouté « une main basse de l’Ordre
sur l’enseignement de l’architecture Â», l’Ordre rappelant par ailleurs sa responsabilité ordinale. 


Les étudiants en chiffre :

source DAPA 2007


> Les vingt écoles nationales supérieures d’architecture ont accueilli 19 908 étudiants, dont 18 670 en formation initiale (Ie et IIe cycles DPLG) et 664 étudiants en post-master.
3 070 étudiants se sont inscrits en pre-mière année.

> La région Île-de-France représente
43,0 % de l’effectif total des étudiants. L’Ensa Paris-la Villette est l’établissement le plus grand avec 2 659 étudiants. L’Ensa de Saint-Étienne, le plus petit, en compte 425.

QUI SONT-ILS ?
> 15,2 % des étudiants sont d’origine étrangère.
> Parité sexuelle : 50 % sont des étudiantes.
> 20,6 % des étudiants bénéficient d’une bourse.
> 51,2 % des DPLG ont passé un bac S ; 8,7 %, un bac L et 9,3 %, un bac ES.

> L’origine sociale
Les enfants d’ouvriers et d’employés ne représentent que 10,7 % des diplômés, ceux dont les parents exercent des professions supérieures, 26,1 % ; libérales, 12,6 % et intermédiaires, 12,4 %.

Le diplôme
1 472 étudiants ont été diplômés en 2006.
La durée moyenne pondérée d'obtention du diplôme est estimée à 7 ans, 10 mois et 17 jours !
Taux brut d’obtention du diplôme : 69,3 % (contre 56,4 % un an auparavant). En Île-de-France, 78,2 % ; en régions, 63,8 %.
Nombre de diplômés rapporté au nombre d’étudiants nouveaux huit ans plus tôt : moyenne nationale, 69,3 % ; la Villette,
100 % ; Île-de-France, 78,2 %, Normandie, 37,0 % ; autres régions, 63,8 %.

L’emploi/les revenus
Durant leurs études, 65 % des étudiants ont occupé au moins un emploi de plus de trois mois.
Les deux tiers accèdent à un emploi en moins de trois mois, dont 38 % directement à la sortie de l’école. 16 % des diplômés ont mis plus de six mois à trouver un premier emploi. Les difficultés d’accès au premier emploi sont moins sensibles dans les promotions récentes.
Le premier emploi est généralement celui de salarié dans une agence (77 % sont salariés). Par rapport à 1998, cela représente un net accroissement du salariat au détriment des indépendants.
Chômage : selon une enquête sur envoi de questionnaire, 92 % ont un emploi, alors que seulement 86 % déclaraient en avoir un en 1998.
Les diplômés actifs pratiquent très majoritairement la maîtrise d’œuvre architectu-rale (73 % sur 92 % d’actifs). Un cinquième des diplômés travaillent dans le domaine de l’urbanisme, des études techniques et de l’assistance à la maîtrise d’œuvre.
16 % des diplômés débutent en profession libérale.
Revenu médian : 18 000 ? annuels pour les promotions récentes, 25 000 ? pour les promotions les plus anciennes.
Les domaines dans lesquels les besoins de formation sont les plus forts sont la gestion de chantiers (42 % des diplômés), l’économie et la gestion (33 %) et les techniques de construction (30 %).

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