La coopérative COVISEP, projet pilote àCochabamba en Bolivie |
Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE La forme coopérative
connaît dans le monde un développement significatif. Par nature antispéculative
(revente des parts hors prix du marché), elle contient les prix ; attachée
à des valeurs de gouvernance démocratique (1 personne = 1 voix) et de
solidarité, elle peut s’ouvrir dans certaines conditions aux plus démunis. Un « apport travail » (c’est-à-dire
de l’autoconstruction) est en effet substituable à l’apport financier des
coopérateurs. Née des luttes contre les
taudis au XIXe siècle et de la quête d’un logement accessible pour les
ouvriers, la coopérative d’habitation s’est, au XXe siècle,
développée massivement au-delà de l’Occident. |
Uruguay : une longue tradition
En Uruguay, la dynamique militante du mouvement des coopératives « créées par les habitants eux-mêmes et pour eux-mêmes » est consécutive à la crise économique des années 1950. Condamnés à s’éloigner de leurs lieux de travail ou à s’installer informellement sur des fonciers instables, des groupes d’ouvriers ont créé les premières coopératives de logement au milieu des années 1960 pour en faire un outil de la revendication du droit au logement et à la ville. Si la forme collective ne supprime pas le besoin en apports financiers nécessaires pour l’acquisition préalable du terrain, l’investissement physique des membres réduit partiellement l’investissement financier. Chaque famille s’engage à l’autoconstruction pour soi et pour le collectif, participant à une réduction du coût final (estimé inférieur de 40 % à une réalisation standard) et à l’élaboration d’un capital social valorisé en cas de revente des parts. La solidarité entre les membres est encouragée par la mise en place d’une épargne commune (coopérative dite « par aide mutuelle »).
Les premières
coopératives uruguayennes se sont appuyées sur un texte de loi destiné au
départ à aider des promoteurs par un abondement de l’État à partir d’une
capacité d’autofinancement de 15 %. Quelques années plus tard, en 1968, le
gouvernement uruguayen donnait un cadre légal au mouvement dans la Loi
nationale du logement. Dans le même temps, elle facilitait activement les
subventions publiques versées directement aux coopératives et créait des
banques de terres municipales qui mettent à disposition et préfinancent des
terrains. Certaines villes aident aussi au financement des études et appuis
techniques.
L’Uruguay compte aujourd’hui
près de 600 coopératives de logements correspondant à près de 100 000 personnes
logées sur 3 millions d’habitants. Certaines « grosses »
coopératives jouent un rôle de centralité dans les quartiers, offrant des
services communautaires ou des commerces de proximité. L’autocritique locale va
bon train, ce mode de production n’étant ni suffisant ni ouvert aux Uruguayens
les plus pauvres : monter un projet nécessite de pouvoir rembourser un
crédit minimum, et d’être en capacité d’attendre une réalisation qui peut
prendre plusieurs années. Mais deux fédérations structurent le mouvement pour
le porter plus loin ; la fédération uruguayenne des coopératives d’habitation
(FUCVAM), très liée au réseau international CoHabitat network, diffuse son
expérience à l’étranger, notamment au Nicaragua, et a contribué également au
renouveau de cette dynamique militante en France.
France : un timide renouveau
En
France, la loi Chalandon de 1971 avait brutalement interrompu le
système coopératif d’habitation, dans l’objectif de protéger le futur acquéreur
contre les « avantages illusoires » de ce système coopératif ;
le régime d’accession à la propriété HLM tout juste créé passait pour plus
sécurisé. Il existait alors 330 000 coopérateurs propriétaires et 40 000 logements
en location coopérative (dont la cité radieuse de Rezé). Le courant coopératif
revendiquait la possibilité de se loger par soi-même en échappant à la fois à
« la monotonie » des HLM et à l’arrogance de la promotion pour
« nantis ». À partir de 2005, la fédération Habicoop actualise cet état d’esprit
en défendant une forme de contre-modèle participatif et solidariste à la vente
sur plan. Pour elle, être acteur de son logement, c’est
être acteur de la ville. Il faut inciter à
court-circuiter les opérateurs classiques, promoteurs et pourquoi pas aussi
architectes. Habicoop se bat pour une réinscription des coopératives d’habitation dans la
loi. C’est chose faite en 2014 avec la loi Alur, qui garantit de plus la
stabilité des coopérateurs dans les lieux au nom d’un « droit d’usage ».
Cinq ans plus tard, ce
mode de production affiche un faible bilan d’une trentaine de nouvelles coopératives. Temps d’adaptation ?
« La loi Alur n’a pas donné toutes les conditions pour permettre une
éclosion réelle », dit Pete Kirkham, co-président de Habicoop. L’accès aux
prêts aidés pour les coopérateurs reste conditionné à l’adossement à un
bailleur social, la loi Alur n’ayant pas mis en place de système de financement
particulier, ni supprimé la garantie financière d’achèvement au commencement du
projet (difficile à fournir pour des particuliers). Si quelques projets
« laboratoires » voient le jour, c’est au prix de complexités
administratives et financières peu favorables à la démocratisation. Le
caractère abordable de ces logements reste également relatif : tant que les décrets d’application de la loi Alur facilitant
l’ apport travail » ne sont pas publiés, la coopérative ne peut s’ouvrir réellement aux populations
pauvres. « Se mettre dans un système non spéculatif n’est soutenable individuellement qu’au
regard d’un prix de “loyer” (la somme versée mensuellement à la collectivité
des coopérateurs) réellement plus attractif qu’ailleurs – il faut pour
cela bénéficier de soutiens, en particulier sur le foncier, qui manquent en
France », expliquait Pete Kirkham lors d’un séminaire que l’Ordre des
architectes d’Île-de-France dédiait l’an dernier à l’habitat coopératif. Et le
système du land
trust (lire pages suivantes) n’est pas
accessible aux coopérateurs en groupes auto-institués.
Suisse : un système exemplaire
Le
système de coopératives suisse semble par comparaison
particulièrement évident, favorisé qu’il est par les pouvoirs publics et
notamment les villes. Il produit du logement peu cher, très recherché dans un
pays où le secteur social de construction se limite
à quelques fondations. Si la construction sous forme coopérative reste en France une
sorte de contre-culture bataillant contre vents et marées, en Suisse elle
continue à se déployer dans des grandes proportions. Dans un pays constitué
majoritairement de locataires et non de propriétaires, cette formule où l’on
devient propriétaire tout en restant locataire trouve un développement assez
naturel. Des villes comme Zurich et Genève jouent pour les projets coopératifs
un rôle essentiel en mettant à disposition des terrains acquis pendant leur
désindustrialisation et proposés à la vente à prix non spéculé. D’où des loyers pour
les coopérateurs jusqu’à 30 % inférieurs aux prix du marché libre. En
retour, le secteur coopératif a acquis un statut d’utilité publique et est
considéré comme un régulateur des prix du marché immobilier. La fondation
publique Codha, créée en 1994 à Genève, a obtenu que l’État cautionne jusqu’à
95 % les coopératives et prête les fonds nécessaires jusqu’à l’obtention
du crédit de construction.
Il existe des coopératives d’habitants de tailles diverses
(10 à 4 000 logements) conventionnelles dans leurs objectifs ou
orientées vers des objectifs participatifs, intergénérationnels,
environnementaux ou d’équipements ouverts sur la ville (salle de cinéma,
restaurant, etc.) ; ces objectifs occupent la part majeure de la
participation habitante. La fabrique architecturale quant à elle a connu un
nouvel élan après la fameuse Kraftwerk (architectes : Blum, Hofer et
P.M.). L’exposition « Zurich, les coopératives réinventent le logement
social » à la Cité de l’architecture a montré cet hiver le haut niveau de
qualité d’une politique systématique de concours. Les terrains proposés,
relativement centraux, sont souvent l’occasion de révéler des potentiels
cachés, comme pour la coopérative Kalkbreite, à Zurich, qui jouxte un réseau
ferré (voir l’article paru dans le n° 229 de d’a, en septembre 2014).
L.G. et P.J.
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