Coopératives : contenir les prix

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 01/04/2020

La coopérative COVISEP, projet pilote àCochabamba en Bolivie

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279

La forme coopérative connaît dans le monde un développement significatif. Par nature antispéculative (revente des parts hors prix du marché), elle contient les prix ; attachée à des valeurs de gouvernance démocratique (1 personne = 1 voix) et de solidarité, elle peut s’ouvrir dans certaines conditions aux plus démunis. Un « apport travail » (c’est-à-dire de l’autoconstruction) est en effet substituable à l’apport financier des coopérateurs. Née des luttes contre les taudis au XIXe siècle et de la quête d’un logement accessible pour les ouvriers, la coopérative d’habitation s’est, au XXe siècle, développée massivement au-delà de l’Occident.

Uruguay : une longue tradition

En Uruguay, la dynamique militante du mouvement des coopératives « créées par les habitants eux-mêmes et pour eux-mêmes » est consécutive à la crise économique des années 1950. Condamnés à s’éloigner de leurs lieux de travail ou à s’installer informellement sur des fonciers instables, des groupes d’ouvriers ont créé les premières coopératives de logement au milieu des années 1960 pour en faire un outil de la revendication du droit au logement et à la ville. Si la forme collective ne supprime pas le besoin en apports financiers nécessaires pour l’acquisition préalable du terrain, l’investissement physique des membres réduit partiellement l’investissement financier. Chaque famille s’engage à l’autoconstruction pour soi et pour le collectif, participant à une réduction du coût final (estimé inférieur de 40 % à une réalisation standard) et à l’élaboration d’un capital social valorisé en cas de revente des parts. La solidarité entre les membres est encouragée par la mise en place d’une épargne commune (coopérative dite « par aide mutuelle »).

Les premières coopératives uruguayennes se sont appuyées sur un texte de loi destiné au départ à aider des promoteurs par un abondement de l’État à partir d’une capacité d’autofinancement de 15 %. Quelques années plus tard, en 1968, le gouvernement uruguayen donnait un cadre légal au mouvement dans la Loi nationale du logement. Dans le même temps, elle facilitait activement les subventions publiques versées directement aux coopératives et créait des banques de terres municipales qui mettent à disposition et préfinancent des terrains. Certaines villes aident aussi au financement des études et appuis techniques.

L’Uruguay compte aujourd’hui près de 600 coopératives de logements correspondant à près de 100 000 personnes logées sur 3 millions d’habitants. Certaines « grosses » coopératives jouent un rôle de centralité dans les quartiers, offrant des services communautaires ou des commerces de proximité. L’autocritique locale va bon train, ce mode de production n’étant ni suffisant ni ouvert aux Uruguayens les plus pauvres : monter un projet nécessite de pouvoir rembourser un crédit minimum, et d’être en capacité d’attendre une réalisation qui peut prendre plusieurs années. Mais deux fédérations structurent le mouvement pour le porter plus loin ; la fédération uruguayenne des coopératives d’habitation (FUCVAM), très liée au réseau international CoHabitat network, diffuse son expérience à l’étranger, notamment au Nicaragua, et a contribué également au renouveau de cette dynamique militante en France.

 

France : un timide renouveau

En France, la loi Chalandon de 1971 avait brutalement interrompu le système coopératif d’habitation, dans l’objectif de protéger le futur acquéreur contre les « avantages illusoires » de ce système coopératif ; le régime d’accession à la propriété HLM tout juste créé passait pour plus sécurisé. Il existait alors 330 000 coopérateurs propriétaires et 40 000 logements en location coopérative (dont la cité radieuse de Rezé). Le courant coopératif revendiquait la possibilité de se loger par soi-même en échappant à la fois à « la monotonie » des HLM et à l’arrogance de la promotion pour « nantis ». À partir de 2005, la fédération Habicoop actualise cet état d’esprit en défendant une forme de contre-modèle participatif et solidariste à la vente sur plan. Pour elle, être acteur de son logement, c’est être acteur de la ville. Il faut inciter à court-circuiter les opérateurs classiques, promoteurs et pourquoi pas aussi architectes. Habicoop se bat pour une réinscription des coopératives d’habitation dans la loi. C’est chose faite en 2014 avec la loi Alur, qui garantit de plus la stabilité des coopérateurs dans les lieux au nom d’un « droit d’usage ».

Cinq ans plus tard, ce mode de production affiche un faible bilan d’une trentaine de nouvelles coopératives. Temps d’adaptation ? « La loi Alur n’a pas donné toutes les conditions pour permettre une éclosion réelle », dit Pete Kirkham, co-président de Habicoop. L’accès aux prêts aidés pour les coopérateurs reste conditionné à l’adossement à un bailleur social, la loi Alur n’ayant pas mis en place de système de financement particulier, ni supprimé la garantie financière d’achèvement au commencement du projet (difficile à fournir pour des particuliers). Si quelques projets « laboratoires » voient le jour, c’est au prix de complexités administratives et financières peu favorables à la démocratisation. Le caractère abordable de ces logements reste également relatif : tant que les décrets d’application de la loi Alur facilitant l’ apport travail » ne sont pas publiés, la coopérative ne peut s’ouvrir réellement aux populations pauvres. « Se mettre dans un système non spéculatif n’est soutenable individuellement qu’au regard d’un prix de “loyer” (la somme versée mensuellement à la collectivité des coopérateurs) réellement plus attractif qu’ailleurs – il faut pour cela bénéficier de soutiens, en particulier sur le foncier, qui manquent en France », expliquait Pete Kirkham lors d’un séminaire que l’Ordre des architectes d’Île-de-France dédiait l’an dernier à l’habitat coopératif. Et le système du land trust (lire pages suivantes) n’est pas accessible aux coopérateurs en groupes auto-institués.

 

Suisse : un système exemplaire

Le système de coopératives suisse semble par comparaison particulièrement évident, favorisé qu’il est par les pouvoirs publics et notamment les villes. Il produit du logement peu cher, très recherché dans un pays où le secteur social de construction se limite à quelques fondations. Si la construction sous forme coopérative reste en France une sorte de contre-culture bataillant contre vents et marées, en Suisse elle continue à se déployer dans des grandes proportions. Dans un pays constitué majoritairement de locataires et non de propriétaires, cette formule où l’on devient propriétaire tout en restant locataire trouve un développement assez naturel. Des villes comme Zurich et Genève jouent pour les projets coopératifs un rôle essentiel en mettant à disposition des terrains acquis pendant leur désindustrialisation et proposés à la vente à prix non spéculé. D’où des loyers pour les coopérateurs jusqu’à 30 % inférieurs aux prix du marché libre. En retour, le secteur coopératif a acquis un statut d’utilité publique et est considéré comme un régulateur des prix du marché immobilier. La fondation publique Codha, créée en 1994 à Genève, a obtenu que l’État cautionne jusqu’à 95 % les coopératives et prête les fonds nécessaires jusqu’à l’obtention du crédit de construction.

Il existe des coopératives d’habitants de tailles diverses (10 à 4 000 logements) conventionnelles dans leurs objectifs ou orientées vers des objectifs participatifs, intergénérationnels, environnementaux ou d’équipements ouverts sur la ville (salle de cinéma, restaurant, etc.) ; ces objectifs occupent la part majeure de la participation habitante. La fabrique architecturale quant à elle a connu un nouvel élan après la fameuse Kraftwerk (architectes : Blum, Hofer et P.M.). L’exposition « Zurich, les coopératives réinventent le logement social » à la Cité de l’architecture a montré cet hiver le haut niveau de qualité d’une politique systématique de concours. Les terrains proposés, relativement centraux, sont souvent l’occasion de révéler des potentiels cachés, comme pour la coopérative Kalkbreite, à Zurich, qui jouxte un réseau ferré (voir l’article paru dans le n° 229 de d’a, en septembre 2014).

L.G. et P.J.

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