L'esthétique brute du bâtiment tranche avec son environnement |
Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE Le modèle
antispéculatif de la coopérative d’habitat constitue une alternative dans des
métropoles européennes dont l’inaccessibilité pour ses habitants croît au
rythme de leur attractivité. La coopérative La Borda concrétise un premier
geste fort dans la ville de Barcelone, au travers d’une architecture tout aussi
militante. |
Depuis
2009, les loyers dans la ville de Barcelone ont augmenté de plus de 35 %,
tandis que les locations touristiques non déclarées et les logements vides
amenuisent petit à petit l’offre locative abordable. Le logement social y est,
lui, quasiment inexistant. L’explosion de la bulle immobilière en 2008 et les
700 000 expulsions qui allaient suivre ont engendré la création de
nombreuses initiatives militantes pour le droit au logement.
Le
projet de la coopérative d’habitants La Borda a émergé de la lutte
d’habitants du quartier de Sants en bordure de l’Eixample de Cerdà , dans le but
de réinvestir la friche de l’ancien complexe industriel textile Can Batlló,
abandonné depuis les années 1970. Parmi les initiatives développées, un petit
groupe, dont des membres de la coopérative d’architecture Lacol, réfléchit Ã
produire sur le site de l’habitat à caractère social et protégé de la
spéculation immobilière. Pour cela, il formalise un cadre juridique, inédit
alors en Espagne, la coopérative d’habitants. La coopérative possède les murs
et le foncier, les habitants sont membres de la coopérative. La ville cède l’usage
d’une parcelle sur rue en dent creuse à la coopérative et 60 % du prêt est
pris en charge par une coopérative de financement de projets d’économie sociale
et solidaire. La construction de 28 logements est lancée en 2017, cinq ans
après les premières réflexions.
Ce
qui frappe est la qualité architecturale qui se dégage du bâtiment. Les
architectes de Lacol ont proposé aux membres de la coopérative et futurs
habitants de réinterpréter la typologie des corralas,
logements populaires développés en Espagne à partir du XVIIe siècle,
dans un immeuble passif réalisé en structure bois, le plus haut d’Espagne. Se
développant autour d’un patio intérieur central qui dessert ensuite les
logements par coursive, La Borda fait la place belle aux espaces
collectifs : le haut rez-de-chaussée propose un local commercial sur rue,
occupé par une épicerie solidaire, une cuisine et salle à manger collective
ainsi qu’un large passage vers le fond de parcelle où s’installent de nombreux
stationnements vélo. Au premier niveau, un plateau sur double hauteur sert de
lingerie et de lieu de réunion, tandis qu’au cinquième étage une terrasse fait
notamment office de séchoir.
Une addition de modules
Les
logements privilégient une forme de rationalité : un module de base de 15 m2,
qui peut se doubler autour d’un noyau technique, permet de créer des typologies
allant du grand studio de 45 m2 au T3 de 75 m2,
par addition de modules. Les cloisons non porteuses garantissent une certaine
flexibilité des typologies, tandis que l’organisation autour du patio offre une
double orientation et une ventilation naturelle pour tous les logements.
Le
choix d’une architecture passive et bioclimatique, donc peu consommatrice en
énergie, répond avant tout aux situations économiques des futurs habitants. Des
entretiens réalisés au préalable par les architectes ont révélé une part
mensuelle consacrée au logement de plus de 40 % de leur budget et une
vraie précarité énergétique. L’un des habitants témoigne avoir changé neuf fois
de logements en quatorze ans à Barcelone, La Borda ayant été son dernier
moyen de pouvoir rester dans la ville. L’un des objectifs de la conception
devient donc de minimiser au maximum les coûts de gestion du futur bâtiment
tout en maintenant un confort été comme hiver. Les équipements mutualisés
permettent de réduire la multiplication des biens individuels, l’utilisation du
bois évite les matériaux de finition et permet plus facilement d’intégrer des
non-professionnels pour de l’autoconstruction. Le loyer mensuel pour un
appartement de 60 m2 est de 450 euros, soit deux fois
moins cher que dans le marché privé.
Après
dix-huit mois de négociation avec la ville, le projet a même pu s’affranchir
des places de stationnement obligatoires, arguant l’obsolescence d’une règle
immuable depuis les années 1970, qui depuis, a été assouplie. Un travail de
longue haleine pour faire bouger les lignes, mais qui une fois de plus montre
l’importance des initiatives civiles pour faire évoluer la norme.
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |