Compagnie architecture : documenter le chantier en temps réel

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 01/12/2022

Vue du Quai M

Dossier réalisé par Maryse QUINTON
Dossier publié dans le d'A n°303

La réalisation du Quai M à La Roche-sur-Yon fut l’occasion pour Compagnie Architecture (Jules Eymard et Chloé Bodart) de documenter le chantier en temps réel. Parallèlement à l’inauguration du bâtiment, un livre retraçant l’histoire de sa construction est publié par B42.

« Un projet dans le projet. » C’est ainsi que Chloé Bodart définit cette aventure éditoriale, menée en parallèle de la construction du Quai M, Scène de musiques actuelles (Smac) à La Roche-sur-Yon. Publié par B42, Écouter, assembler1 raconte l’histoire d’un chantier pas comme les autres, retracée en onze chapitres, mêlant narration et propos collectés puis rapportés d’une vingtaine d’intervenants. Lauréats du concours de maîtrise d’œuvre en 2018, Jules Eymard et Chloé Bodart, associés au sein de Compagnie architecture, ont souhaité rendre compte en temps réel de la construction de ce premier projet, qu’ils ont gagné ensemble. Et c’est précisément cette contrainte de la fabrication simultanée du bâtiment et de l’ouvrage qui rend le récit particulièrement intéressant.
En effet, ce n’est pas une histoire écrite a posteriori, dont on aurait gommé les doutes et les aléas. Au contraire, le livre rend compte des hésitations et de l’imprévu, montrant la dimension humaine et vivante d’un chantier, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un équipement culturel impliquant un grand nombre d’acteurs. « Suivre un chantier, c’est interpréter le projet, résume Chloé Bodart. C’est le moment de confrontation entre les dessins et le faire, c’est là que tout se joue vraiment. Un détail n’est pas tout à fait prévisible avant de rencontrer l’ouvrier qui va le réaliser. On dessine une intention, mais on réalise avec un savoir-faire. Mises en œuvre, principes constructifs, assemblages : toutes les finitions sont réinterprétées au cours du chantier avec les gens qui le font. Un chantier n’est pas “exécutable par n’importe qui”, mais interprétable par chacun, dans une relation de confiance qui nécessite un suivi, une présence et une écoute permanente. Ce n’est pas pour cela que rien n’est maîtrisé. C’est un flou maîtrisé ! » 
La gestion et la programmation de ce nouvel équipement ont été confiées à l’association Fuzz’Yon, maîtrise d’usage avec qui le dialogue a été constant durant tout le chantier. Cet acteur local bien connu du territoire vendéen œuvrait auparavant dans une salle renommée de La Roche-sur-Yon, devenue vétuste. La construction d’un nouveau bâtiment fut actée en 2015, sur une parcelle délaissée jouxtant la gare au bord des voies ferrées, dans un quartier en plein renouvellement urbain. En béton et bois, le bâtiment répond à la nécessité de « faire signal » par une écriture graphique, rouge sang, plissée et expressive, qu’une fresque monumentale signée Malte Martin vient affirmer en façade. Le Quai M, dirigé par Benoît Benazet, comprend deux salles dont la plus grande (874 places) dévoile une charpente apparente en bois, fait plutôt rare dans ce type de programme.

La part fortuite
« Ouvert, vivant et habité », c’est ainsi que les architectes résument ce chantier de deux ans et demi, durant lesquels le projet s’ajuste au jour le jour aux réalités. Comme d’autres, Compagnie architecture a dû mener un chantier en pleine pandémie mondiale avec toutes les contraintes que cela implique. Trois architectes se sont relayés sur toute la durée du chantier dans la « cabane de la permanence architecturale ». Suivant les traces de Patrick Bouchain chez qui elle a appris son métier, Chloé Bodart défend l’idée du chantier ouvert, la manière la plus efficace de s’approprier le projet, qu’il s’agisse des utilisateurs ou des riverains. Des visites publiques ont jalonné les travaux tandis que Fuzz’Yon a aussi profité de ce chantier pour en faire un outil de médiation et d’inscription culturelle du projet auprès des habitants. Encadrés par leurs professeurs, des lycéens d’une classe de seconde ont réalisé trois numéros du journal de chantier, documentant à leur manière la construction d’un équipement phare dans leur ville dans une période singulière.
Raconter les réadaptations successives et permanentes des plans et des calendriers, face à l’incertitude de la situation collective dans laquelle la pandémie nous a plongés, c’est ce que retrace ce livre qui parvient à transmettre la part fortuite, intrinsèque à tout chantier. Pour ce faire, la parole a été recueillie auprès de tous les acteurs par les deux autrices, Édith Hallauer et Julia Vallvé, pour être ensuite retranscrite sous forme d’une narration rythmée par le fil des différentes étapes. Un matériel peu habituel nourrit ainsi ce livre. On y trouve pêle-mêle des extraits d’une réunion de chantier, des dessins annotés servant à communiquer avec les entreprises, mais aussi les propos rapportés du conducteur de travaux, de l’électricien, de l’ingénieur ou des architectes. À ses dépens, « Écouter, assembler » relate aussi comment le covid a fragilisé la cohésion sur de nombreux chantiers, les rituels, les moments d’échange, de convivialité, entravés par les protocoles sanitaires successifs, démontrant aussi l’importance cruciale de ces temps informels. Aussi, l’organisation d’un concert dans la future salle en chantier n’était pas gagnée d’avance. Deux cents personnes ont été accueillies, avec le concours des entreprises qui ont nettoyé et réorganisé les lieux pour que puisse se tenir l’événement. Au-delà du temps de chantier, le livre détaille en filigrane une façon de penser l’architecture avec précision, au plus près des usages et des besoins, par le biais d’une conception qui, loin d’être figée, se poursuit durant la construction, nourrie par l’écoute et les enseignements quotidiens de ceux qui façonnent le projet.

1. Écouter, assembler. Quai M, un chantier habité par compagnie architecture à La Roche-sur-Yon, Édith Hallauer et Julia Vallvé, Éditions B42, octobre 2022, 28 euros.

[ Maîtrise d’œuvre : Compagnie architecture (anciennement nommé Chloé Bodart/Construire) – BET : Ligne BE, structure ; T&E Ingénierie, fluides ; Hoeco, économiste ; BEG, VRD ; Acoustex, acoustique ; Daniel Sourt, scénographie technique ; Malte Martin, intervention artistique – Maîtrise d’ouvrage : Agglomération de la Roche-sur-Yon – Maîtrise d’usage : Fuzz’Yon – Entreprises : Charier, VRD ; MRC et AREST, gros œuvre ; Les Charpentiers de l’Atlantique, charpente bois ; Engie Axima, couverture, zinguerie ; Secom’Alu, menuiseries extérieures ; Menuiserie Godard, menuiseries intérieures ; Guyonnet, serrurerie ; Menuiserie Biaud, cloisons et plafonds ; Augereau carrelages, revêtements de sols ; Poupard Ménard, peinture ; Sachot, ascenseurs ; ETS Fauchet, CVC ; INEO, électricité ; Melpomen, équipements scéniques ; Boscher, œuvre extérieure ; Métalobil, bars ; Praline, signalétique – SDP : 2 826 m2 – Coût : 5,83 millions d’euros HT – Calendrier : études, février 2018-décembre 2019 ; travaux, décembre 2019-février 2022 ; livraison, avril 2022 ]

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