Community land trust, pour un foncier abordable

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 29/03/2020

Roots and Branches, le site internet archive l'histoire des community land trusts aux Etats-Unis

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279 Le community land trust (CLT) affirme la valeur du foncier comme un bien commun local, qui doit être extrait du marché spéculatif et dédié à des usages d’intérêts généraux – le logement des personnes modestes, par exemple. Né à l’aube des années 1970 sous l’impulsion de militants des droits civiques dans l’État rural de Géorgie (États-Unis), il vise à permettre l’accès à la terre pour les communautés afro-américaines après l’abolition des lois ségrégationnistes. 

Le CLT dissocie la propriété du sol de son usage (cultiver, habiter, etc.). Son modèle réinterprète des fonctionnements ruraux coutumiers, déjà prônés par le mouvement progressiste du milieu du XIXe siècle en Angleterre : la cité-jardin de Letchworth, conçue à partir de 1905 par Raymond Unwin à partir de la théorie d’Ebenezer Howard, se déploie sur un foncier entièrement communautaire. Le mouvement indien « Land Gift Â», initié par un successeur de Gandhi pour créer des villages sur des terres communes données par de riches propriétaires terriens, est également cité comme une inspiration fondatrice.

Le trust est une organisation publique ou privée à but non lucratif, administrée de manière tripartite entre représentants des usagers, représentants des institutions et représentants de la communauté locale. Cette répartition garantit l’intérêt général. Le trust possède le foncier, son attribution et sa gestion, tandis que son usage est donné via des baux de très longue durée, de type emphytéotiques. Dans le cas d’un foncier à usage d’habitat, le bénéficiaire du logement doit justifier d’un revenu inférieur au revenu médian. Il devient propriétaire des murs et locataire du terrain, à vie s’il le souhaite. Il est ainsi dispensé de son prix d’achat, qui peut représenter entre 20 et 40 % d’un prix d’achat global, et est accompagné par le trust pour l’accès aux prêts bancaires et en cas de difficulté de paiement. 

La revente du droit d’usage est strictement encadrée pour éviter toute spéculation : le bénéficiaire devra revendre obligatoirement au trust et ne touchera que 25 % de la plus-value immobilière en plus du prix d’achat de départ. L’investissement sur le foncier n’ayant lieu qu’une seule fois, le logement est de plus en plus accessible par rapport aux prix du marché libre, généralement en augmentation : le CLT est, par conséquent, une vraie alternative en secteur tendu, où le foncier devient une ressource rare. Mais pas uniquement : il se révèle un outil efficace de régénération de logements dégradés et vacants, ayant fait ses preuves dans des villes ébranlées par leur désindustrialisation (Youngstown aux États-Unis, Liverpool en Angleterre, etc.). Il intervient aussi dans la régularisation de quartiers informels. C’est le cas à Porto Rico dans la capitale San Juan, comme au sud du Kenya dans la ville de Voi, pour plusieurs milliers d’habitants où le même objectif a été fixé par le gouvernement ou les collectivités locales : stabiliser les habitants sur place, en évitant le risque de revente rapide constatée dans les plans d’accès à un titre de propriété individuelle, et la gentrification qui en découle pour des quartiers souvent proches des centralités et des emplois. Le regroupement de terrains nouvellement régularisés sous gestion communautaire combine des intérêts locaux et gouvernementaux : éviter la formation de nouveaux quartiers informels, créer une dynamique locale, étendre la taxe foncière, créer des infrastructures et densifier, reloger des habitants situés dans des zones à risque. Le CLT donne de vrais droits immobiliers, les habitants peuvent transmettre leur bien ; la référence à des communs traditionnels participe de l’adhésion des populations kenyanes, car au Kenya la propriété individuelle a été instaurée par la colonisation.

Si les trusts sont généralement créés suite à des démarches citoyennes face à l’impossibilité d’accès au logement, le soutien des pouvoirs publics reste indispensable à l’amorce, sinon au développement. Leurs aides financières supportent l’achat de foncier et le montage de la structure de gestion, certaines collectivités versant directement des terrains, bâtis ou non, dans le trust. Le développement s’effectue par la suite sous différents modèles, parfois combinatoires : par promotion immobilière sur terrain nu, par réhabilitation dans le cas de bâtis dégradés ou vacants, ou encore par acquisition dans le diffus, le trust achetant le foncier, les particuliers le bâti.

 

Un foncier à valeur et à usage social

Le community land trust est aujourd’hui un outil internationalisé de gestion foncière, promu par les ONG internationales. Outre l’ouverture de l’accès à un logement « Ã  soi Â» aux personnes modestes (pour autant qu’on justifie d’un revenu), c’est la maîtrise et la préservation au long terme d’un foncier à valeur et à usage social qui rendent ce modèle intéressant. Certaines villes américaines ont d’ailleurs créé un CLT municipal pour déployer durablement leur politique publique en matière d’accession au logement, comme à Burlington dans le Vermont. Il existe des CLT au Royaume-Uni, au Kenya, dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Belgique, et 225 CLT environ aux États-Unis.

La transposition des CLT dans le droit français a donné lieu à la création des Offices fonciers solidaires (OFS) créés par la loi Alur de 2014 puis la loi Macron de 2015. Ils ne permettent malheureusement qu’un portage institutionnel du sujet : un groupe de coopérateurs, par exemple, ne peut s’en saisir. Les OFS sont des structures de gestion foncière qui permettent de louer le foncier pour usage d’habitat sur des durées longues (18 à 99 ans) dans le cadre d’un bail réel solidaire (BRS) rechargeable à chaque nouveau bail et transmissible. Comme dans les CLT, des clauses de revente empêchent une spéculation immobilière sur le bien, qui reste ainsi accessible au même profil de ménages dans le temps, y compris dans les secteurs tendus. Les logements en BRS peuvent ainsi être comptabilisés au titre des obligations de part de logements sociaux de la loi SRU (Solidarité et Renouvellement urbains). Une trentaine d’OFS ont été mises en place par des collectivités territoriales, comme Lille Métropole, la pionnière, ou Rennes Métropole, qui en fait son unique mode de production de logements en accession sociale. De quoi donner enfin un coup de pouce à une autre approche du foncier. La responsabilité publique dans la lutte contre la spéculation reste cependant peu développée : une proposition de loi, déposée en octobre dernier par le député Jean-Luc Lagleize, pour interdire la vente aux enchères du foncier public s’est fait retoquer.

L.G. et P.J.

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