Changer l’objectif : de la mixité sociale par la démolition à la transition écologique des quartiers Entretien avec Renaud Epstein, professeur de sociologie

Rédigé par Stéphanie SONNETTE
Publié le 07/10/2024

Carte postales produites lors de la construction des grands ensembles: la modernité fait rêver

Dossier réalisé par Stéphanie SONNETTE
Dossier publié dans le d'A n°320

Renaud Epstein est professeur de sociologie à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, spécialiste de la politique de la ville, auteur notamment de La Rénovation urbaine, Paris, Presses de Sciences Po, 2013 et de On est bien arrivés. Un tour de France des grands ensembles, Paris, Le Nouvel Attila, 2022.

D’a : Pour revenir aux fondements de la « rénovation urbaine » telle qu’elle est définie dans la loi Borloo de 2003, l’objectif de mixité sociale des quartiers a dès le début été associé à la démolition des tours et des barres devenues pour beaucoup le symbole de leur dysfonctionnement. Comment l’expliquer ?
La loi Borloo de 2003, qui a lancé le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), lui assignait un double objectif de mixité sociale et de développement durable. Mais très vite, le premier s’est imposé aux dépens du second.
L’objectif de mixité sociale est affirmé avec constance dans les politiques urbaines et du logement depuis la loi d’orientation pour la ville (LOV) de 1991 jusqu’à l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) de 20001. Ces politiques envisagent la création de mixité de deux manières : « par le haut », en produisant du logement social dans tous les territoires, notamment les plus riches, et « par le bas », en cherchant à modifier le peuplement des quartiers d’habitat social concentrant la pauvreté. Depuis les années 1980, différents dispositifs ont tenté d’agir sur le peuplement des quartiers HLM en jouant sur le levier des attributions de logements, mais sans réel succès. À partir de 2003, avec la rénovation urbaine, la stratégie change. Pour attirer dans les quartiers les plus défavorisés des populations qui le sont moins, deux leviers sont mobilisés. Il s’agit d’abord de transformer l’offre de logements en proposant des produits plus adaptés à la clientèle recherchée : accession sociale à la propriété, locatif libre, logement intermédiaire… Il faut ensuite faire en sorte que cette clientèle ait envie de venir dans ces quartiers stigmatisés. C’est là qu’intervient la démolition, avec l’idée qu’en transformant un urbanisme hors normes, en s’engageant dans une stratégie de « banalisation urbaine », on va pouvoir en changer l’image et les rendre plus attractifs pour de nouvelles populations.

D’a : En vingt ans d’ANRU, cette stratégie de démolition-reconstruction au nom de la mixité sociale a-t-elle évolué ?
Le Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU), qui a pris la suite du PNRU en 2014, réaffirme l’objectif de mixité sociale par la démolition-reconstruction mais introduit plusieurs changements. Alors que le premier programme se déployait à l’échelle communale, les nouveaux projets deviennent intercommunaux. Le mode de sélection des quartiers visés a également changé : à l’origine, un appel à projets national mettait en concurrence les territoires, incitant les maires et les bailleurs à élaborer au plus vite leurs projets pour les faire valider par l’ANRU et bénéficier des financements avant qu’il n’y en ait plus. Cette « course au guichet » a conduit les acteurs locaux à se conformer voire à anticiper les attentes de l’ANRU, notamment en matière de démolitions, pour ne pas risquer de voir leur projet retoqué. On peut clairement parler de pression à la démolition dans cette première phase. Jean-Louis Borloo exhortait ainsi les élus : « Soyez plus ambitieux, démolissez plus. » Action Logement – gestionnaire du 1 % logement et principal financeur de l’ANRU – exigeait aussi des démolitions massives afin de libérer les emprises foncières qui lui revenaient pour reconstruire du logement locatif libre.
Ce système d’appel à projets a laissé place en 2014 à une sélection a priori des quartiers éligibles à l’ANRU. N’étant plus mis en concurrence pour obtenir les financements, les maires retrouvent des marges de manœuvre, les projets peuvent être élaborés plus sereinement et la pression nationale à la démolition s’allège. Seulement, après dix ans de rénovation urbaine, des habitudes se sont installées chez les urbanistes, les architectes et tous les acteurs du logement social. Ils ont poursuivi dans la même logique et avec les mêmes orientations – retour à la rue, voiries traversantes, résidentialisation, diversification des produits logement par la démolition-reconstruction… – sans toujours saisir les latitudes ouvertes par le NPNRU. Et aujourd’hui lorsqu’un projet est contesté par les habitants, ils ont tendance à se défausser en rejetant la responsabilité sur l’ANRU.

D’a : Comment expliquer alors que les démolitions faisaient partie de l’ADN de l’ANRU dès l’origine, que les mobilisations n’aient pris de l’ampleur que récemment ?
En réalité, les projets de démolition ont suscité des oppositions et des mobilisations dès le départ, mais celles-ci n’ont pas eu beaucoup de visibilité. Dès 2005, une coordination anti-démolition des quartiers populaires s’est mise en place, qui a fait le siège de l’ANRU. Mais leur action avait eu très peu d’écho à une époque où (...)

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