Autoconstruction individuelle, une étude de cas nantaise

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 23/03/2020

La charpente métallique, qui permet le déploiement d'un large volume intérieur

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279

L’autoconstruction, mode premier de production de l’habitat ? Si ce constat est vrai à l’échelle mondiale et l’a été en France jusqu’au développement de l’industrialisation du bâtiment, l’autoproduction du logement représenterait aujourd’hui entre 3 et 7 % des 180 000 maisons construites par an. Un phénomène marginal parmi les constructions neuves, mais qui l’est beaucoup moins sur des opérations d’extension ou de rénovation ; un phénomène qui, dans sa marge, réinvente les relations entre professionnels du bâtiment et habitants.

C’est un petit hangar au cœur d’un tissu pavillonnaire des années 1930, dans une des nombreuses voies en impasse que compte la ville de Nantes, à proximité des transports en commun. Ancien lieu de stockage pour une association de consommateurs, il est mis en vente par son propriétaire. Dans une ville où le prix des logements augmente exponentiellement (+ 10 % en moyenne sur l’ancien autour du centre-ville sur 20181), ce type de bien atypique est vendu à la valeur de son potentiel : un logement individuel dans un quartier calme et recherché. Y voyant l’opportunité de concrétiser leur projet d’accès à la propriété par la réhabilitation d’un espace singulier tout en restant en centre-ville, Clélia et Benjamin Laurent, couple de trentenaire bricoleurs, acquièrent le hangar pour le prix de 277 000 euros.

 

Du moins standard pour moins cher

L’autoconstruction partielle s’impose rapidement et elle représentera une part majeure dans le montage du projet : la moitié du financement travaux, et les trois quarts du temps de chantier. Une ressource que le couple a toujours considérée comme allant de soi avec leur souhait de vivre dans un ancien bâtiment industriel, de contribuer physiquement à la reconversion du lieu, tout en sachant initialement leur budget incompatible avec une réalisation entièrement professionnelle. L’autoconstruction devient ici un moyen d’arriver à ses fins d’habiter, où l’on veut et comme on veut, tout en déplaçant une limite financière par un investissement en temps… et en sueur.

Car autoproduire son logement n’est pas choisir la facilité dans le système français actuel : les prêts bancaires sont inaccessibles pour les lots autoconstruits (il faut alors les financer soi-même), l’obtention d’une assurance dommage-ouvrage complète impossible (ce qui limite la revente du bien dans les dix ans suivants la construction), sans compter l’impact de la durée longue d’un chantier réalisé les week-ends et vacances sur la vie personnelle et familiale, sur les relations de voisinage, surtout en milieu urbain, et sur le temps nécessaire de formation aux langages et techniques du bâtiment.

Pour mener à bien ce projet complexe, autant spatialement (les nouveaux volumes habitables doivent s’inscrire dans le gabarit existant, place de stationnement comprise, sous peine de perdre de la constructibilité) qu’en termes de planification (l’autoconstruction commence dès le gros œuvre), le couple s’entoure d’une agence d’architecture, l’Atelier Fil, pour la conception du projet jusqu’au permis de construire, et d’un maître d’œuvre, l’Atelier du 32, qui s’est spécialisé dans l’accompagnement des autoconstructeurs.

 

Nouveaux liens et nouveaux réseaux

L’autoconstruction, contrairement aux idées véhiculées, n’est pas une pratique qui cherche à affaiblir les professionnels du bâtiment : elle permet au contraire le déploiement d’un réseau local et engagé, autour du partage des savoirs, qui y voit l’opportunité de redéfinir leur rôle dans la chaîne de la construction.

Marie Dagorret, gérante de l’Atelier du 32, a développé sa compétence d’assistante à autoconstruction suite à sa propre expérience. Aujourd’hui, dans la mission de conseil qu’elle met en œuvre sur la maison-hangar, en parallèle d’un suivi classique de chantier des lots réalisés par des professionnels, elle cible d’abord les lots pouvant être autoconstruits, ceux nécessitant l’assurance décennale d’une entreprise, avant de réaliser l’organisation globale du chantier. L’autoconstructeur est considéré comme une entreprise presque comme les autres : il reçoit par lots un cahier des charges et des détails de mise en œuvre, mais aussi les ressources matérielles ou humaines à solliciter par phases, parfois les quantitatifs de fourniture à commander, des guides de pose et une présence soutenue de la maître d’œuvre, qui vient vérifier la mise en œuvre, informer ou faire refaire si cela est nécessaire. Un accompagnement complété par celui de son réseau d’artisans, acquis à la cause, qui propose de la formation ou de la mise à disposition ponctuelle d’un ou deux ouvriers en assistance des autoconstructeurs. Et par celui plus diffus, mais non moins important, des expériences partagées sur Internet, dans la revue La Maison écologique, les formations proposées par les magasins de bricolage, ou les associations d’entraide comme les Castors qui proposent des assurances pour les chantiers participatifs et l’accès à des centrales d’achat de matériaux.

La dimension critique sur la production actuelle du logement fait en outre de l’autoconstruction un levier majeur de production et de promotion de l’écoconstruction : certaines techniques constructives, certains matériaux biosourcés ne peuvent être mis en œuvre en France que par ce biais, permettant de s’affranchir des normes et réglementations nécessaires aux entreprises. Là aussi, un portage politique peut favoriser le développement de la pratique : les communes ont les outils pour faire gagner du temps, mettre en réseau avec les artisans locaux, accompagner les projets dans les différentes démarches et, à une autre échelle de gouvernance, favoriser un accès aux prêts.

 

L’épineuse situation des architectes

Parmi les professionnels du bâtiment, seul l’architecte se voit aujourd’hui privé de l’accès à l’accompagnement de l’autoconstruction, dans un marché du logement individuel où il peine déjà à exister. Étant, dans la formule actuelle, unique responsable de la construction, les assurances refusent tout simplement de prendre le risque face à des constructeurs non assurés. Certains d’entre eux flirtent avec les limites en intégrant dans la mission de conception des éléments d’organisation du chantier, ou réceptionnent l’ouvrage au clos couvert, laissant le second œuvre autoconstruit se réaliser sans eux. Le niveau de compétence technique semble également être un frein : il s’agit d’apporter une connaissance de l’ordre de l’artisanat à des non experts, nécessitant une expérience de chantier très importante.

Les convaincus militent cependant pour un meilleur partage des responsabilités, en créant par exemple un produit d’assurance pour la part d’autoconstruction, ou en étendant le droit à l’expérimentation, qui intégrerait la question du réemploi dans la construction. « Favoriser l’autoconstruction » est une des 155 contributions au grand débat national collectées par l’Ordre des architectes en mars 2019.

 

1. Voir « Nantes. Le marché immobilier nantais flambe », sur www.ouest-france.fr, 17 janvier 2019.

Abonnez-vous à D'architectures
.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Novembre 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
44    01 02 03
4504 05 06 07 08 09 10
4611 12 13 14 15 16 17
4718 19 20 21 22 23 24
4825 26 27 28 29 30  

> Questions pro

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6

L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l…

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6

L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent.

Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en d…