La charpente métallique, qui permet le déploiement d'un large volume intérieur |
Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE L’autoconstruction, mode premier
de production de l’habitat ? Si ce constat est vrai à l’échelle mondiale
et l’a été en France jusqu’au développement de l’industrialisation du bâtiment,
l’autoproduction du logement représenterait aujourd’hui entre 3 et 7 % des
180 000 maisons construites par an. Un phénomène marginal parmi les
constructions neuves, mais qui l’est beaucoup moins sur des opérations
d’extension ou de rénovation ; un phénomène qui, dans sa marge, réinvente
les relations entre professionnels du bâtiment et habitants. |
C’est un petit hangar au cœur d’un tissu pavillonnaire des années 1930, dans une des nombreuses voies en impasse que compte la ville de Nantes, à proximité des transports en commun. Ancien lieu de stockage pour une association de consommateurs, il est mis en vente par son propriétaire. Dans une ville où le prix des logements augmente exponentiellement (+ 10 % en moyenne sur l’ancien autour du centre-ville sur 20181), ce type de bien atypique est vendu à la valeur de son potentiel : un logement individuel dans un quartier calme et recherché. Y voyant l’opportunité de concrétiser leur projet d’accès à la propriété par la réhabilitation d’un espace singulier tout en restant en centre-ville, Clélia et Benjamin Laurent, couple de trentenaire bricoleurs, acquièrent le hangar pour le prix de 277 000 euros.
Du moins standard pour moins cher
L’autoconstruction
partielle s’impose rapidement et elle représentera une part majeure dans le
montage du projet : la moitié du financement travaux, et les trois quarts
du temps de chantier. Une ressource que le couple a toujours considérée comme
allant de soi avec leur souhait de vivre dans un ancien bâtiment industriel, de
contribuer physiquement à la reconversion du lieu, tout en sachant initialement
leur budget incompatible avec une réalisation entièrement professionnelle. L’autoconstruction
devient ici un moyen d’arriver à ses fins d’habiter, où l’on veut et comme on
veut, tout en déplaçant une limite financière par un investissement en temps… et
en sueur.
Car autoproduire
son logement n’est pas choisir la facilité dans le système français actuel :
les prêts bancaires sont inaccessibles pour les lots autoconstruits (il faut
alors les financer soi-même), l’obtention d’une assurance dommage-ouvrage
complète impossible (ce qui limite la revente du bien dans les dix ans suivants
la construction), sans compter l’impact de la durée longue d’un chantier
réalisé les week-ends et vacances sur la vie personnelle et familiale, sur les
relations de voisinage, surtout en milieu urbain, et sur le temps nécessaire de
formation aux langages et techniques du bâtiment.
Pour mener à
bien ce projet complexe, autant spatialement (les nouveaux volumes habitables
doivent s’inscrire dans le gabarit existant, place de stationnement comprise,
sous peine de perdre de la constructibilité) qu’en termes de planification
(l’autoconstruction commence dès le gros œuvre), le couple s’entoure d’une
agence d’architecture, l’Atelier Fil, pour la conception du projet jusqu’au
permis de construire, et d’un maître d’œuvre, l’Atelier du 32, qui s’est
spécialisé dans l’accompagnement des autoconstructeurs.
Nouveaux liens et nouveaux réseaux
L’autoconstruction,
contrairement aux idées véhiculées, n’est pas une pratique qui cherche à
affaiblir les professionnels du bâtiment : elle permet au contraire le
déploiement d’un réseau local et engagé, autour du partage des savoirs, qui y
voit l’opportunité de redéfinir leur rôle dans la chaîne de la construction.
Marie
Dagorret, gérante de l’Atelier du 32, a développé sa compétence d’assistante à
autoconstruction suite à sa propre expérience. Aujourd’hui, dans la mission de conseil
qu’elle met en œuvre sur la maison-hangar, en parallèle d’un suivi classique de
chantier des lots réalisés par des professionnels, elle cible d’abord les lots
pouvant être autoconstruits, ceux nécessitant l’assurance décennale d’une
entreprise, avant de réaliser l’organisation globale du chantier. L’autoconstructeur
est considéré comme une entreprise presque comme les autres : il reçoit
par lots un cahier des charges et des détails de mise en œuvre, mais aussi les
ressources matérielles ou humaines à solliciter par phases, parfois les
quantitatifs de fourniture à commander, des guides de pose et une présence
soutenue de la maître d’œuvre, qui vient vérifier la mise en œuvre, informer ou
faire refaire si cela est nécessaire. Un accompagnement complété par celui de
son réseau d’artisans, acquis à la cause, qui propose de la formation ou de la
mise à disposition ponctuelle d’un ou deux ouvriers en assistance des autoconstructeurs.
Et par celui plus diffus, mais non moins important, des expériences partagées
sur Internet, dans la revue La Maison
écologique, les formations proposées
par les magasins de bricolage, ou les associations d’entraide comme les Castors
qui proposent des assurances pour les chantiers participatifs et l’accès à des
centrales d’achat de matériaux.
La dimension
critique sur la production actuelle du logement fait en outre de l’autoconstruction
un levier majeur de production et de promotion de l’écoconstruction :
certaines techniques constructives, certains matériaux biosourcés ne peuvent
être mis en œuvre en France que par ce biais, permettant de s’affranchir des
normes et réglementations nécessaires aux entreprises. Là aussi, un portage
politique peut favoriser le développement de la pratique : les communes
ont les outils pour faire gagner du temps, mettre en réseau avec les artisans
locaux, accompagner les projets dans les différentes démarches et, à une autre
échelle de gouvernance, favoriser un accès aux prêts.
L’épineuse situation des architectes
Parmi les
professionnels du bâtiment, seul l’architecte se voit aujourd’hui privé de
l’accès à l’accompagnement de l’autoconstruction, dans un marché du logement
individuel où il peine déjà à exister. Étant, dans la formule actuelle, unique
responsable de la construction, les assurances refusent tout simplement de
prendre le risque face à des constructeurs non assurés. Certains d’entre eux
flirtent avec les limites en intégrant dans la mission de conception des
éléments d’organisation du chantier, ou réceptionnent l’ouvrage au clos couvert,
laissant le second œuvre autoconstruit se réaliser sans eux. Le niveau de
compétence technique semble également être un frein : il s’agit d’apporter
une connaissance de l’ordre de l’artisanat à des non experts, nécessitant
une expérience de chantier très importante.
Les
convaincus militent cependant pour un meilleur partage des responsabilités, en
créant par exemple un produit d’assurance pour la part d’autoconstruction, ou
en étendant le droit à l’expérimentation, qui intégrerait la question du
réemploi dans la construction. « Favoriser l’autoconstruction » est
une des 155 contributions au grand débat national collectées par l’Ordre
des architectes en mars 2019.
1. Voir « Nantes. Le marché immobilier nantais flambe », sur www.ouest-france.fr, 17 janvier 2019.
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