le futur centre Open Sky de la Compagnie de Phalsbourg à Plaisir (78). Livraison prévue en 2020 |
Dossier réalisé par Stéphanie SONNETTE Faut-il voir dans l’abandon par l’État du projet de méga mall porté par Ceetrus et Wanda la fin de la belle histoire d’amour qui unit les Français et leurs zones commerciales depuis que le pays s’est approprié avec enthousiasme le modèle du mall à l’américaine dans les années 1960 ? |
Partout en France, des projets de pôles de commerces sont sur la sellette : Val Tolosa (Unibail-Rodamco-Westfield) à Plaisance-du-Touch ou Open Sky (Compagnie de Phalsbourg) à Pacé et à Valbonne. À Paris, le projet de rénovation de la gare du Nord en vue des jeux Olympiques de 2024, financé par un centre commercial (Ceetrus et SNCF Gares & Connexions), a fait l’objet d’un débat d’experts houleux avant de devenir un enjeu politique à quelques mois des élections municipales ; le permis de construire attend encore la validation du préfet.
Pour autant, ces
récents revers ne doivent pas cacher la forêt des pôles commerciaux qui
continuent à pousser sur le territoire, sous différentes formes – restructuration
et extension d’anciennes zones –, ou les nouveaux projets habillés de
concepts « innovants » – retail
park, centres de commerces et de loisirs, villages de marques, etc. Le
modèle du commerce de masse est peut-être à bout de souffle, mais il respire
encore.
Blanc-seing
Longtemps les opérateurs commerciaux ont eu le champ libre, encouragés dans leurs ambitions par des élus bienveillants, des préfets arrangeants, des commissions départementales et nationales d’aménagement commercial indulgentes. Les zones commerciales de périphérie ont bien été accusées de massacrer le paysage (la « France moche » de Télérama), de consommer de terres agricoles, d’encourager le tout-voiture, de tuer le « petit commerce », mais dans les faits, ces critiques n’ont pas vraiment changé la donne. L’échec des politiques qui ont tenté d’encadrer l’ouverture de nouvelles zones depuis la loi Royer de 1973, comme des projets de moratoires sur les centres commerciaux, montre bien que le modèle demeure attractif pour de nombreux élus, sensibles aux promesses d’emplois et de rentrées fiscales, et au rayonnement potentiel que pourrait leur procurer ce type d’équipement. Dans les nouveaux quartiers des métropoles, le centre commercial reste la pièce maîtresse pour équilibrer le bilan financier des opérations (plus que pour répondre aux besoins des nouveaux habitants).
Fuite en avant
Aujourd’hui pourtant, dix ans après le boom des années 2010 qui a vu le nombre de mètres carrés de surfaces commerciales autorisés exploser, le marché arrive définitivement à saturation (voir l’entretien p. 56 avec Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la ville et le commerce). Chiffre d’affaires et fréquentation des centres et zones sont en baisse. La vacance progresse partout, en centre-ville (12 % en moyenne en 2018) et dans les zones commerciales périphériques (11,5 % dans les centres commerciaux en 2018, 7,5 % pour les moyennes surfaces en 2018). Ainsi, après avoir détruit le commerce de rez-de-chaussée dans les centres, les pôles commerciaux, qu’ils soient centraux ou périphériques, en sont venus à se concurrencer entre eux…
Pourtant, plutôt que de ralentir face à ce marché saturé, les grands groupes continuent à ouvrir de nouveaux magasins et à agrandir les anciens, et tentent de compenser les pertes en termes de ventes par la logistique et les politiques d’achat, en rendant le circuit de distribution plus efficace en amont. Des stratégies opportunistes et à courte vue visant à maximiser les rendements. Pour attirer le chaland et se démarquer de la concurrence, ils rivalisent de nouveaux concepts, qui ne sont la plupart du temps qu’un habillage festif de l’ancien modèle qui continue à tourner. C’est ainsi qu’on a vu apparaître à partir des années 2010 une nouvelle génération de centres qui misaient à la fois sur la masse critique, la diversification de l’offre (restauration, loisirs, services), et sur ce que les groupes considèrent comme une architecture et des ambiances de qualité. Parmi les projets emblématiques de ce tournant : L’Atoll à Beaucouzé près d’Angers (Compagnie de Phalsbourg, architectes : AAVP) – 71 000 m2 de surfaces commerciales entourées de 2 700 places de parking –, Aéroville à Roissy (Unibail Rodamco, architectes : PCA-Stream) – 110 000 m2 de commerces sur 11 hectares et 4 000 places –, ou encore Waves Actisud à Metz (Compagnie de Phalsbourg, architecte : Gianni Ranaulo) – un retail park de 43 000 m2 et 2 600 places.
Le vent serait-il en train de tourner ? La stratégie du « toujours plus » et du « toujours plus gros » des opérateurs commerciaux atteint ses limites. Les enjeux liés au réchauffement climatique et à la préservation des terres agricoles, la remise en question d’un modèle de société dont la consommation est le seul horizon, l’« inutilité » de projets qui ne répondent pas à des besoins poussent des collectifs de citoyens et des élus à s’opposer à la création de nouvelles surfaces commerciales et à le faire savoir. Les recours se multiplient, chaque projet fait débat et peut tourner au combat de longue haleine. À force, ces ralentissements pourraient influer sur les stratégies et le positionnement des groupes.
Reconquête : de l’urbain dans la zone
En attendant, partout en France, d’anciennes zones commerciales de périphérie tentent de rester à flot face à la concurrence des centres flambant neufs. Jusqu’aux années 1990, le modèle du hangar posé sur un vaste parking a été plébiscité, quand les questions de paysage, d’îlots de chaleur, d’accessibilité en transports en commun, à pied ou à vélo, ne se posaient pas avec la même acuité. Aujourd’hui, les stratégies de relocalisation des enseignes, la vacance qui menace, les préoccupations écologiques et le manque de foncier dans les métropoles poussent certaines collectivités publiques à réfléchir à un nouvel avenir, moins monofonctionnel, moins imperméable, plus urbain, pour ces zones.
Dans l’ouvrage Du Far West à la ville, l’urbanisme commercial en questions (2014), David Mangin prône leur mutation progressive par l’arrivée successive des transports en commun, d’équipements de sport et de loisirs, de programmes tertiaires, de services, puis de logements et d’équipements. Mais sur ces tènements privés, qui obéissent à leurs propres logiques, les collectivités publiques n’ont pas toujours les cartes en main pour influer sur le bon vouloir des opérateurs commerciaux et leurs stratégies de groupes. Comment conjuguer leurs objectifs de valorisation, souvent à très court terme, avec le temps du projet urbain, qui court sur plusieurs années ? Et sur quels leviers agir quand on ne possède pas le foncier ? L’expérience de reconquête de la zone de Mérignac Soleil dans la métropole bordelaise ouvre des pistes prometteuses (voir l’article p. 70).
Après avoir laissé prospérer un modèle dont tous les indicateurs nous disent qu’il a atteint ses limites, le temps est venu à la fois d’imaginer d’autres vocations pour les zones commerciales existantes (pourquoi ne pas en faire plutôt des parcs, du logement, de l’artisanat ou de l’agriculture ?) et de rééquilibrer l’offre commerciale concentrée, franchisée, uniforme, au profit d’autres formes, diversifiées, indépendantes et réparties sur tout le territoire.
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