Dossier réalisé par Juliette POMMIER
Professeur
d’histoire à l’ENSAP de Lille, spécialiste de l’architecture moderne, président
de l’association Docomomo France1 et président élu du CNECEA,
Richard Klein revient ici sur les travaux de cette instance d’évaluation par
les pairs créée par la réforme. Après trois ans de mise en œuvre des procédures
de qualification – compliquées du fait qu’il y avait beaucoup d’impétrants
et peu de moyens et d’experts –, il constate que le fonctionnement du
CNECEA est entravé par l’insuffisance des ressources dégagées par le ministère.
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D’a : Le décret de 2018 a institué le CNECEA (Conseil national des
enseignants-chercheurs des écoles nationales supérieures d’architecture) et
modifié en profondeur le statut des ENSA, transformant aussi bien le
fonctionnement des instances que le statut des enseignants-chercheurs. Trois
ans après, peut-on faire un premier bilan de son application ?
Richard Klein : Le bilan n’est pas évident à établir, dans la mesure
où les moyens insuffisants mobilisés par le ministère de tutelle pour mettre en
œuvre le décret n’ont pas permis une réelle expérimentation de son
fonctionnement. Les moyens financiers et les moyens humains manquent : les
créations de postes prévus n’ont pas eu lieu (75 créés sur 150 prévus) et
l’accompagnement administratif des nouvelles instances, dans les écoles comme
au CNECEA, n’est pas correctement assuré.
Néanmoins, au-delà du problème de moyens qu’il faudra impérativement régler, le décret comporte des aspects positifs mais aussi son lot de problèmes. Côté positif, la gestion de l’enseignement et des carrières par les pairs est bien plus éclairée qu’une gestion strictement administrative, comme c’était le cas auparavant. Côté négatif, le décret contient plusieurs erreurs factuelles qui rendent impossible son application, en contradiction avec les règles de gestion de la fonction publique. Par exemple, le système de promotion des enseignants-chercheurs en ENSA diverge du système du ministère de la Culture, ce qui a entraîné son blocage par la tutelle et l’actuelle suspension de l’ensemble des activités du CNECEA, décidée depuis la rentrée universitaire de septembre.
Mais surtout, il y a un problème d’échelle. Le décret a pris pour modèle le
fonctionnement de l’université, dont les instances gèrent un effectif étudiant
et enseignant bien supérieur. Dans les écoles d’architecture, le petit nombre
d’enseignants-chercheurs oblige la majorité d’entre eux à s’impliquer dans les
instances et à participer à de nombreuses commissions et comités de
sélection : ce surinvestissement se fait forcément au détriment de la
pédagogie, il génère un déséquilibre entre tâches administratives et tâches
pédagogiques. Les nouvelles instances des écoles, rassemblées au sein des
commissions pédagogiques et scientifiques (CPS), se retrouvent noyées sous les
tâches de gestion et de recrutement ; et les comités de sélection (CDS)
pour le recrutement de nouveaux titulaires se révèlent impossibles à constituer
dans les règles, les enseignants étant insuffisamment nombreux pour cela.
Enfin, l’application du décret n’a pas été suffisamment préparée. La
transition entre les deux systèmes appelait des moyens, une préparation, une
communication, voire une concertation, qui n’ont pas eu lieu. Par exemple,
l’instauration de la qualification [procédure qui, comme à l’université,
opère une première sélection au niveau national, et permet aux
« qualifiés » de se présenter à des postes précis, NDLA] des
futurs enseignants par le CNECEA a engendré un afflux massif de candidatures
les premières années, que le conseil n’avait pas les moyens de traiter en
comptant uniquement sur ses propres forces. Cela a nécessité l’externalisation
des expertises sans préparation suffisante pour permettre la mise au point des
critères de qualification et des compétences requises pour expertiser.
Le décret est construit sur un modèle universitaire : il aurait
nécessité d’être plus adapté aux écoles d’architecture, les enseignants des
écoles auraient gagné à être davantage informés, voire formés, à la culture
universitaire, et la transition aurait mérité d’être mieux accompagnée.
D’a : En tant que président du CNECEA, que pensez-vous de ses missions
et de son fonctionnement ? Trouvez-vous qu’il fonctionne
correctement ? Si ce n’est pas le cas, comment pourrait-il mieux le
faire ? Peut-il – doit-il – assurer toutes les missions qui lui
sont dévolues (orientation, évaluation, qualification, carrières des
enseignants, etc.) par la réforme ?
Comme dans les écoles, les moyens du CNECEA sont insuffisants. Non
seulement en termes de secrétariat et d’assistance administrative,
d’indemnisation (1 000 à 1 400 euros par membre par an), mais
aussi en termes d’effectif. Par exemple, le nombre d’assesseurs gérant les
répartitions de dossiers pour les qualifications et promotions s’est avéré très
largement sous-estimé au vu du nombre de candidatures. L’enregistrement, la
retranscription des débats, la diffusion et la communication n’étaient
manifestement pas prévus et ne sont toujours pas réellement au programme. Même
la tenue de nos réunions semble être considérée comme un problème matériel
quelquefois insurmontable !
Pourtant les missions du CNECEA sont pour la plupart non seulement
pertinentes mais passionnantes pour les enseignants-chercheurs que nous sommes.
La mission de qualification des futurs enseignants a généré des débats de fond
sur les critères d’évaluation. En particulier dans le champ TPCAU (théorie et
pratique de la conception architecturale et urbaine), nous avons imaginé des
critères adaptés à différents profils présents dans les établissements :
comment évaluer l’apport d’une pratique professionnelle à la pédagogie ?
Comment favoriser un équilibre entre toutes les composantes nécessaires Ã
l’enseignement de la conception ? Comment susciter la complémentarité
entre les apports nécessaires à la formation des architectes ? Comment
favoriser la prise en compte de toutes les formes de recherche présentes dans
les établissements ?
La mission d’expertise des CER (congés pour études et recherches, accordés
pour six mois ou un an par le ministère) s’est avérée tout aussi intéressante.
L’enjeu pour nous n’était pas tant de sélectionner les dossiers recevables (ce
que nous demandait le ministère) que d’aider les collègues à formuler un projet
de recherche faisable. Le CNECEA est également chargé de la gestion des
promotions des enseignants-chercheurs. LÃ aussi, la gestion par les pairs a
permis de chercher un équilibre entre les qualités scientifiques et
pédagogiques des dossiers et les critères sociaux d’âge, de genre, de parcours
des candidats, à mi-chemin entre logique de l’évaluation scientifique et
logique syndicale, dans un contexte marqué par la pénurie de promotions. À
nouveau, le décret a globalement établi des missions adaptées pour le CNECEA,
mais les moyens ne sont pas au rendez-vous et les tâches largement
sous-évaluées.
D’a : Le ministère de la Culture, et plus spécifiquement la direction
de l’Architecture, sont-ils à l’écoute des ENSA, par-delà la mission confiée Ã
l’IGAC (Inspection générale des affaires culturelles) et la production de son
rapport ? Comprenez-vous pourquoi ce rapport n’a pas été diffusé, mais
seulement restitué oralement et partiellement ici ou là ? Les 42 « recommandations »
qui la concluent vous semblent-elles à même de résoudre les problèmes
fondamentaux ?
Certaines recommandations correspondent bien aux questions que le CNECEA a
soulevées, notamment concernant les moyens et les paradoxes entre les objectifs
de la réforme et les freins entravant sa mise en œuvre. Mais d’autres renvoient
aussi à des demandes ambiguës, comme l’attention aux prérogatives des
directeurs des ENSA, que les décrets de 2018 avaient considérablement réduites
en mettant plutôt l’accent sur le rôle des instances. Il me semble que les
inspecteurs ont bien écouté toutes les demandes, mais n’ont pas résolu
certaines contradictions. Le problème réside peut-être dans les réponses
au cas par cas du rapport comme la tutelle, alors que la réforme nécessite
une vision d’ensemble, un projet, des perspectives, une dynamique qui semble
avoir été oubliée. Existe-t-il par exemple une position claire de notre tutelle
au sujet de la position de l’enseignement de l’architecture au sein de
l’enseignement supérieur ? Cette position doit-elle être guidée par des
ambitions et opportunités locales et régionales, ou est-elle encore une
politique publique nationale au service de la cause d’une architecture
d’intérêt public ?
D’a : Plusieurs enquêtes et articles ont récemment soulevé la question
de la santé des étudiants en école d’architecture, pointant notamment le
phénomène de la charrette. La tutelle évoque en réponse l’hypothèse de la
réduction du nombre d’heures enseignées. Qu’en pensez-vous ?
Il est certain que les emplois du temps des étudiants posent plusieurs
questions, y compris celles de la persistance de pratiques archaïques. Une
manière d’évaluer la réalité des programmes pédagogiques des établissements est
de comparer le programme et le réel emploi du temps des étudiants. Cette
comparaison est rarement effectuée alors qu’elle est fréquemment révélatrice.
Il faut bien sûr résoudre le problème de la surcharge de travail des étudiants.
Mais je pense qu’une des solutions réside dans un meilleur travail de
coordination et d’ouverture entre les enseignants : en somme, plus de
collégialité. La tendance à l’individualisme et à l’isolement de ceux-ci
entraîne une surenchère de demandes aux étudiants, fréquemment redondantes
d’année en année.
L’enjeu de la formation est de transmettre et non seulement de
produire : produire est avant tout le moyen de transmettre. Les attendus
et les relations entre enseignements de la conception et disciplines connexes
doivent aussi être clarifiés et améliorés : la conception correspond à des
compétences que l’on peut acquérir progressivement, sans devoir tout refaire Ã
chaque semestre, et les disciplines connexes doivent sans doute être attentives
à être plus opératoires dans certains cas pour l’apprentissage de la conception.
Une meilleure collégialité entre les disciplines et une intégration plus forte
de la recherche dans la formation initiale permettraient plus d’efficacité
pédagogique.
Globalement, les débats du CNECEA sont passionnants mais ils se développent
dans un contexte un peu fatigant. La collégialité qui devrait caractériser
l’enseignement de l’architecture n’est pas favorisée par la situation des
établissements : il faut du temps dédié à la pédagogie et non à la gestion
administrative ; pour cela, il faut des moyens. Les décrets de 2018
instituent la gestion des écoles et de l’enseignement par les pairs, c’est une
stimulation formidable pour faire progresser notre pédagogie de l’architecture.
Le ministère devrait en être persuadé…
Propos recueillis par
Juliette Pommier
1.
Association pour la DOcumentation et la COnservation des édifices et sites du
MOuvement Moderne.
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