bâtiment rue Mouzaïa de Claude Parent et André Remondet |
Dossier réalisé par Maryse QUINTON |
D’a : Rue de Mouzaïa à Paris, vous vous êtes confronté à un bâtiment signé Claude Parent et André Remondet. Quelle attitude prévaut lorsqu’on intervient sur une œuvre patrimoniale ?
Au regard de l’exigence de protection d’un bâtiment, déclaré depuis remarquable par le ministère de la Culture, l’architecte peut-il s’interroger sur ce que signifie la commande de ce que l’on appelle communément une « réhabilitation » ? Peut-on superposer un « projet architectural » à une œuvre patrimoniale ? Dialectique sans fin entre héritage et création. Observer puis inventorier les pièces constituantes du savant puzzle du 58 rue de Mouzaïa, conçu il y a presque cinquante ans, semblait aller de soi avant de prendre une quelconque décision. Une des postures de cette transformation s’est rapidement révélée par la décision d’interpréter le sujet original de Claude Parent. Bien souvent, la conservation est la règle et la restitution « à l’identique » en est l’outil. L’atelier a pris le parti de poursuivre le récit de Parent. Un exemple, parmi d’autres, sur cette position paradoxale, est illustré par la décision prise pour le remplacement des anciennes menuiseries extérieures du bâtiment. Thermiquement et acoustiquement adaptées, 600 nouvelles baies encadrées de menuiserie bois, à la silhouette relativement semblable, ont été substituées aux précédentes réalisées originellement en profils aluminium. Sont-elles l’objet d’un faux historique ? Ces nouveaux composants produisent-ils l’effet d’une indélicatesse envers l’auteur ou, au contraire, d’une attention du second architecte, considéré en 2020 comme un passeur ? Passer n’est pas effacer.
D’a : Est-ce que tous les bâtiments sont d’une manière ou d’une autre transformables ?
Lorsqu’on s’attache à transformer un bâtiment qui ne réunit pas les conditions de sa conservation, c’est l’échec annoncé. Certains, cependant, s’efforcent d’y arriver. On détruit alors beaucoup pour aboutir à un résultat décevant et souvent hors de prix. Rue de Mouzaïa, nous étions très bien servis par les plans limpides dessinés par Remondet et Parent. Nous avons ausculté l’existant, très peu cassé à l’intérieur, soudainement, les bureaux de la DRASS ont basculé vers des logements adaptés, (presque) sans effort. Toutes les constructions actuelles ne sont pas mutables. Parfois l’effort à réaliser est tel qu’il ne faut pas hésiter à déclarer une déconstruction raisonnée. Cependant, lorsqu’un bâtiment est déjà présent, ce n’est qu’en dernier recours que doit venir la décision de sa démolition, d’où l’importance d’une longue période efficiente de diagnostic architectural et technique. La clef d’une transformation est située à cette étape décisive, doute et bénéfice. Progressivement, c’est la prochaine étape, se mettent en place des méthodes de réparation raisonnée et adaptée à la renaissance du construit déjà -là .
D’a : Vous défendez l’importance de cette étape cruciale de diagnostic, trop souvent méjugée…
Nous ne sommes pas les seuls, la DRAC Île-de-France, l’Ordre des architectes, la Miqcp militent dans ce sens. Rue de Mouzaïa, l’immeuble s’est favorablement prêté à sa transformation comme si les architectes, cinquante années plus tôt, avaient anticipé cette réversibilité future. La méthode est de s’approprier les avantages du déjà -là , en pliant avec délicatesse l’insertion du nouveau programme, en acceptant de jouer – si on le découvre – avec le génie du lieu. D’où l’importance de la phase du diagnostic architectural, menée avec précision, réclamant relevés in situ, exécutés de préférence par la maîtrise d’ouvrage et ses mandataires en amont d’une consultation d’architecture.
L’équipe de maîtrise d’œuvre, dans le cadre de l’élément DIAG – mission trop souvent sous-estimée (comme son calendrier) – découvre tardivement des désordres peu perceptibles avant la conduite des investigations sur le terrain. Les équilibres fonctionnels et économiques se profilent particulièrement à cette étape de faisabilité technique qu’il est indispensable de doubler d’une étude préalable historique. La phase diagnostic constitue 30 % du projet (en totale dissociation du barème des honoraires : temps). Il faut lui accorder de l’épaisseur. Il suffit d’observer au quotidien certains chantiers de réhabilitation lourde : grues, engins spéciaux, camions, bennes effectuent sans cesse des rotations, béton en quantité alors qu’on affiche la vertueuse conservation de l’existant… Il faut être habile pour laisser au vivant le plus possible d’éléments d’origine, d’où la nécessité de « dialoguer » avec le construit existant. Cette phase préliminaire est fondamentale.
D’a : Quel est aujourd’hui le frein majeur à la conduite de ces transformations ?
Le frein n’est pas technique mais financier. Il n’est plus envisageable d’engager des budgets plus élevés pour transformer que pour construire. L’édifice existe, il est vivant ou assoupi, auparavant une large équipe l’a constitué, depuis longtemps son tribut carbone est amorti. Après l’acquisition du foncier, il faudrait encore introduire 2 000 ou 2 500 euros HT du mètre carré pour réaliser les travaux. Intellectuellement et financièrement, le processus ne sera plus crédible longtemps. C’est la raison pour laquelle on a tant détruit. Dans le même temps, les investisseurs n’ont plus d’autre choix que de redécouvrir le parc existant ; c’est ensemble, avec les maîtres d’ouvrage, industriels et constructeurs, que nous initieront des dispositifs pour faire baisser les coûts.
D’a : Lesquels selon vous ?
Pour faire chuter les dépenses, il est nécessaire d’adapter la gymnastique opérationnelle en distinguant l’enveloppe extérieure d’un bâtiment des composants de l’intérieur. Nous sommes nombreux à penser que la voie à suivre est celle de l’industrialisation liée aux dispositifs hors site. La logique qui prévaut actuellement consiste à reconstituer un bâtiment à l’intérieur d’un existant en utilisant les outils et procédés empruntés à la construction neuve. Il est difficile d’appliquer les normes du neuf dans des bâtiments anciens. C’est cependant le plus courant et souvent réglementaire.
Le prochain défi ? Transformer plus vite et moins cher en introduisant des éléments qui n’ont plus besoin de se frotter avec le bâtiment existant. La réparation par composants agencés à l’extérieur pourrait être une alternative aux réhabilitations lourdes. C’est une recherche qui doit être menée par les majors du BTP, par les industriels et les ministères concernés. Face au champ immense de reconquête des bâtiments patrimoniaux, correctement construits, riches de ressources (qu’il ne faut donc pas détruire), un mouvement se dessine, porté par les architectes, CAUE, notaires, juristes, écoles d’architecture…
D’a : La réversibilité que vous défendez permettrait aujourd’hui de mieux anticiper les reconversions de demain. En quoi le choix constructif est-il décisif ?
C’est la réponse essentielle. Le système poteaux-dalles, en particulier, permet d’échapper à la segmentation intérieure du bâtiment, inconvénient majeur qui provoque des contraintes telles que les façades porteuses empêchant de renouveler l’identité d’un immeuble ou les murs de refends encombrant les plateaux d’un bâtiment. La souplesse d’une grille constructive peut constituer le plan libre, privilégier un paysage sans obstacle, générer une fluidité des fonctions, offrir une variation permanente des aménagements intérieurs et des usages. Le temps est venu de construire sans affectation. À Bordeaux, nous développons, avec Elithis, l’opération TEBiO sur les terrains d’Euratlantique. Premier démonstrateur issu du permis d’innover (loi ELAN) initiant l’instruction d’un permis de construire sans affectation, ni destination fixe. Mais il faudra encore quelques années pour qu’apparaisse dans la case administrative du CERFA la notion « non affectée » ou « réversible » et que soit communément admise l’idée de construire des bâtiments « non genrés ».
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