(2/3) « Repositionner des bâtiments obsolètes dans le récit urbain » Entretien avec Olivier Waintraub, directeur général de SEERI et de Patrimoine & Valorisation

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 16/11/2021

transsformation de la caserne St-Didier, Paris 16e, par Louis Paillard

Dossier réalisé par Maryse QUINTON
Dossier publié dans le d'A n°294 Olivier Waintraub dresse un état des lieux de ce marché émergent auquel la crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur. Et surtout, il nous explique les logiques de rentabilité qui favorisent ou non cette mutation. Il dirige Patrimoine & Valorisation, filiale de Nexity spécialisée sur les opérations de transformation d’actifs immobiliers en logements dans la France entière. Dans un contexte de pénurie de foncier, réanimer les bâtiments tertiaires désuets s’inscrit pour lui dans une démarche de redynamisation du territoire pour favoriser un renouveau urbain tout en minimisant l’impact environnemental.

D’a : Comment Nexity en est venu à s’intéresser depuis quelques années à la transformation des bureaux en logements ?

Spécialiste du neuf, le groupe Nexity a effectivement lancé depuis cinq ans une filiale en mode start-up, Patrimoine & Valorisation, dont la mission initiale était de tester le marché émergent de l’ancien au sens large. Le savoir-faire qui s’exprime sur l’existant est très différent du neuf, puisque par définition il faut composer avec ce qui est déjà là. Nous travaillons sur deux axes : le premier est fondé sur la rénovation de l’ancien patrimonial, axé Monuments historiques, entrant dans les dispositifs loi Malraux, déficit foncier… Nous Å“uvrons ainsi à remettre sur le marché des bâtiments qui sont obsolètes, un peu fatigués. Puis, de fil en aiguille, nous avons pris la vague de la transformation de bureaux en logements. C’était un sujet que nous regardions depuis un certain temps.

 

D’a : Dans quel esprit abordez-vous ces opérations singulières ?

Nous menons ces projets dans le respect de l’existant. Il ne s’agit pas de désosser le bâtiment pour faire du neuf à l’intérieur. Nous essayons de comprendre comment il fonctionne pour pouvoir le rendre habitable, malgré des configurations qui ne sont pas celles du logement, qui n’ont pas forcément les dimensions idéales mais qui donnent un cachet incroyable et une âme à ces appartements. Toutes nos interventions doivent avoir du sens, afin de ne pas gommer ce passé et sans chercher à reproduire les réflexes du neuf. Nous avons une forte ambition sur ce secteur. Néanmoins, ces transformations de bureaux en logements se heurtent à certains freins, dont l’équation économique, qui est souvent plus favorable aux bureaux.

 

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Logements et bureaux obéissent à deux économies différentes. L’équation économique n’est pas du tout la même pour aboutir à la valeur du bien. Pour le logement, c’est simple puisqu’il existe un prix au mètre carré. En revanche, l’économie du bureau ne se calcule pas de cette façon mais sur un couple de valeurs que sont le loyer et ce qu’on appelle le taux de capitalisation, c’est-à-dire le rendement. Plus les endroits sont recherchés, plus l’investisseur accepte un rendement faible. Ce qui signifie que plus l’immeuble et son secteur sont recherchés, plus le taux de capitalisation est faible. Selon l’endroit, l’économie est donc plus favorable au logement ou au bureau.

 

Parlons chiffres ! Pouvez-vous nous détailler simplement ces calculs ?

Prenons un exemple : si vous avez un loyer de bureau à 600 euros/m2 et un taux de capitalisation de 3 %, parce que l’endroit est recherché, la valeur de votre bureau est 600 euros divisé par 0,03, soit 20 000 euros/m2. Alors que le logement dans le même quartier est peut-être à 12 000 euros/m2. Si votre loyer n’est plus à 600 euros/m2 mais à 200 euros/m2 parce que le secteur est moins recherché et que donc le taux de rentabilité est plus élevé, disons 5 %. Alors à ce moment-là, votre bien vaut 200 euros divisé par 0,05 soit 4 000 euros/m2. Si les logements du secteur valent 7 000 euros/m2, l’économie est plus favorable au logement parce que le chiffre d’affaires de l’opération en logements sera supérieur à celui des bureaux. Bien entendu, il faut y ajouter le montant des travaux nécessaire pour la transformation des bureaux en logements.

 

D’a : Ce sont effectivement deux logiques financières différentes…

Tout à fait. Dans le logement, on additionne les valeurs. Dans le bureau, on les multiplie. Le levier est donc beaucoup plus fort. Dès que le taux de capitalisation bouge d’un dixième, l’effet sur les valeurs est extrêmement important.

 

D’a : Néanmoins, en partant du principe qu’un bâtiment de bureaux est vide, qu’il est impossible à louer ou qu’il nécessiterait des travaux trop importants pour le mettre aux normes, on parle d’un bien qui ne vaut plus rien…

Exactement. Et c’est là que nous intervenons. Prenons le cas de figure de ces bureaux qui nécessitent ce qu’on appelle, dans le langage du tertiaire, des CAPEX, c’est-à-dire des travaux d’investissement pour remettre aux normes le bâtiment, le moderniser par rapport aux aspirations des salariés. Cet investissement est amorti sur la durée grâce au loyer. Parfois les CAPEX deviennent très élevés, notamment par l’obligation d’isoler les façades ou de changer le système de chauffage peu compatible avec les énergies renouvelables. Dans certains cas, il peut y avoir des travaux très lourds à entreprendre, face à un marché tertiaire détendu qui fait que le bâtiment restera vide.

 

D’a : Et donc cela signifie que ça ne vaut pas la peine d’entreprendre des travaux aussi importants…

Si vous n’avez pas de locataire derrière, vous aurez juste dépensé l’argent des travaux. Donc, dans notre façon d’approcher les choses, nous évitons d’être trop radicaux, de proposer des opérations mixtes mêlant bureaux et logements. À Champs-sur-Marne, nous avons racheté au travers d’un montage partenarial un bâtiment de 16 000 m2, un ancien immeuble occupé par La Poste, que nous entreprenons de transformer avec BFV grâce à des extensions et des surélévations puisque le PLU le permet. Situé à proximité d’un pôle universitaire, il rassemblera 300 logements en coliving, 4 000 m2 de bureaux, des commerces et restaurant.

 

D’a : Pour éviter de reproduire la monofonctionnalité originelle ?

Tout à fait. Ce sont des projets extrêmement enthousiasmants à travailler puisque notre approche consiste à repositionner le bâtiment obsolète dans le récit urbain, par rapport aux usages et par rapport aux besoins. À Champs-sur-Marne, nous proposons un socle actif axé vers les étudiants et du coliving, qui répond à un besoin d’habiter un peu différent, ce que permet la trame de ce bâtiment des années 1980.

À Gennevilliers, c’est un bâtiment de bureaux des années 1990 dans une situation d’entrée de ville que nous retravaillons en mêlant des commerces, des espaces de coworking et des logements dans les étages les plus élevés. Le bâtiment a un plan circulaire, ce qui permet de retrouver des volumétries atypiques et ne pas proposer des appartements qui ressemblent au neuf.

 

D’a : La hauteur sous plafond apparaît souvent comme la panacée alors qu’elle s’avère souvent un frein majeur ?

La hauteur sous-plafond est très souvent un problème puisque les bureaux ont la plupart du temps été construits avec des planchers de faible épaisseur, parfois 15 cm. La transformation en logements nécessite un travail conséquent sur l’acoustique, lequel nécessite une certaine épaisseur. Vous finissez parfois à moins de 2,50 mètres, voire à 2,30 mètres, ce qui n’est pas possible.

 

D’a : Il ne faut donc pas imaginer que ces mutations sont systématisables. C’est du sur-mesure à chaque fois, en fonction de ce qu’on peut garder, de la capacité du système constructif, de son potentiel…

Nous avions étudié un immeuble à réhabiliter dans le 19e arrondissement de Paris, rue Curial, en face du 104. Nous l’avons travaillé dans tous les sens jusqu’au jour où nous nous sommes rendu compte que façades étaient montées comme des Kapla et qu’entre chaque élément il y avait de l’amiante. En fait, il ne restait plus rien lorsqu’on démontait la structure pour enlever l’amiante, donc l’option finale s’est portée sur la construction d’un bâtiment neuf. C’est souvent un exercice très complexe, parce qu’il faut jouer en permanence entre le côté créatif pour imaginer la reconversion de ces surfaces et les normes qui nous sont imposées. Il y a toute une gymnastique de conception pour positionner l’ensemble du bâtiment de manière performante, en termes opérationnels mais aussi d’équation économique.

 

D’a : Malgré la complexité de ces opérations, c’est un champ que vous souhaitez investiguer.

Chez Nexity, nous avons une vraie stratégie sur ce sujet mais aussi un vrai savoir-faire. Nous souhaitons nous positionner dans la durée sur ces opérations de transformations parce qu’elles sont un moyen de reconquérir des surfaces de logements dans des territoires qui sont déjà très denses, dans des endroits où il n’est plus possible de construire du neuf aujourd’hui, et surtout, d’inventer de nouveaux logements atypiques, agréables et généreux.

 

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