(1/3) « Accompagner les territoires pour favoriser l’acceptabilité de ces projets » Entretien avec Alexandre Chirier, président d’Action Logement

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 16/11/2021

transformation de l'immeuble ADP au Pecq, Beguin & Macchini Architectes

Dossier réalisé par Maryse QUINTON
Dossier publié dans le d'A n°294 Filiale du groupe Action Logement, la Foncière de Transformation Immobilière prévoit de mobiliser 1,5 milliard d’euros pour acquérir des bureaux ou des locaux d’activité obsolètes, lever les freins dans la durée et permettre leur transformation en logements abordables. Alexandre Chirier, président d’Action Logement, détaille ce modèle original situé à la croisée des métiers. Il revient sur la difficulté de trouver les Ã©quilibres financiers et la nécessité des partenariats avec les collectivités.

D’a : Quel est le rôle d’Action Logement dans la transformation des bureaux en logements ?

Au sein du groupe, nous avons créé la Foncière de Transformation Immobilière, un outil dédié à cette question de la transformation des bureaux en logements. C’est notre cÅ“ur de cible mais nous intervenons sur l’ensemble des actifs, non résidentiels, qui pourrait trouver un changement d’usage. Ce peut être des bureaux mais aussi des cliniques, des hôtels, des locaux d’activité, etc. Lorsque nous parlons de transformation immobilière, nous privilégions dès que c’est possible la conservation de tout ou partie des structures existantes. Mais il faut savoir faire preuve d’intelligence car il est parfois strictement impossible de garder ce qui est construit, au risque de verser dans une incohérence totale. Pour résumer nos deux brins d’ADN, le premier enjeu de ces transformations est de contribuer à renforcer la production de logements et plus particulièrement de logements abordables. Le second, c’est le climat puisque transformer implique une moindre production de CO2 et une moindre artificialisation des terres en travaillant sur ce qui l’a déjà été. 


 

D’a : En quoi consiste exactement votre métier ?

Notre métier est protéiforme de manière à pouvoir aligner les planètes sur ce sujet, dans le marché de l’immobilier et le marché urbain en général, qui est assez compartimenté. Nous nous sommes positionnés de manière à pouvoir fédérer les acteurs sur ces projets qui relèvent à chaque fois du sur-mesure. Notre métier, c’est l’acquisition – donc de l’investissement â€“ mais aussi de l’ingénierie foncière, financière, de projet et du territoire, pour faire en sorte de décoincer ou d’accélérer les projets. Nous intervenons uniquement lorsque nous sommes en fusion de stratégie, entre notre ADN et ce qui est porté par la collectivité locale. Nous ne sommes pas dans le modèle qui demande des prises de position rapides et très conditionnées auprès des propriétaires avant d’exercer nombre de démarches afin de déverrouiller le sujet. Si la collectivité n’a pas envie, quelle qu’en soit la raison, nous n’insistons pas, on se quitte bons amis. Nous sommes là pour accompagner les territoires en faveur de la production de logements qualitatifs, dans une bonne insertion urbaine et acceptation de la population.

 

D’a : Quels sont les freins ?

Ils sont multiples. On a toujours tendance à parler de l’acceptabilité des élus, de l’aspect technique. C’est une réalité mais il faut regarder les choses de manière holistique. Parce que les fonctionnements des marchés, les modèles économiques ne sont pas les mêmes entre le bureau et le logement. Le bureau est très financiarisé, même si le logement y arrive aussi. Ce sont des actifs qui font l’objet de stratégies d’investissement, et donc qui impliquent des calculs de retours sur investissements. Le deuxième point, c’est que l’immobilier de bureau est celui à l’obsolescence la plus rapide, il exige donc des réinvestissements réguliers. Et puis, il y a ce travail pédagogique à faire auprès des élus, leur expliquer que faire du logement aujourd’hui, ce n’est pas forcément créer la « ville-dortoir Â» qu’ils craignent, parce qu’avec le télétravail, les habitants vont être plus présents la semaine qu’avant la crise sanitaire. Ce qui entraîne des besoins de services, des occasions de redynamiser un appareil commercial, etc. Il y a un travail global à mener par rapport à ce que demande le marché autour de ces opérations.

 

D’a : Qu’entendez-vous par « acceptabilité des élus Â» ? Les collectivités ne sont-elles pas toujours partantes pour ces transformations ?

Non. La fiscalité économique, l’acceptabilité du chantier et du projet dans un quartier par la population sont des sujets souvent difficiles. Lorsque vous avez eu pendant vingt ou quarante ans des immeubles de bureaux occupés et qui sont aujourd’hui vides, il y a cette culture de l’acquis qui conduit les collectivités à se dire : « Ã‡a va revenir. Â» Or ce n’est pas forcément le cas, car les formes de travail, les usages et les lieux d’attractivité changent. Les entreprises sont confrontées à ces questions. Cette culture de l’acquis est problématique car si la collectivité n’accompagne pas ces transformations et si l’actif ne correspond plus au marché, le propriétaire va le laisser vide ou va mal le louer. Quand je dis « mal louer Â», c’est-à-dire que les revenus que l’actif va générer ne vont pas permettre d’amortir des investissements pour le moderniser, pour lui redonner une nouvelle vie, et que, forcément, arrivera le jour où il sera vide. C’est repousser le problème.

 

D’a : Quelles sont les conséquences possibles de cette pandémie sur l’immobilier tertiaire ?

Il y a une étude prospective de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière, faite auprès des entreprises, qui établit des scénarios sur les impacts du télétravail. Rien qu’en ÃŽle-de-France, rien que sur le bureau, avec une hypothèse de 60 % des emplois de bureau télétravaillables deux jours par semaine, cela représente 606 000 équivalents temps plein, soit par an plus de 300 000 m2 de bureaux qui vont devoir trouver un autre usage pendant une dizaine d’années. Et c’est un scénario moyen parce que, pour les entreprises, ce n’est pas uniquement un sujet d’empreinte immobilière, il s’agit de préserver l’accord social, de s’organiser plus globalement pour être plus résilient face à la crise, de répondre à l’attente des collaborateurs qui ont pris goût à une part de télétravail. Ce qui a forcément un impact sur cette empreinte immobilière, sur l’organisation des espaces dans les immeubles qui, pour certains, vont avoir une obsolescence plus rapide parce que, de par leur localisation, leur contexte et leur structure, ils vont moins être en capacité de répondre à ces évolutions. Et puis d’autres vont devenir encore plus chers parce qu’ils vont cocher les bonnes cases. Il y a donc un gisement à la fois important et lissé dans le temps face à ce contexte multifactoriel. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la réponse, mais ces transformations vont inévitablement occuper de plus en plus de place : c’est le sens de l’histoire de ne plus laisser des morceaux de territoire qui ont un mauvais rendement à la fois économique, social et d’utilité pour la société. Ce qui est une niche aujourd’hui tend à devenir une part de marché sensible pour la production de logements.

 

D’a : Malgré leur évidente complexité et leur équilibre financier fragile, pensez-vous que ces opérations peuvent prendre un véritable élan ?

Je pense qu’elles vont prendre une place de plus en plus importante. N’oublions pas que la transformation bureaux-logements fait partie de la transformation immobilière en général qui elle-même est dans la transformation urbaine. Il y a des bureaux mais aussi des établissements médicaux, des espaces d’activité, des garages… Il faut envisager les choses au sens large et mettre tous ces objets immobiliers à transformer en perspective. Deuxième chose, quand on compare de façon globale le nombre de logements produits entre le neuf et la réutilisation en France, la part est effectivement faible. Mais si vous considérez l’endroit où se trouvent ces bureaux et que vous rapportez les proportions à ces territoires, c’est-à-dire ceux où il y a besoin de davantage de logements, ça devient beaucoup moins anecdotique ! C’est un facteur quatre qui est évoqué, c’est-à-dire que la proportion est quatre fois plus importante que la moyenne nationale.

 

D’a : Et l’enjeu du climat reste primordial…

Exactement, et même pour ceux qui n’y croient pas. L’enjeu climat nous pousse à aller dans cette voie. On ne manque pas d’argent. Avant le covid, il y avait sept fois le PIB mondial qui cherchait où investir. Avec le covid, ce sont ces mêmes investisseurs qui ont vu leur patrimoine augmenter de 30 %. Les structures de stratégie, de cibles d’investissements sont toujours les mêmes face à la puissance publique dont la tension sur ses ressources est énorme. Pouvoir reconstruire cette acceptabilité est un véritable enjeu économique. Et reconstruire cette acceptabilité, ce n’est pas uniquement aller chercher le rendement maximum sur le terrain qui est bien desservi, bien aménagé, etc. C’est traiter globalement les investissements en tenant compte du déjà-là et de l’environnement de l’actif immobilier. Il faut articuler les modèles économiques de l’ensemble des acteurs immobiliers pour répondre à ce que nous cherchons tous aujourd’hui : des lieux de vie, où dormir, où travailler, mais aussi en interaction avec l’espace public, les services, etc.

Faire de la transformation bureaux-logements, ce n’est pas juste de faire un business plan d’une opération avec des hypothèses sur lignes Excel. C’est aller comprendre le territoire, travailler l’insertion urbaine, trouver les éléments de langage qui vont permettre à la collectivité de porter politiquement le sujet. C’est un travail très fin où se rencontrent des logiques contradictoires, un travail qui demande une remise en cause, de la créativité, de l’empathie avec le lieu, les territoires… et un peu de générosité.

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