Architecte : Frédéric Didier et Bernard Desmoulin Rédigé par Jean-François CABESTAN Publié le 05/04/2012 |
Lancé en 2003
par Jean-Jacques Aillagon, le projet du Grand Versailles a fait de la
réhabilitation du Grand Commun l'un de ses axes prioritaires.
Pièce de choix sur l'échiquier des réserves immobilières
susceptibles de désengorger le palais saturé, cet imposant bâtiment
classé au titre des Monuments historiques en 1929 a été
réincorporé aux dépendances du château. Destiné à accueillir
les services scientifiques, techniques et administratifs ainsi que le
pôle énergétique de ce dernier, il voit s'achever une première
campagne de travaux placée sous la responsabilité conjointe d'un
« en chef » et d'une « Équerre d'argent ».
Élevé de 1682 à 1686 au moment où le complexe palatial de Versailles atteint sa plus grande extension, le Grand Commun est un équipement mixte, dévolu à la « bouche » du roi, mais aussi au logement des courtisans et des domestiques. C'est un formidable parallélépipède « brique et pierre » qui s'intègre de manière un peu lourdaude aux volumes hiérarchisés polychromes qui constituent la séquence d'accès au château. C'est aussi un bâtiment-îlot, de plan presque carré (82 par 76 mètres), dont les quatre corps de logis de 20 mètres d'épaisseur – ils s'élèvent chacun d'un rez-de-chaussée sur cave, de deux grands étages carrés et de combles à la Mansart revêtus d'ardoise – délimitent une vaste cour pavée.
La simplicité de ce découpage vertical apparent dissimule l'entresolement des volumes dont l'empilement peut porter jusqu'à dix les niveaux d'exploitation. Aux couvrements voûtés des deux niveaux inférieurs – sous-sol et rez-de-chaussée – s'opposent en altitude les planchers à la française. Six cages d'escalier principales, réparties symétriquement, assument l'essentiel des communications à l'intérieur du bâtiment. À l'horizontale, leur arborescence se limite à quatre corridors-galeries d'assez belle largeur et de rares boyaux de dégagement.
Transformé après 1789 en manufacture d'armes, puis en hôpital militaire, l'équipement royal a perdu la quasi-totalité de son second œuvre. En dépit d'un usage intense et d'adaptations continuelles, le gros œuvre très sollicité n'a subi que peu de dommages. Au XXe siècle, la création de trois monte-charges et ascenseurs a ménagé – sans doute davantage par économie de moyens que par souci patrimonial – les splendides étagements de voûtes, et ce sont des berceaux d'importance secondaire qui ont été transpercés. Enfin, pour fluidifier les circulations, le principe de l'enfilade – il ne faisait pas partie de la conception de Mansart – s'est généralisé le long des façades, moyennant le percement de seize refends transversaux. Des plans d'étage levés au XVIIIe siècle et publiés par Jacques-François Blondel font état d'agencements dont la logique nous échappe aujourd'hui : pièces et séquence de pièces commandées, locaux en second jour, regroupement de volumes et compartimentation de certains secteurs se refusent pour nous à toute hypothèse d'adaptation à quelque usage que ce soit.
RESTAURATION DU CLOS ET DU COUVERT
La lourdeur du programme et la doctrine qui prévaut en France quant à la réutilisation des monuments historiques ont engendré un partage de la maîtrise d'œuvre. Le clos couvert, les distributions majeures ont été confiés à Frédéric Didier et l'aménagement des plateaux à Bernard Desmoulin. Cette répartition des responsabilités n'a pas peu contribué à générer une absence de parti et de gouvernance architecturale, préjudiciable en définitive à la valeur patrimoniale de l'édifice. Si le terre-plein de la cour offrait dans ce bâtiment un potentiel dont on a souvent fait grand cas ailleurs, la découverte des fondations du jeu de paume de Louis XIII et des vestiges de sépultures du haut Moyen Âge lors des fouilles n'a prêché ici en faveur d'aucune intention de projet. Il est vrai que les sous-sols de la cour étaient hypothéqués d'avance : c'est là qu'il s'agissait d'implanter le pôle énergétique et la réserve des grands formats. Les images éphémères de l'immense décaissé à ciel ouvert font mesurer l'importance de l'occasion manquée, et les pavés Louis XIV qui seront reposés à la chaux constituent un frugal lot de consolation !
Dans la cour intérieure, à l'abri de toute possibilité d'interférence avec le paysage urbain versaillais, 320 croisées de chêne à petits bois ont été exécutées à neuf et replacées dans les feuillures existantes, harnachées de toute la quincaillerie forgée d'usage. C'est faire peu de cas des progrès en menuiserie et vitrerie dont les maîtres d'œuvre du temps du règne de Louis XIV n'eussent pas manqué de recueillir les fruits, et nul égard pour les futurs utilisateurs des lieux. Du reste, il ne s'agit pas d'un état originel, mais d'un moment plus tardif lié à la modernisation des croisées à la fin du règne du Roi-Soleil, ami de la lumière.
Aujourd'hui dévolus à des activités tertiaires, les plateaux du Grand Commun n'ont pas échappé au régime de la réglementation en vigueur pour les bâtiments neufs de bureaux, et il n'était pas question non plus de renouer avec les dispositifs du Grand Siècle, impropres à nos usages. C'est dans l'enveloppe du clos couvert, et non sans causer en catimini d'importants dégâts, que l'on s'est employé à moderniser la distribution de l'édifice. Dans une économie de plan toute durandienne, quatre cages d'ascenseur aveugles ont été implantées au voisinage des escaliers à noyaux. Sans état d'âme, mais avec symétrie, on s'est accordé à crever les étagements de voûtes monumentales correspondantes – huit unités – et à dépecer en altitude des salles compri-ses entre 35 et 45 m2. Tels des parasites, des équipements sanitaires et des entresols techniques s'agglutinent aux ascenseurs et s'efforcent de prévenir la perception du forfait commis. Personne ne semble avoir imaginé que, traitées de manière contemporaine, ces mêmes cages d'ascenseur eussent pu conquérir leurs lettres de noblesse par l'accident et le contraste que ces dispositifs exogènes pouvaient légitimement être invités à produire.
AMÉNAGEMENTS INTÉRIEURS
À l'intérieur de ce cadre contraint à l'extrême, Bernard Desmoulin a mis beaucoup de science et de savoir-faire au déploiement des surfaces de bureaux. Les espaces de travail et la fluidité distributive nécessaire à ce type d'aménagement ont inspiré des partitions dont l'agencement, le rythme et la matérialité forment un contrepoint habile à la forte texturation de l'espace qu'engendrent l'alternance des refends transversaux et les poutres des planchers à la française. Les grands volumes qui résultent du curetage inconditionnel de l'édifice s'en trouvent incontestablement magnifiés. Certains italianismes de détail – l'usage du terrazzo, la tôle d'acier verni mat et les luminaires – et l'application un peu littérale de la charte de Venise risquent d'induire en erreur l'historien qui s'attacherait un jour à démêler la chronologie et les stratifications du bâtiment. Au crédit du beau travail de Desmoulin, on notera encore le traitement des baies des interminables enfilades qui règnent sans interruption d'un bout à l'autre du bâtiment. Une interprétation plus spécifiquement vénitienne de la porte en placard à deux battants étroits y aboutit à de puissants effets perspectifs et exalte la multiplication des partitions liées au programme de transformation.
Si l'on ne peut que se réjouir de la restauration attentive de morceaux d'architecture remarquables – les quatre cages d'escalier de pierre blonde à quatre noyaux – et de l'aménagement savant des plateaux de bureaux, la réhabilitation du Grand Commun demeurera l'exemple d'une occasion manquée. L'intransigeance doctrinale a conduit à des actes de vandalisme qu'une prise en compte implicite du potentiel de l'édifice avait permis d'éviter lors de chaque campagne, depuis sa construction. Les fronts bâtis intacts de Mansart et l'état de déshérence dans lequel était parvenu le bâtiment ne pouvaient-ils pour une fois, même à Versailles, prêcher en faveur d'une interprétation plus inventive de l'existant ? On ne comprend pas la frilosité de l'Établissement public du domaine, pourtant ami d'événements dont la teneur tendrait à prouver qu'il n'est pas irrévocablement ennemi de la création contemporaine.
PREMIÈRE PHASE
Maîtres d'ouvrages : Établissement
public du château, du musée et du domaine national de Versailles
(EPV) – Maître
d'ouvrage délégué :
Opérateur
du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic)
Maîtres d'oeuvres : Frédéric Didier et Bernard Desmoulin
Entreprises : contrôle technique,
BTP Consultants ; SPS, Coord'if ; OPC, Ceroc ;
coordonnateur générale SSI, PCA
Surface SHON : environ 11 000
m2
Cout : 12 millions d'euros
pour la restauration et 17,648 millions d'euros pour l'aménagement
intérieur
Restauration architecturale du clos et du couvert et des espaces remarquables.
[ Maîtres d'œuvre : Frédéric Didier, architecte en chef des monuments historiques. Yves Le Douarin, vérificateur des Monuments historiques – BET structure : Brizot-Masse – Entreprises : maçonnerie, pierre de taille, installation chantier, Dubocq ; peinture, Lacour ; ferronnerie d'art, serrurerie, lustrerie, ateliers Saint-Jacques ; charpente bois, restauration bois, Asselin ; menuiserie bois, vitrerie, peinture sur menuiserie, Asselin/Perrault ; restauration des sculptures, Tollis/Jean Gardet ; couverture, ardoise, échafaudage, zinguerie, Toitures Petit et Fils ]
Aménagement intérieur du Grand Commun.
[ Maîtres d'œuvre : Bernard Desmoulin, architecte. LASA, acousticien –Entreprises : démolition, gros œuvre, maçonnerie, pierre de taille, Lefevre ; menuiserie intérieure, parquet, revêtement sol, peinture, Pro Design/Dureau ; CVCD, Saga ; électricité, Ineo ; ascenseurs, Otis ]
Pôle énergétique
[ BET : Jacobs France – Entreprises : terrassements, génie civil, VRD, plate-forme élévatrice, NGE génie civil ; maçonnerie, pierre de taille), Lefevre ; menuiserie, métallerie, agencement, Pro Design ; matériel d'entreposage des œuvres d'art, Bruynzeel ; CVCD, Cofely-Elyo-Suez IDF ; électricité, Ineo VD-SDMO ; GTC, Basis ; sécurité incendie, Ineo VD-Siemens ]
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N° 207 - Avril 2012
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