Architecte : Aelier Bruno Gaudin et Virginie Brégal Rédigé par Pierre CHABARD Publié le 20/10/2022 |
Au
terme d’une quinzaine d’années d’études et de réflexions, d’exploration et d’invention,
de projets et de travaux, les architectes Bruno Gaudin et Virginie Brégal
livrent le « quadrilatère Richelieu », site originel de la
Bibliothèque nationale, entièrement renouvelé mais complètement lui-même et qui vient de recevoir le Prix d’architectures
2022.
Rares
dans la carrière d’un architecte sont les commandes aussi complexes, intenses, ramifiées,
les commandes qui sollicitent autant ses compétences, techniques et
esthétiques, culturelles et organisationnelles, que celle confiée à Bruno
Gaudin et Virginie Brégal en juillet 2007 pour la « requalification
du quadrilatère Richelieu ». Ce vaste îlot régulier d’environ 90 sur 170 mètres
en plein cœur du 2e arrondissement de Paris est à la fois un ensemble
architectural particulièrement composite, produit de trois cent cinquante ans d’interventions
successives, et un haut « lieu de mémoire » où se tisse la longue
histoire politique et architecturale de ce pays. Visiter le site en compagnie
des architectes, qui en connaissent chaque recoin, c’est parcourir de l’espace
et du temps, c’est croiser une cohorte d’architectes célèbres ou méconnus
– de Mansart à Labrouste, en passant par Le Muet, Thiriot, de Cotte,
Gabriel, Visconti, Boullée, Pascal, Recoura ou Roux-Spitz, qui se sont tutoyés
là au fil des siècles –, c’est ressentir plus qu’ailleurs l’historicité, l’instabilité,
la labilité temporelle de la chose édifiée. Pour parler d’architecture, Bruno
Latour n’invitait-il pas à « abandonner la vue statique des
bâtiments pour les saisir comme un flux de transformations1 » ? Le quadrilatère Richelieu serait
le paradigme de cette définition dynamique de l’architecture, en dépit de l’aspect
compact, homogène et éternel qu’il offre depuis la rue, avec
ses façades régulières qui représentent toutes les nuances du classicisme à la
française et qu’une même minéralité unifie.
What time is this place?
Constamment
transformé, cet îlot dont les hôtels particuliers ont abrité des fonctions
aussi diverses que la Bourse des valeurs ou la Compagnie des Indes orientales
au XVIIIe siècle a surtout accompagné les mutations majeures d’un
programme par nature en expansion : la bibliothèque, du cabinet
aristocratique à l’institution publique, de l’élégante galerie du palais
Mazarin aménagée pour accueillir la bibliothèque du Roi en 1721-1722 aux
vertigineuses surélévations de Michel Roux-Spitz dans les années 1930-1950 pour
offrir toujours plus d’espace de stockage à la Bibliothèque nationale.
De la ministre de la Culture
aux architectes des Bâtiments de France, c’est la métaphore archéologique de la
« strate » et de la « stratification » historique qui prévaut
sans cesse dans les discours pour décrire le site. Mais celle-ci est bien
faible pour dire l’intrication des temps et des styles, des projets et des
ouvrages, des accommodements ponctuels et des visions globales. À plusieurs
moments de son histoire, le quadrilatère a fait l’objet de grands projets qui
recomposaient des éléments déjà construits en un tout cohérent : l’aménagement
du palais Mazarin à la fin du XVIIe siècle, le projet illustre mais
avorté de Boullée de couvrir d’une grande voûte la cour de l’hôtel de Nevers
pour y abriter la bibliothèque royale, celui d’Henri Labrouste de donner ses
lettres de noblesse architecturales au programme de Bibliothèque nationale,
celui non moins ambitieux de Michel Roux-Spitz de la transformer en une grande
machine moderne de lecture. À chaque étape, ce n’est pas une strate
supplémentaire qui se serait déposée sur (ou qui aurait recouvert) les
précédentes mais une recomposition complexe qui tisse ensemble un écheveau d’intentions
héritées et projetées, d’éléments existants et nouveaux. Pour cela, les
architectes successifs – y compris Gaudin et Brégal – se sont livrés
à une grande variété d’opérations compositionnelles et constructives :
juxtaposition, adjonction, extension, inclusion, dédoublement, surélévation,
curetage, reprise en sous-œuvre, reconstitution à l’identique, démolition. Une
des plus étonnantes est peut-être la manière dont Roux-Spitz a littéralement
phagocyté l’aile occidentale de l’hôtel Tubeuf pour installer les magasins
ultra-modernes du département des estampes, tout en conservant la façade sur
cour que Jean Thiriot avait édifié fin XVIIe et en construisant un
nouveau « vestibule d’honneur » doté d’un escalier en pierre à l’écriture
néoclassique.
Chirurgie conservatrice
Une des grandes qualités de
l’intervention plurielle de Gaudin et Brégal tient à leur égale attention Ã
cette hétéroclite collection de pièces, à tous ces moments juxtaposés, à toutes
ces ambiances stylistiques qui se côtoient et parfois se mélangent. Plutôt qu’un
grand dessein unificateur, ce sont mille microprojets qu’ils ont coordonnés, en
s’adaptant à chaque situation ; parfois avec modestie et respect
historique, parfois avec audace en sacrifiant des éléments hérités, au grand
dam de certains défenseurs du patrimoine. Le cas le plus discuté fut le
remplacement de l’escalier d’honneur, attribué à Jean-Louis Pascal mais amorcé
par Henri Labrouste et terminé par Alfred Recoura au milieu des années 1910. Branché
sur le hall Labrouste, il se trouvait en effet à contresens des nouveaux flux traversants
générés par l’ouverture au public depuis la rue Vivienne. Car s’il y a bien une
constante dans les intentions architecturales de Gaudin et Brégal, c’est l’impératif
de clarification et de fluidification des circulations. Il s’agit d’abord d’ouvrir
largement au grand public ce quadrilatère longtemps considéré comme une tour d’ivoire,
une enclave ritualisée pour une élite de chercheurs initiés. C’est tout l’enjeu
de la nouvelle programmation de la salle Ovale comme espace de lecture
publique, sans réservation et sans inscription, de l’aménagement d’une salle de
conférences dans le corps central de l’hôtel Tubeuf et surtout de la création d’une
vraie séquence muséale à l’étage noble, dans la galerie Mansart restaurée, la
salle des Colonnes (dégagée de son hideuse mezzanine), la belle enfilade sur la
rue Vivienne et la rotonde sur la rue Richelieu.
Au point nodal des
cheminements, le nouvel escalier vient chercher les visiteurs dès le vaste « hall
Vivienne », créé pour irriguer l’ensemble du site, et les amène d’une seule
volée de 45 marches, en courbe et contre-courbe, dans l’axe de la salle
des Colonnes. On pourra gloser sur l’aspect sculptural, démonstratif voire
sur-dessiné de ce squelette de métal hélicoïdal sans appui intermédiaire,
habillé de feuilles d’aluminium brossé. Mais le réglage de sa géométrie, la
précision de sa mise en œuvre et l’évidence de sa trajectoire, dans la lumière
de ce volume de pierre, plaident indéniablement en sa faveur. De même que la
galerie vitrée qui enjambe le hall Labrouste et passe devant la façade de la
grande salle de lecture, le nouvel « escalier d’honneur » ne constitue
au fond que la partie émergée d’un ambitieux et nécessaire projet distributif :
réduire à douze la trentaine d’escaliers qui desservaient jusqu’à 70 niveaux
de sols différents, recalibrer et rationaliser des circulations devenues
labyrinthiques, encombrées, butant parfois sur des impasses, y apporter, autant
que possible, de la transparence et de la lumière.
L’endroit et l’envers
Salle Labrouste pour les
historiens de l’art, salle Ovale pour le grand public, salles de lectures
dédiées aux chartistes, aux philologues, à la consultation des estampes ou des
partitions de musique, galeries Mazarin et Mansart, grande séquence
distributive est-ouest : ces pièces de choix satisferont certainement les usagers,
qu’on espère plus nombreux et plus divers. Mais le meilleur du projet de Gaudin
et Brégal est peut-être ailleurs : dans l’extrême attention qu’ils ont
porté aux lieux de travail, aux magasins, aux espaces servants, aux dispositifs
techniques, à tout cet invisible du quadrilatère Richelieu qui fait le quotidien
des conservateurs, restaurateurs, personnels administratifs, d’accueil ou de
sécurité. De fait, le site de 69 000 m2 est une ruche que
partagent six départements spécialisés de la Bnf (Arts du spectacle, Cartes et plans,
Estampes et photographie, Manuscrits, Monnaies, médailles et antiques, Musique),
dotés de magasins nouveaux ou rénovés et de salles d’études attitrées. Le
principe de mise en circulation et de transparence qui a prévalu dans le projet
architectural s’est également appliqué au fonctionnement de ces départements
qui sont désormais invités à concevoir ensemble l’accrochage thématique annuel
d’une sélection tournante de documents issus de l’immense collection commune de
22 millions de pièces. Le double décloisonnement, de l’espace et des services,
privilégie les interactions et renouvelle potentiellement les manières de
travailler. Recherchant le confort et la lumière même dans les locaux les plus
modestes, traçant horizontalement et verticalement des circulations claires et
continues de bout en bout, les architectes ont su répartir les efforts et les
moyens sur l’ensemble du site.
Leur volonté de traiter avec
autant de soin le décor et son envers trouve sa plus exemplaire illustration dans
le choix de conserver le magasin central de Labrouste, sublime structure
enchevêtrée de fer, de fonte et de bois, dont la démolition fut un temps
envisagée, de la restaurer au plus près de son état initial (en supprimant
notamment les ajouts de rayonnages des années 1930) et de le transformer en
espace de lecture où les livres sont en libre accès. Renversant ainsi la
hiérarchie entre endroit et envers, devant et derrière, scène et coulisses,
Gaudin et Brégal instaurent à la Bnf une architecture pragmatique, inclusive et
égalitaire, une architecture qui la transforme au plus profond, mais sans trahir
ses mille passés.
Maîtres d'ouvrages : ministère de la Culture
et de la Communication, ministère de l’Éducation nationale, ministère de l’Enseignement
supérieur, de la recherche et de l’innovation
Maîtres d'oeuvres architecturales : Atelier Bruno Gaudin et
Virginie Brégal (chef de projet phase 1 : Raphaele Le Petit avec
Guillaume Céleste, Céline Becker, Nicolas Reculeau et Alexandre Ory architectes
sur site ; chefs de projet phase 2 : Olivier Peyrard et Raphaele
Le Petit, avec Benoit Lochon architecte)
Maîtrise d’œuvre Monument historique : Jean-François Lagneau (phase 1), Michel Trubert et Jean-François Lagneau (phase 2)
Entreprises :Degaine-Petit
(démolition, gros œuvre, charpente, pierre), Snadec (curage, démolition), Balas
(Couverture), SPIE Partesia (doublage, cloisons), DBS (faux plafonds), 1001 Couleurs
(peinture), France sols (revêtements de sol), Bonnardel (menuiseries
intérieures), Alkimia (serrurerie, ferronnerie), Samodef Forster (rayonnages),
SPIE Batignolles (plomberie, chauffage, ventilation, climatisation, synthèse),
Eiffage énergie IDF (courants faibles et forts), Kone (ascensoriste),
Charpentier de Paris (menuiserie extérieure), Schaffner (escalier d’honneur)
Surface SHON : 69 036 m2
Cout : : 153,5 millions d’euros HT
(141,043 millions d’euros HT, mission Gaudin ; 12,461 millions
d’euros HT, mission ACMH)
Date de livraison : mai 2016
(phase 1), septembre 2022 (phase 2) ]
Maîtres d’œuvre : Amas (architectes mandataires), FBAA (architecte associé), Sara de Gouy (arch… [...] |
Maîtres d’œuvre : Guinée*Potin (architectes), TUAL (BET fluides, environnement), ESTB (structur… [...] |
Maîtres d’œuvre : tact (architectes) ; PLBI (BET structure)Maîtres d’ouvrage : SNCF Gares &am… [...] |
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