Finement composée et construite, cette opération de six logements en autopromotion dans un tissu banlieusard vaut avant tout pour sa dimension résolument collective. Micro-utopie à la fois déterminée et décontractée, plus proche de Claude Sautet que de Charles Fourier, elle illustre les thèmes que Plan Común cherche à insuffler aux figures contemporaines de l’habitation.
Excepté l’étrange serre qui le coiffe, le bâtiment à la façade régulière, en brique et béton, déroge peu à l’ordinaire de ce coin de la banlieue nord-est, encore populaire. Il excède à peine la hauteur des autres maisons de cette petite rue résidentielle, coincée entre des grandes emprises industrielles en cours de reconversion et l’immense cimetière de Pantin qui noie le fort d’Aubervilliers dans un océan de verdure. C’est dans ce repli insoupçonné de la métropole, dont chaque parcelle est scrutée par les promoteurs, que Plan Común s’est ménagé sa petite bulle architecturalo-libertaire, contre la production courante. Mettant en commun les moyens d’investissement immobilier de trois des quatre associés de l’agence et recrutant dans leur entourage trois autres partenaires financiers, les architectes quasi quadras ont monté cette opération pour conjurer la fatalité de la propriété individuelle, inventer un habitat partagé et expérimenter au quotidien les idéaux architecturaux et politiques qui animent leur pratique.
Domestique et politique
Remarqué lors de plusieurs concours de logements et finalement lauréat en 2019 pour un lot important de la ZAC Saint-Vincent-de-Paul, Plan Común se distingue par un mélange de sobriété formelle, de précision géométrique et de maîtrise constructive, et par un goût prononcé pour la recherche typologique, exercice pourtant très contraint. Limpides et généreux, leurs plans de logements privilégient les multiples orientations, ouvrent les salles de bains à la lumière, testent, dans le sillage de Dogma, des articulations nouvelles entre habitat et travail, entre intimité domestique et sphère collective.
Pour cela, les espaces communs, généralement réduits à portion congrue, sont systématiquement amplifiés, conçus comme les supports non programmés d’une interaction sociale potentielle. À Saint-Vincent-de-Paul, ce seront les « communs verticaux », trames de paliers ouverts et appropriables, partiellement en double hauteur. À Pantin, c’est une séquence fluide et continue d’espaces partagés entre deux jardins, le patio engazonné et le potager suspendu. On traverse d’abord l’entrée, grande comme une vraie pièce qu’une porte industrielle vitrée peut ouvrir complètement sur la rue et transformer en passage ou en porche ; on emprunte ensuite un large escalier dont les paliers et les volées sont inondés de lumière ; on émerge enfin dans la serre équipée d’une cuisine et d’une buanderie collectives, foyer de la vie communautaire, jouissant d’un panorama presque circulaire sur le Grand Paris.
Précision et tolérance
Le terrain quasi carré de 16 mètres de large portait à l’origine une grosse maison mitoyenne dont l’état ne permettra de ne conserver que l’aile en retour sur le jardin, réhabilitée en maisonnette sur deux niveaux. Les cinq autres logements, tous traversants, occupent le nouveau corps de bâtiment sur rue. Ils jouissent d’une hauteur sous plafond hors normes (de 2,67 mètres, au rez-de-chaussée, à 2,96 mètres, au deuxième étage), de vastes pièces et de larges fenêtres, les mêmes dans les séjours, les chambres et les salles de bains. Ce luxe d’espace et de lumière est contrebalancé par une économie drastique des moyens employés : parpaings apparents de la cage d’escalier, poutres de l’ossature béton servant de linteaux aux maxi-fenêtres, sous-face brute des poutrelles et hourdis des plafonds, sols en béton lissé, panneaux de polycarbonate ondulé pour fermer les espaces non chauffés. Plutôt qu’un dispendieux « objet trouvé », choisi sur un catalogue, la serre est construite sur mesure avec des ressources limitées. Des solivettes de même section (38 x 140 mm) assemblées avec des sabots ou équerres métalliques standard et contreventées avec des bandes perforées en galva ont fait l’affaire.
Issues des filières belges de réemploi, les belles briques de remplissage – des « Boomse 65 » plus trapues que les standards habituels – portent encore des traces de leurs anciennes utilisations, émaillant la façade de petites touches turquoise, vert ou jaune. La pauvreté voire la banalité des matériaux est transfigurée par le soin porté à leur composition et à leur mise en œuvre. L’appareillage dit « debout » des briques, alternant des rangées de boutisses et de panneresses, a fait l’objet d’un calepinage méticuleux et d’un dialogue permanent avec l’excellent maçon. Entre le degré de précision du dessin et les marges de tolérance de la main, une bonne intelligence a été trouvée. Elle a permis par exemple le joli tour de force de caler dans l’axe d’une boutisse chaque extrémité des élégants garde-corps métalliques réalisés sur mesure – comme tout le reste de la serrurerie – par Charles Bédin, architecte désormais installé à Bruxelles comme métallier. De leurs fines tubulures cintrées, ils tracent des accents nets et graciles sur la massivité mate et brute du bâtiment.
Régularité et hybridation
Loin des objets répétitifs et tramés qui dominent une certaine architecture française au nom d’un « rationalisme » paresseux, ce projet de Plan Común est bien moins simple que sa façade régulière laisse penser. L’ossature béton admet des décalages parfois imperceptibles pour répondre à des impératifs aussi bien constructifs qu’esthétiques ou fonctionnels. Les poteaux sont en retrait d’une brique pour s’effacer derrière le parement et laisser régner les poutres comme bandeaux horizontaux sur la façade. La travée de droite est légèrement plus large notamment pour compenser en largeur ce que la travée de gauche a gagné en profondeur. La serre n’est pas un simple implant greffé sur un objet régulier. Au contraire, par ses dimensions (excédant la trame) elle affecte directement la structure du dernier niveau. Le jardin suspendu et ses 40 centimètres de pleine terre nécessitent également une poutre plus épaisse qui s’affiche en façade. Ces variations, qui ajustent mutuellement les éléments du projet, confèrent une indéniable vitalité à l’ensemble.
Une certaine incertitude flotte par ailleurs sur le caractère même du bâtiment. Est-ce une grosse maison ? Est-ce un petit immeuble ? Ni l’un ni l’autre, les deux à la fois, cette « maison commune » aurait pu figurer dans l’excellente exposition « The Grand Home » d’Édouard Ropars et Antoine Collet à l’ENSA Paris-La Villette. Constante dans la production de l’agence – comme à Saint-Vincent-de-Paul où le projet hésite entre plots et bâtiment-îlot –, cette hybridation des types établis n’est pas l’effet une fantaisie arbitraire mais sert in fine une véritable innovation typologique.
L’ambiguïté féconde de ce bâtiment tient enfin au rapport entre son identité et ses références externes. Cherchant à prolonger l’ordinaire vernaculaire banlieusard, ce bâtiment volontairement contextuel n’en est pas moins tissé d’un dialogue nourri avec des architectures plus lointaines dans le temps et l’espace. Des maisons de Blaf Architecten ou de Raamwerk autour de Gand à celle d’Harold Fallon rue Verbiest à Bruxelles, la Belgique fait manifestement partie de la géographie architecturale de Plan Común. Mais, composée de plusieurs anciens élèves de Lucan et Lapierre à Marne-la-Vallée, l’agence a été fondée au Chili en 2012 avant de s’installer à Paris en 2018, et combine à ces références nord-européennes, parfois néomaniéristes, une culture architecturale hispano-américaine plus politisée. La maison commune de Pantin trace ainsi la piste d’une architecture savante qui assume l’autonomie de ses moyens, non pour s’abstraire du monde mais pour contribuer à faire advenir d’autres modèles sociaux et politiques.
Maître d’ouvrage : SCI Jack Co
Maîtres d’œuvre : Plan Común (Kim Courrèges, Felipe De Ferrari, Sacha Discors, Nissim Haguenauer) ; collaborateurs : Studio Émile (serrurerie, garde-corps), Barbara Herschel, Gaspard Basnier, Marion Carvalho, Mariami Kurtishvili, Nils Bieker, Hanna Lindenberg) / Consultants : Make Ingénierie, Qui Plus Est
Entreprise générale : La Porta
Programme : 6 appartements – Surfaces : 330 m2
Coût : 800 000 euros HT
Livraison : printemps 2022