La campagne n’a pas toujours fait partie des terrains de jeu des architectes. La crise écologique fait qu’il en va désormais tout autrement. Le propos de Marot s’inscrit dans le sillage des réflexions menées par Rem Koolhaas avec ses étudiants de Harvard et d’une exposition au musée Guggenheim de New York en 2020, « Countryside, The Future », mais aussi des cours sur l’histoire de l’environnement qu’il prodigue à l’École d’architecture de Marne-la-Vallée. Il transpose dans un livre dense et plaisant l’exposition qu’il a conçue pour la Triennale d’architecture de Lisbonne en 2019. Cet ouvrage est donc un catalogue d’exposition, ou plutôt une transposition, sur la page imprimée du livre, de la scénographie de ladite exposition. L’originalité du propos tien à ce qu’il entend reconsidérer l’histoire et l’avenir de l’architecture et de l’aménagement à l’aulne des campagnes et des productions de l’agriculture. Si l’auteur adopte un ton volontiers didactique, il ne scelle jamais son engagement pour la cause, voire son militantisme écologique. Ne signale-t-il pas d’emblée (p. 13) : « Que nul n’entre ici s’il entend ignorer l’échelle et les limites de la biosphère » ?
L’organisation du livre est réglée comme du papier à musique. Tout comme l’exposition, elle suit huit parties, elles-mêmes subdivisées en sept chapitres de quatre pages, toutes composées selon une mise en pages standardisée. On obtient ainsi 56 points de vue – que l’auteur qualifie de « jurisprudence d’idées, d’épisodes ou de repères susceptibles de charpenter la réflexion sur le lien entre agriculture et architecture et son évolution dans l’histoire ». La brièveté de chaque texte, à quoi répond une profusion d’illustrations (pas toujours lisibles lorsqu’elles passent du format exposition à celui de reproduction livresque), renforce le caractère accessible de la démonstration, déployée selon un ordre relativement chronologique. Le parcours, très marqué par des références américaines, va donc des premiers établissements du néolithique aux quatre scénarios schématiques qui s’offrent à nous aujourd’hui, du plus urbain au plus agricole. Ces quatre options sont figurées dans les expositions par quatre vastes panoramas, auquel le format en double page du livre ne peut rendre justice. Elles sont intitulées : « Incorporation » (de l’agriculture dans la métropole capitaliste), « Négociation » (l’agriculture fait partie des extensions urbaines), « Infiltration » (la ville est colonisée par l’agriculture) et « Sécession » (l’ancienne hégémonie de la ville fait place à une communauté agraire dominée par les principes de la permaculture).
Si l’on peut regretter que le livre évacue rapidement l’architecture au profit de l’agriculture, et que le propos n’ait pas fait une part plus explicite à la politique, voire à la géopolitique, pourtant indispensables pour comprendre les phénomènes décrits, ce tableau vulgarisateur (au sens noble du terme) est à mettre entre toutes les mains, celles des petits comme celles des grands.