Comparaison des coûts des salles symphoniques |
Jean Nouvel a donné une conférence de presse ce matin à son atelier. Il estime qu'il peut maintenant parler librement car il se considère exclu de fait du chantier de la Philharmonie de Paris après 6 mois où aucun travaux n'a été réalisé sous le contrôle de son agence. Nous publions in extenso son texte ainsi que le récit et les chiffres de cette éviction (donnés par les AJN) Le coûtž de la Philharmonie, c’est le coûtžt de son programme. Historique du budget de construction sommaire : Un coût global de 381M€ dont la Philharmonie ne donne pas la décomposition exacte. Décomposition du coût au stade du marché. Coût des principaux partis pris architecturaux. Spécificités liés à la construction d’une Philharmonie. Proposition d’économies de l’architecte. Un contrat qui pénalise la maîtrise d’oeuvre. Des délais d’Žétude serréŽs : environ 15 mois. DŽélais d’attente de la Philharmonie : environ 23 mois. Un appel d’offre quasiment non concurrentiel. Les conditions du marché de travaux de Bouygues. Pilotage du chantier par la Philharmonie. Avantage aux entreprises. Qui change tout. Qui génère les retards ? Immixtion – éviction de l’architecte. Dates clés du chantier. |
JEAN NOUVEL :
« Le moment est venu de tirer les leçons de ce conflit entre une maîtrise d’ouvrage et une maîtrise d’œuvre (1). C’est important pour le fonctionnement de notre démocratie, pour l’avenir de nos professions, pour le respect des droits de l’architecte et pour le rôle de l’architecture dans notre société. Ce débat doit avoir lieu dans l’intérêt même de nos concitoyens.
Dans quelques jours, la Philharmonie de Paris va fermer ses portes pour deux mois de travaux dont je ne sais rien. Quels seront-ils ? Qu’en sera le coût ? Financés comment ? Le caractère public de ce projet mériterait une totale transparence. Or je suis confronté depuis plusieurs années déjà à la totale opacité des décisions de la maîtrise d’ouvrage sur laquelle il est nécessaire et utile de s’interroger. Qui connaît aujourd’hui le coût réel de la Philharmonie ? Tordons le cou à cette idée reçue que les surcoûts de la Philharmonie seraient de la responsabilité de l’architecte. Ils
sont dûs à son programme ambitieux – la volonté de créer une salle transformable, six salles de répétitions, une salle de conférence, des espaces d’exposition, seize salles du pôle pédagogique, etc. Aurait-elle été construite par moi-même ou un autre architecte, le coût serait le même.
La Philharmonie de Paris est une salle expérimentale totalement nouvelle, pour l’existence de laquelle s’est battu toute sa vie le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez qui vient de fêter son quatre-vingt dixième anniversaire. Son programme initial ambitieux a conduit à qualifier ce projet de « Pompidou de la musique » dans la mesure que ce bâtiment devait proposer plus qu’une salle de concert : un lieu de vie ouvert et connecté avec le Parc de La Villette dont le toit promenade devait être la continuation, et, par son « signal » surplombant le périphérique, une main tendue à la banlieue voisine. La Philharmonie devait être en somme le premier objet posé à la périphérie de la capitale au cœur d’un Grand Paris pour lequel je n’ai cessé d’œuvrer.
En 2007, j’ai été désigné par un jury souverain lauréat du concours international pour la conception et la réalisation de la Philharmonie de Paris parmi six de mes confrères. C’est donc bien que mon projet était le seul que souhaitaient voir construit l’association pour la préfiguration de la Philharmonie de Paris et ses tutelles, le ministère de la culture, la Ville de Paris et la Région Ile-de-France. La Philharmonie est alors un projet fédérateur, aussi généreux que nécessaire.
Commence pourtant une histoire conflictuelle. Au contraire de tous les usages, c’est à une association loi 1901 qu’est confié le soin de mener à bien un projet d’une telle envergure. Cette association ne deviendra jamais Établissement public, comme c’est normalement le cas, et comme le regrettera plus tard un rapport sénatorial. Laurent Bayle, son président, voulait
certainement bien faire : piloter ce projet au plus près des intérêts de la communauté musicale et le mettre à l’abri des à -coups politiques. Mais le temps n’est plus où présidence de la République et gouvernement avaient envie d’architecture. La crise de 2008 aussi a dit son mot et le devoir d’être économe. C’est la raison pour laquelle j’ai de nombreuses fois alerté les tutelles sur le coût réel du projet et la nécessité de le piloter au plus près.
Il en est allé autrement. L’association décide d’emblée de dissimuler le coût réel de la construction. Ses atermoiements retardent le chantier de 24 mois quand le temps total des études de la maîtrise d’oeuvre ne dure que 15 mois, une prouesse pour un tel projet. Elle lance ensuite un appel d’offre quasi sans concurrence alors que je n’ai cessé de demander un appel d’offre en lots séparés pour pouvoir maîtriser au mieux calendrier et prix. Ce parti pris du directeur général de l’association a conduit au choix de l’entreprise Bouygues et d’entreprises co-traitantes à sa merci.
S’invente alors une mécanique machiavélique, une machine à mettre à l’écart l’architecte du projet. La maîtrise d’ouvrage ne cesse de renforcer ses pouvoirs et de s’immiscer dans la réalisation du projet tandis que les miens ne cessent de diminuer, jusqu’à mon éviction en 2013. Ce manque de confiance et de respect a engendré des surcoûts qui auraient dû être évités.
En janvier 2015, la Philharmonie de Paris a ouvert ses portes contre mon avis. Je m’en suis expliqué dans les colonnes du « Monde » (daté du 15 janvier 2015). Depuis, elle connaît un succès public énorme : près de 500 000 personnes ont déjà assisté à un concert, une exposition ou un événement dans ses murs. L’unanimité de mélomanes comme des plus grands chefs et des
plus grands orchestres s’est faite autour de l’acoustique exceptionnelle et du confort visuel de la grande salle. Beaucoup se sont enthousiasmés pour la beauté du bâtiment. Mais tous ont pu
constater qu’il était mal (ou pas) fini à l’extérieur comme à l’intérieur et que de nombreux espaces étaient toujours fermés au public. Afin d’éviter cette situation, n’aurait-on pas du faire preuve de plus de confiance envers son architecte ? La Philharmonie de Paris est mal finie ? Finissons-là ensemble.
J’ai demandé ce printemps aux tutelles l’arbitrage d’un médiateur afin de me permettre, au mieux des intérêts de tous, de réintégrer mes fonctions et de mener ces finitions indispensables. Le « Pompidou de la musique » n’est pas encore là , les parties publiques sont inachevées ou souffrent de malfaçons. Cette demande est aujourd’hui lettre morte.
Ce conflit est certainement la préfiguration d’une situation inacceptable : la perte de l’autorité de la puissance publique dans la conduite de ses projets, l’affaissement de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique (dite loi MOP) de juillet 1985 et la certitude de s’enfoncer dans les travers déjà si souvent dénoncés des partenariats publics-privés.
Aujourd’hui, Paris et la France ne disposent pas de la salle de concert qu’elles méritent. Il est plus que temps de confier à son architecte les travaux de finition que mérite la Philharmonie de Paris afin qu’elle soit enfin ce que je veux : un objet calme, serein, qui luit dans la nuit et reflète tout le jour les frondaisons du Parc de La Villette et les flux des voitures sur le boulevard périphérique. »
(1) Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre : la maîtrise d’ouvrage est une personne physique ou morale pour laquelle un projet est mis en œuvre et réalisé. Commanditaire du projet, c’est elle qui définit le cahier des charges, les besoins, le budget, le calendrier prévisionnel ainsi que les objectifs à atteindre. Pour réaliser son projet, la maîtrise d’ouvrage fait appel à une maîtrise d’œuvre sous l’autorité d’un ou plusieurs architectes. Personne physique ou morale, elle a en charge la réalisation d’un ouvrage, la conception des plans, l’organisation, la supervision et la coordination des différentes personnes qui travaillent sur un même projet et livre le produit une fois terminé.
Le coût de la Philharmonie, c’est le coût de son programme
Le programme de la Philharmonie est particulièrement ambitieux
 Une salle de concert de 2400 places, flexible jusqu’à 3400 places
 Une très haute technicité
 7 salles de répétition
 14 salles de musique pour la pédagogie
 Des espaces d’exposition
 Une salle de conférence
 Des foyers généreux
ï‚· Des salons
ï‚· Des restaurants
ï‚· Des bureaux
Comparaison des coûts des salles symphoniques (voir tableau en fin d'article)
Coût moyen des récentes salles symphoniques dans le monde environ 110 000 € / siège
Budget proposé pour la Philharmonie de Paris (concours) : 49 000 € / siège
Valeur juin 2007
Historique du budget de construction
La Philharmonie a sciemment sous-évaluée d’au moins la moitié le budget de construction initial. Puis elle a masqué pendant des années la réalité des estimations. Au stade du marché, elle a masqué une partie importante des coûts. En chantier, elle a caché les accords financiers avec les entreprises. Aujourd’hui, la Philharmonie refuse encore de communiquer le prix du bâtiment.
 2006 : la Philharmonie évalue la construction à 136M€
 Janvier 2007 : la Philharmonie impose aux architectes un budget de 118M€
 Avril 2007 : Confirmation par la Philharmonie du budget de 119M€
 Décembre 2007 : l’architecte présente une estimation APS à 208M€, la Philharmonie transmet à ses tutelles une estimation à 138M€
 En cours d’études, la Philharmonie ajoute des programmes supplémentaires sans augmenter le budget
 Octobre 2008 : l’architecte présente une estimation à 247M€, la Philharmonie transmet à ses tutelles une estimation à 149M€
 La Philharmonie refuse les optimisations proposées par l’architecte
 Fin octobre 2008 : l’architecte estime le projet recalé à 210M€ en lots séparés
 Août 2009 : Bouygues évalue le projet à 306M€ / Vinci l’évalue à 365M€
 Janvier 2011 : les marchés de travaux est conclu pour environ 253M€ (218M€ plus 19M€ d’options plus 8,6M€ de primes à l’avancement plus 7,5M€ de travaux préliminaires)
 2012 : la Philharmonie réclame 50M€ supplémentaires et annonce un coût global de 386M€
 Depuis : la Philharmonie refuse de transmettre les accords financiers passés avec les entreprises
Un coût global de 381M€ dont la Philharmonie ne donne pas la décomposition exacte
La Philharmonie avance la décomposition suivante :
 130M€ de coût de construction de base (en 2007)
 74M€ d’honoraires (dont environ 20M€ pour la maitrise d’œuvre)
 30M€ de premier équipement
 62M€ liés à l’inflation et au calendrier (réclamés en 2009)
 40M€ liés à des choix stratégiques (réclamés en 2009)
 35M€ liés à des révisions de prix (réclamés en 2012)
 10M€ liés à des aléas (réclamés en 2012)
Que contiennent les 30M€ de premier équipement ?
Que contiennent les 62M€ liés à l’inflation ?
Que contiennent les 40M€ liés à des choix stratégiques ?
Comment justifier 35M€ de révisions de prix supplémentaires entre 2011 (date de la signature du marché de travaux) et 2012, alors que les révisions de prix sont une application mécanique et prévisible du contrat des entreprises ?
L’architecte est rémunéré sur un montant de travaux de 119M€
Décomposition du coût au stade du marché
Coût de construction au stade du marchéLes lots techniques représentent environ 70% du coût
(voir tableau n°2 en fin d'article)
Coût des principaux partis pris architecturauxL’accès du public à la toiture représente 0,61% du coût global
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