Architecte : Conception Le Corbusier, 1961-1965, réalisation Alain Tavès et Robert Rebutato, 1966-1967, restauration Silvio Schmed et Arthur Rüegg, 2017-2019 Rédigé par Catherine DUMONT D'AYOT Publié le 11/07/2019 |
Le pavillon de Le
Corbusier à Zurich pour la galeriste Heidi Weber vient de rouvrir après une
restauration exemplaire réalisée sous la direction des architectes Silvio
Schmed et Arthur Rüegg, avec une exposition consacrée à l’univers intérieur de
l’architecte.
La plupart des musées et les espaces d’exposition oscillent aujourd’hui entre cube blanc et architecture événementielle, entre abstraction et spectacle. Le pavillon Le Corbusier esquisse une troisième voie : une structure qui synthétise les deux positions et leur accorde une existence entrecroisée. À l’intérieur comme à l’extérieur, dans sa matérialité comme dans sa conception, il prouve la force expressive de la dernière tentative de l’architecte de concrétiser ses recherches sur la synthèse des arts. La rencontre avec Heidi Weber intervient à un moment charnière de la carrière de Le Corbusier. Il sait que la perception de son œuvre va désormais reposer entre les mains d’une nouvelle génération et recherche un dialogue avec des personnes qui semblent à ses yeux aptes à incarner l’avenir. Depuis la fin des années 1950, il travaille en étroite collaboration avec le graphiste Jean Petit sur des projets éditoriaux et lui laisse une relative liberté. Heidi Weber édite ses meubles mais devient surtout la figure essentielle pour la promotion de ses activités artistiques – dessins, peintures, sculptures, tapisseries et lithographies. Lorsqu’elle rencontre Le Corbusier en 1958 suite à la grande exposition au Kunsthaus de Zurich, il a déjà 71 ans. La galeriste zurichoise l’admire en tant qu’architecte, mais surtout en tant qu’artiste et designer de mobilier, et dès cette première rencontre, elle se consacre exclusivement à la promotion et à la commercialisation de son œuvre. Elle trouve un accord avec lui sur la production des meubles qu’il a dessinés en 1929 avec Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand et qui n’avaient jamais été produits en série auparavant. Parallèlement, elle organise régulièrement et avec succès des expositions de ses œuvres plastiques, accompagnées de publications soignées. Elle a été la première à penser les synergies possibles entre la commercialisation du mobilier, des œuvres d’art, l’édition de livres et de catalogues et l’architecture. La collaboration est fructueuse en termes de contenu, par exemple avec la création de lithographies en couleur, mais aussi un succès financier avec la production de meubles, qui atteint rapidement un tel succès qu’Heidi Weber signe un contrat exclusif avec Cassina. C’est alors qu’émerge l’idée de la construction d’un pavillon comme plateforme culturelle pour transmettre les idées et visions de Le Corbusier. Le projet prend le nom de « LCZH » (Le Corbusier Zurich) dans l’atelier de la rue de Sèvre et de « Maison d’homme » pour Heidi Weber.
Musées et machines Ã
exposer
Depuis des années, l’architecte poursuivait l’idée d’un
espace d’exposition idéal, cherchant à créer des espaces qui respectent
l’échelle de l’œuvre d’art – celle de l’homme – et dans lesquels les œuvres ne
soient pas écrasées, comme c’est le cas dans les grands musées monumentaux dont
il fait la critique avec Le Modulor (1950). En parallèle de son travail sur des
grands projets pour la Reconstruction, plans d’urbanisme ou projet pour l’Unité
d’habitation de Marseille, il propose en 1949-1950 un grand complexe muséal
pour la porte Maillot à Paris, divisé en quatre programmes spécifiques donnant
lieu chacun à une construction. Le premier est le Musée de la connaissance de
l’art contemporain, un développement du projet pour le Mundaneum à Genève, une
typologie de musée qu’il a ensuite développée pour les projets des musées de
Chandigarh, Tokyo et pour la conception d’un Musée du XXe siècle. Ce dispositif
est complété par un lieu de réception, destiné à abriter événements et festivals,
d’une exposition permanente sur l’architecture et l’urbanisme, et par un
laboratoire permanent des arts majeurs, un pavillon d’exposition entièrement
dédié à la synthèse des arts. Ce « laboratoire », avec sa toiture monumentale,
les deux grands « parapluie-parasol » carrés inversés et accolés est l’acte
fondateur du pavillon de Zurich.
Le pavillon pour
Heidi Weber
Après qu’Heidi Weber lui a donné l’assurance que la ville de
Zurich mettait un terrain à disposition en droit de superficie, sur la rive du lac,
Le Corbusier travaille intensivement au projet durant l’été 1961. Dans son
cabanon au Cap Martin, il en fixe les principes dans une série de 24 dessins
annotés et numérotés. La conception du pavillon est fondée sur une lecture
duale de l’univers. Il se compose d’éléments qui formalisent des paires
dialectiques complémentaires : un toit massif en tôle acier soudée et un volume
abstrait construit avec un système de construction léger et modulaire; un logis
– lieu de vie – et un atelier – lieu de travail. La construction et les détails
du projet suivent cette même articulation : rampe et escalier, béton et acier,
panneaux émaillés colorés à l’extérieur, panneaux de chêne naturel Ã
l’intérieur. Le développement du projet et la mise au point du système de construction
modulaire 226 x 226 prennent du temps, de même que les négociations avec les
administrations. Fin juillet 1965, après plusieurs réunions avec les ingénieurs
et entreprises à l’instigation de Heidi Weber, Le Corbusier signe un jeu de
plans de construction détaillés, peu avant de partir en vacances. C’est le
dernier projet quasiment prêt pour la phase d’exécution lors de son décès le
mois suivant. Alain Tavès et Robert Rebutato dessineront les plans de détail
pour l’exécution et seront en charge du suivi du chantier du bâtiment
finalement inauguré en juillet 1967.
Le Corbusier voyait dans le pavillon et sa genèse un
témoignage de son travail, il a documenté et conservé toutes les étapes de la
conception, classé et numéroté ses esquisses, fait photographier par René Burri
les différentes réunions avec Heidi Weber, Willy Boesiger, les membres du
conseil municipal. Le projet est mentionné de façon récurrente dans sa
correspondance, il écrit même en 1961 à James J. Sweeney, alors directeur du
Musée Guggenheim, que « cette maison sera la plus audacieuse que j’aie jamais
construite de ma vie. »
Prise de risque et
langage nouveau
Il a pris des risques pour le projet du pavillon : la
construction métallique et les panneaux émaillés multicolores constituent un
langage nouveau. C’est une occasion de revenir sur l’industrialisation de
l’architecture et sur le potentiel de la préfabrication. Il engage de nouveau
Jean Prouvé comme consultant et l’ingénieur Louis Fruitet, qui vient de la
construction navale. Il délaisse le langage du brutalisme, la marque
distinctive de son œuvre tardive, et s’aventure sur une nouvelle voie, qui
d’ailleurs engendrera malaise et critiques autant chez les derniers
collaborateurs de Le Corbusier que chez ses admirateurs – une perplexité qui
naît face à la difficulté pour eux d’interpréter ce bâtiment lisse, coloré et
chatoyant.
Expérimenter la
machine à exposer
Aux mains de Heidi Weber pendant plus de 50 ans, le pavillon
est maintenant la propriété de la ville. Il est géré par le Museum für
Gestaltung – musée du design de Zurich. L’exposition inaugurale « Mon univers »
propose un voyage dans l’univers de Le Corbusier et dans ses recherches
passionnées et obsessionnelles. Depuis ses études à l’École d’art de La
Chaux-de-Fonds, Le Corbusier s’intéresse à la relation entre l’artiste – à ses
yeux le terme est presque synonyme d’humain – et l’objet, qu’il s’agisse d’une
œuvre d’art, d’un objet quo - tidien, d’un artefact ou qu’il soit issu de la
nature. Toutes ses œuvres et ses réflexions s’enracinent dans ce labo - ratoire
ouvert, sa « recherche patiente », cet échange constant, nourri à la fois par
sa propre production et par tout ce qu’il rencontre et analyse. L’exposition
montre sa passion pour les objets de toutes les cultures et de tous les
horizons : au sous-sol, la première période à La Chaux-de-Fond et ses
appartements à Paris au travers d’objets du quotidien provenant de la
collection de la Fondation Le Corbusier à Paris – carafes du voyage en Orient
en 1911, verres et bouteilles acteurs des pein - tures puristes, photos de son
film à bord d’un paquebot, pierres et os, ses « objets à réaction poétique ».
Collecte et collection qui sont devenues un univers poétique dans la tête et
les mains de Le Corbusier. Au rez-de-chaussée et au premier étage, le mobilier,
les sculptures et les tapisseries dialoguent avec les espaces et la structure
métallique, permettant de faire l’expérience physique des dimensions idéales
abstraites du Modulor. Une petite exposition permanente montre des photos de René
Burri issues de la collection du Museum für Gestaltung ainsi qu’un aperçu des
travaux de restauration. Il faut prendre le temps de flâner, d’expérimenter les
différents mouvements de l’escalier et de la rampe, de profiter de la vue
depuis la terrasse, entre la structure modulaire et la toiture monumentale,
d’observer les dif - férents effets de la lumière sur le toit et la façade
colorée. Le pavillon propose une expérience unique de la syn - thèse des arts
voulue par Le Corbusier et de la puissance expressive de son architecture.
Une restauration
exemplaire
Le pavillon a fait l’objet d’une restauration extrêmement
minutieuse, réalisée sous la direction des architectes Silvio Schmed et Arthur
Rüegg. Si le bâtiment avait été bien entretenu et semblait à première vue
relativement bien conservé lorsque la ville de Zurich en est devenue
propriétaire en 2014, un examen plus détaillé a révélé des désordres plus
graves, de nombreuses infiltrations d’eau dans le cuvelage du sous-sol mais
aussi au niveau de la structure métallique, ce qui a entraîné de nombreux
points de corrosion. Une bonne partie des joints Néoprène était détériorée, les
double-vitrages parfois recouverts de films antisolaires en mauvais état. Une
réflexion a été menée sur la destination du pavillon. La première et la plus
importante décision prise par la ville a été de considérer que le pavillon est
avant tout une architecture à exposer en tant que telle et que la conservation
de l’œuvre originale passe avant les autres considérations programmatiques. La
fonction a été adaptée à l’œuvre et non réciproquement. La structure métallique
et les façades légères en métal ne permettaient pas d’envisager que le pavillon
puisse offrir des conditions d’exposition muséales. Le climat intérieur pouvait
par contre être amélioré pour obtenir des conditions acceptables pour des
expositions temporaires dans les étages et relativement bonnes dans le
sous-sol. Le bâtiment est ouvert au public d’avril à novembre et fermé pendant
la période hivernale. Il a été entièrement « réparé » sans qu’il soit
nécessaire d’obtenir un permis de construire, ce qui a permis d’éviter
certaines questions liées à la mise aux normes. Une réflexion globale sur les
adaptations nécessaires a été menée : le rez-de-chaussée a été rendu accessible
au PMR, les peintures anticorrosion de la grande toiture contaminées aux PCB
(polychlorobiphényles) ont été complètement éliminées et les vitrages très
exposés de la façade sud ont été remplacés par des vitrages plus performants.
Au sous-sol, le chauffage en sol défectueux a été remplacé avec la dépose puis
la repose des ardoises originales. Les joints Néoprène originaux développés
avec le concours de Jean Prouvé ont été remplacés par des joints en caoutchouc
EPDM reprenant la deuxième version du détail. L’étanchéité de la toiture a été
réparée sur tout le pourtour de la toiture. En ce qui concerne l’aménagement
intérieur, les panneaux en chêne masqués par des panneaux d’exposition blancs
au fil des années ont été dégagés, un système de panneaux amovibles adaptables
selon les expositions créé par les architectes et, dernier point, le mobilier
démonté par Heidi Weber en 2014 a été remplacé intégralement par des copies
réalisées selon les plans d’origines ou les relevés effectués par les
architectes. Il faut saluer ici l’énergie, le savoir et l’inventivité qui ont
été mis au service de l’invisibilité de cette restauration.
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