L’école que vient de livrer l’agence Joly & Loiret concrétise en partie leurs réflexions sur l’emploi des matériaux naturels, notamment la terre crue, pour diminuer l’impact environnemental des constructions. Mais ces architectes savent mieux que d’autres que les bonnes intentions ne suffisent pas à faire une architecture de qualité. Leur approche transcalaire – du territoire au détail constructif en passant par la définition d’espaces pédagogiques originaux – dépasse heureusement les questions des processus vertueux.
À quelques kilomètres au nord-ouest de Versailles, la commune de Villepreux est située dans la plaine agricole des Yvelines, que l’urbanisation du Grand Paris grignote peu à peu. L’école en question est d’ailleurs bâtie sur une extension récente de la ville gagnée sur des terres céréalières, faite de médiocres petits collectifs et de pavillons pires encore. Comme souvent, nous sommes confronté au paradoxe de devoir parler de constructions écologiques immergées dans des opérations de croissance urbaine qui font disparaître la campagne à un rythme infernal. N’acceptant plus d’être celui qu’on invite à planter l’arbre qui cachera la disparition de la forêt, Paul-Emmanuel Loiret nous explique qu’il a renoncé à l’exercice de la maîtrise d’œuvre pour se concentrer sur l’enseignement et la recherche. Ce projet est donc le dernier d’un tandem qui a marqué le paysage architectural français des dix dernières années avec plusieurs édifices de bonne facture, régulièrement publiés et exposés. Désormais, Serge Joly continuera seul dans cette voie.
Le groupe scolaire Thomas-Pesquet réunit une école élémentaire et une maternelle. Il est situé à quelques centaines de mètres du gymnase du Jeu de Paume, terminé trois ans auparavant par les mêmes architectes. Cet équipement sportif, lui aussi construit en limite d’urbanisation, décompose son programme en quelques volumes simples qui fragmentent son échelle imposante pour mieux maîtriser les relations de gabarits avec ses avoisinants. Les revêtements des façades évoquaient déjà une matérialité naturelle dont les teintes et la texture faisaient écho aux labours des champs alentour.
La mairie de Villepreux, satisfaite de ce premier projet, invita Joly & Loiret à concourir pour le futur groupe scolaire destiné à accueillir les enfants du quartier en gestation. Ils proposèrent une école en forme d’enceinte, dont les bâtiments s’alignent aux limites concaves ou convexes d’une parcelle pentagonale. Sur la rue principale, une grande façade courbe définit une placette d’entrée ouverte sur le domaine public. Côté nord, l’école élémentaire est un bâtiment épais, construit sur deux niveaux, avec une circulation centrale qui distribue des salles de classe de part et d’autre. Côté sud, la maternelle est plus mince et haute d’un seul niveau. Ce gabarit fin se prolonge jusqu’à l’angle sud-est pour accueillir les services de restauration. La différence d’un étage entre les parties nord et sud permet de s’accorder aux variations du voisinage et intègre sans heurt ce vaste équipement dans son environnement urbain fragmenté. Le niveau supérieur de l’école élémentaire est constitué d’une charpente métallique dissimulée en façade derrière des épines de bois qui rythment un attique en menuiseries de mélèze. Au-dessus, les toitures végétalisées se terminent par une fine rive de zinc en débord des façades, qu’elle protège du soleil et des intempéries.
Cette enceinte définit une grande cour de récréation en son sein, divisée en deux par un jardin de forme oblongue. Des cheminements paysagés y autorisent les échanges entre la cour dédiée à la maternelle et celle du niveau élémentaire. Sur tout le périmètre intérieur des bâtiments, une légère marquise de verre étudiée par le bureau d’études RFR forme auvent pour abriter les récréations les jours de pluie. En collaboration avec Céline Alvarez, pédagogue, les architectes ont mis au point un dispositif de salles de classe de maternelle jumelables grâce à un système de parois escamotables à des degrés divers. Ces configurations flexibles favorisent l’apprentissage de l’autonomie en réunissant les petits, moyens et grands autour de pratiques ludiques ou artistiques.
Surfaces expérimentales
Forts de leur engagement antérieur dans le projet de recherche « Terre de Paris », qui visait à réutiliser les argiles extraites des excavations du Grand Paris1, les architectes ont d’abord souhaité construire l’école avec ce matériau cru. Cependant, son absence de caractérisation normalisée les a empêchés de lui donner la place prépondérante qu’ils auraient souhaitée. Bien que de couleur ocre évoquant la terre crue, les murs de façade sont faits de briques cuites, selon un calepinage qui marque des lits prononcés, à la manière d’une stratification géologique. En revanche, les parois intérieures entre les salles de classe qui n’exigeaient pas de protection au feu particulière ont servi de terrain d’expérimentation aux architectes. Les différentes expressions de la terre crue, sous forme de simples enduits sur plaques de plâtre, de torchis ou de mur en BTC (brique de terre comprimée) ont été mises en œuvre avec l’appui d’artisans qualifiés. Les enduits ont notamment bénéficié des conseils de Shinsaku Suzuki, maître japonais en la matière.
Ces 500 m2 de surfaces expérimentales, certes modestes au regard de la taille du projet, participent néanmoins à qualifier différemment les salles de cours en leur apportant une matérialité naturelle oubliée des lieux scolaires contemporains, presque toujours définis par des produits de catalogue, solides et lavables, prescrits par une administration prévoyante. À Villepreux, les sols en parquet de bois debout nous éloignent aussi heureusement des habituels (et polluants) revêtements plastiques. On peut regretter qu’en l’absence d’essais en laboratoire, une paroi en terre crue ne soit pas considérée aussi apte à arrêter le feu qu’une cloison en plaques de plâtre, ni qu’elle ne soit jugée assez résistante mécaniquement pour constituer les murs porteurs d’un édifice d’un ou deux niveaux seulement. Les règles prudentielles de notre temps pourraient tout de même accorder un peu de crédit aux très nombreuses expériences positives d’un long passé et faciliter le renouveau de techniques traditionnelles sans exiger des batteries de tests et d’essais normalisés auprès du CSTB. À l’heure où nous devons compter chaque kilogramme de gaz à effet de serre qu’émettent nos constructions, le contexte normatif dans lequel nous agissons offre encore un avantage déterminant aux matériaux cuits.
1. Voir le dossier « Les architectures technocritiques », d’a n° 261, avril 2018.
Maîtres d'ouvrages : Ville de Villepreux
Maîtres d'oeuvres : Serge Joly et Paul-Emmanuel Loiret ; chefs de projet : Charlotte
Siwiorek (concours), Grégory Lalau-Keraly (études et chantier)
Entreprises : EVP, structure ; BET Choulet, fluides et HQE ; BMF, économie ;
Arwytec, cuisiniste ; LASA, acoustique
Surface SHON : 3 606 m2
Cout : 7,3 millions d’euros HT
Date de livraison : 2021