Implanté dans le Loiret au sein de la cosmetic Valley, point névralgique du secteur pour l’Europe, l’entrepôt de Caudalie est l’histoire d’une longue et fidèle relation entre les architectes Collet Muller et une famille d’industriels. Après un premier bâtiment construit à Saint-Jean-de-Braye, l’agence bouscule les codes habituels de la logistique en concevant un silo de stockage entièrement automatisé de 30 mètres de haut par 100 mètres de long, qui se présente telle une vigie dans le paysage.

Finalement, s’il y avait un responsable à chercher dans l’uniformisation du pay­sage logistique, ce serait peut-­être bien le chariot élévateur. Hauteur, largeur des allées, espacement des poteaux : tout dans l’entrepôt, de la volumétrie à la structure, est réglé sur la capacité de mouvement de cet engin. C’est en recourant à un autre système de manutention qu’Antoine Collet et Christophe Muller ont justement pu infléchir les proportions de la nouvelle plateforme logistique de Caudalie basée à Gidy, dans le Loiret. Au préalable et avec le soutien du maire, les architectes ont réussi à déplafonner la fameuse règle de hauteur du PLU, 12 ou 15 mètres, qui s’applique quasi systématiquement dans tous les parcs d’acti­vité de France et de Navarre. 

Le nouveau siège social de Caudalie se distingue donc par son bâtiment de stoc­kage inscrit dans un parallélépipède de 100 mètres de long par 30 mètres de haut et 30 mètres de large, qui fait davantage 

écho au silo à grains dans ce territoire agricole. Exit la structure, c’est le palettier métallique, à la gracilité d’une maquette en allumettes, qui en tient lieu. Il est revêtu d’un bardage métallique nervuré à fortes ondes, à la mesure de l’imposante silhouette. Sous l’effet d’une certaine lumière, sa teinte grise se colore du rose nacré emblématique de l’entreprise de cosmétiques. À l’intérieur, nulle trace humaine, les robots s’activent le long des quatre allées, accrochés à un mât qui se promène le long d’un rail haut et bas. Avec une stabilité au feu qui n’excède pas cinq minutes, le bâtiment déroge aux règles de sécurité incendie. Cependant, l’accès est strictement interdit aux personnes et le logiciel appliqué aux bâtiments logistiques (FLUMilog) a apporté la preuve que, en cas d’incendie, il s’écroulerait comme un châ­teau de cartes. Si l’outil est le fruit d’un tra­vail d’ingénierie, les architectes ont pu régler un certain nombre de détails comme celui de l’acrotère, même s’ils auraient aimé le rehausser un peu plus pour masquer la lisse de sécurité de la toiture (les calculs de prise au vent ne l’autorisaient pas). L’entrepôt réservé à la préparation des colis s’inscrit dans une trame plus classique, des poutres en lamellé­-collé de 40 mètres de longueur espacées tous les 11,40 mètres, qui enferment un vaste réseau de tapis roulants destinés au pesage, à l’étiquetage, à la remise en palettes, etc. 

Une collection de volumes 

Une telle compacité présente l’intérêt d’éco­nomiser la ressource foncière mais aussi de préserver le paysage. La plateforme prend place dans une clairière au milieu des bois, un peu à l’écart de la zone d’activité et d’un gigantesque entrepôt Amazon. L’image qui se dégage est celle d’un grand parc au sein duquel s’articulent trois enti­tés : le stockage, la préparation des mar­chandises et le siège social intégrant, en plus des bureaux et d’un restaurant d’en­treprise, un centre d’appels téléphoniques et des laboratoires de recherche. Ce siège social devait être « extraordinaire » aux yeux du maître d’ouvrage. Les architectes ont fait valoir que c’est la collection de volumes, leur agencement sur la parcelle et leur écriture éthérée qui caractérisent l’architecture de la plateforme logistique. Ils ont pensé mise en scène quand, en règle générale, ces entrepôts sont posés de telle manière qu’on en saisit difficilement l’échelle et la forme. Le plan ­masse – et paysager – soigne l’intégration des par­kings, des bassins et citernes prévus en cas d’incendie et admet une future exten­sion. Tel qu’il a été conçu, l’outil actuel est dimensionné pour anticiper le développe­ment de l’entreprise de cosmétiques d’ici les quinze prochaines années, le groupe ayant fait le choix de réunir en un même lieu toute son activité logistique à l’échelle mondiale. Une chance, cet outil s’est avéré efficace lorsque les ventes se sont démulti­pliées lors des confinements imposés par la crise sanitaire.

Rompus à toutes sortes de programmes, de l’hôtellerie à la décoration en passant par le logement social, Antoine Collet et Christophe Muller pensent qu’il n’est pas essentiel d’être spécialisé ès logistique pour s’emparer du sujet. Certes, ce programme fait l’objet d’une indéniable lourdeur admi­nistrative et la condition pour y parer est de s’adjoindre un bureau de contrôle qui connaît tous les ressorts de la réglemen­tation. Le plus important, et une chance à leurs yeux pour cette commande, c’est une maîtrise d’ouvrage éclairée, à l’écoute des architectes pour déjouer la facilité d’un entrepôt clé en main. Caudalie est aussi propriétaire de son patrimoine et de ses terrains, un gage d’attachement qui peut concourir à relever la qualité de ces pro­grammes. Dessiner une boîte, assumer cette architecture de boîte, c’est aussi com­prendre et jouer des codes et du vocabu­laire de l’entrepôt et de la zone d’activité, selon les architectes. Comme la maison in­dividuelle et le lotissement pavillonnaire, il ne s’agit pas de nier la réalité du contexte, mais bien de remettre en question les auto­matismes de la production logistique.