Les maisons oui, mais groupées : Relire les Trente Glorieuses

Rédigé par Raphaëlle SAINT-PIERRE
Publié le 29/06/2016

Croquis d'André Lefèvre-Devaux et Jean Aubert

Dossier réalisé par Raphaëlle SAINT-PIERRE
Dossier publié dans le d'A n°246

Plusieurs opérations de résidences principales ou secondaires groupées, menées intelligemment par des architectes entre la fin des années 1950 et celle des années 1970, ont offert des alternatives cohérentes à l’étalement urbain tout en respectant le désir d’individualisme de chaque propriétaire. Parmi leurs points communs : un rejet des clôtures strictes. Modestes ou luxueuses, elles n’ont pourtant pas fait école.

Après les premiers lotissements de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, destinés à la nouvelle bourgeoisie et souvent réalisés à la suite du morcellement de parcs de châteaux, les maisons groupées ont concerné l’habitat ouvrier, fréquemment mitoyen, promu par des industriels paternalistes. Les espaces étaient certes réduits, mais un véritable progrès – tant social que sanitaire – s’était fait jour, tout en créant normes et surveillance. Puis, les trop rares cités-jardins leur ont succédé au début du XXe siècle, avec des réussites superbes, tant sur le plan esthétique que social. Par la suite, la France n’a pas manqué d’exemples de beaux lotissements réalisés pour des populations très variées : les 51 pavillons ouvriers des Quartiers Modernes Frugès de Le Corbusier, à Pessac (1924-1926), ou les 53 maisons bourgeoises du hameau de Noailles de Salier, Courtois, Lajus et Sadirac, à Talence (1968-1973), tous deux dans la banlieue de Bordeaux. En ÃŽle-de-France, le couple d’architectes finlandais Heikki et Kaija Siren a réussi à agencer en quinconce 120 bungalows d’une grande qualité architecturale dans la résidence du Menhir à Boussy-Saint-Antoine (1963-1969). On y ressent une atmosphère scandinave de communion avec la nature grâce à ses espaces verts collectifs importants et à l’absence de clôture. Les maisons ne possèdent d’ailleurs pas de jardins privatifs, mais une vaste terrasse. Les voitures sont rejetées dans un parking à l’entrée avant que des allées piétonnières ne prennent le relais.


Le domaine du Gaou Bénat à Bormes-les-Mimosas (Var)

À la fin des années 1950, un promoteur éclairé demande à André Lefèvre-Devaux et Jean Aubert d’établir le plan-masse d’un domaine de 158 hectares avant son morcellement. Au développement anarchique et au mitage systématique de la côte varoise, le duo oppose un modèle d’intégration dans le paysage naturel. Délaissant le parcellaire habituel, ils exploitent la typologie du village. En déterminant des zones constructibles, ils parviennent à garder intacte la majeure partie du domaine.

La première tranche regroupe 240 habitations dans six hameaux répartis autour d’un sommet. Liés à la topographie, les bâtiments sont étagés et juxtaposés en bandes qui suivent les courbes de niveau. L’absence de mode de groupement systématique diversifie les volumes. Entre maisons mitoyennes, pas de clôtures mais des murs paravents qui amorcent des séparations. Lefèvre et Aubert obtiennent une réelle densité sans qu’aucune maison n’entrave la vue des autres ni son intimité.

À ce village s’ajoutent 440 villas individuelles confiées pour la plupart à l’agence. Traitement moderne et inspiration méditerranéenne se marient avec finesse : pureté des lignes, murs massifs en pierre de schiste rouge local surmontés d’acrotères en béton brut de décoffrage et menuiseries en bois. Les toits-terrasses plantés, traités en restanques, prolongent le sol naturel chaque fois que cela est possible. Une telle réalisation n’aurait plus été autorisée dès les années 1970 du fait de l’imposition de couvertures en tuiles romaines dans la plupart des plans d’occupation des sols (POS) locaux. Des lieux de transition, aménagés par les architectes dans leurs moindres détails, favorisent la cohérence esthétique du Gaou Bénat, mais aussi la vie sociale de ses habitants : ruelles, chemins, sentiers menant à la mer, escaliers pavés, placettes. Un exemple pérenne puisque de nouvelles villas continuent d’être construites encore aujourd’hui par des architectes respectant le cahier des charges détaillé et restrictif d’origine, qui définit les principes constructifs et esthétiques et les modalités d’administration.


Le domaine de Brigode et le hameau du Château à Villeneuve-d’Ascq (Nord)

Au début des années 1960, de jeunes patrons de l’industrie fondent une société (la SEDAF) consacrée à la construction d’un domaine résidentiel dans l’ancien parc d’un château. Au style néoflamand répandu dans la région, ils préfèrent une modernité sous influence américaine et scandinave. En une quinzaine d’années, cinq architectes répartissent 500 maisons autour d’espaces verts, d’un lac, d’un golf et des tennis sur 150 hectares. Les hameaux, qui représentent 40 % du projet, regroupent des logements individuels avec une homogénéité architecturale. Le reste est laissé en lots libres avec obligation d’avoir recours à un architecte et validation de la commission architecture. Pour aller au bout de la démarche, aucune limite de parcelle ne doit apparaître et les jardins ne comportent pas de clôture. Un système rendu possible par l’accès contrôlé aux lieux, les habitudes culturelles de la région, la plantation de massifs végétaux et un agencement intelligent des maisons les unes par rapport aux autres. Jean-Pierre Watel y construit une centaine d’habitations, regroupées en hameaux d’une trentaine chacun. Il détermine un type de maison dont les variantes ont une organisation commune : des plans en L ou en T qui dessinent un patio et dont les deux ailes isolent le séjour des chambres. L’orientation des maisons suit les principes bioclimatiques et préserve l’intimité des habitants.

Inspiré par le quartier de Søholm construit par Arne Jacobsen dans les années 1950 à Klampenborg, au Danemark, Jean-Pierre Watel envisage la maison particulière dans un cadre collectif. Pour lui, l’idée de mitoyenneté est valable pour toutes les catégories sociales. Défenseur du principe de loger la même densité de population à l’horizontale qu’à la verticale, il crée dans son agence une section uniquement consacrée à « l’habitat individuel groupé dense Â». Dans le hameau du Château I, à Villeneuve-d’Ascq (1976), sur un terrain de moins de 14 000 m2, il assemble en damier 60 maisons à un étage et à toiture-terrasse. De légers décalages brisent les alignements. Malgré la forte densité, la sphère privée reste totalement protégée des regards des voisins et de la rue, notamment grâce au patio, qui occupe un quart de la surface de chaque habitation. Un stationnement couvert et collectif est prévu à l’intérieur du hameau. Le plan-masse intègre des placettes, des cheminements pour piétons et des venelles.


Le lotissement de Roquebrune à Gages (Aveyron)

Dans un registre modeste, en taille comme sur le plan financier, Jacques Hondelatte et ses associés Jean-Claude Duprat et Michel Fagart imaginent, entre 1973 et 1976, un ensemble de 19 habitations à la lisière d’un village près de Rodez. À l’origine du projet, un groupe de trentenaires, dont plusieurs salariés du Crédit Agricole, se réunissent pour faire appel à un architecte. Leur idée : réduire les coûts de conception et de construction, créer une cohérence urbaine et une harmonie sociale, à l’opposé de la médiocrité des lotissements éloignés des services qu’on leur propose alors. L’implantation des bâtiments en ligne de crête d’une falaise préserve les terres agricoles de la vallée. Leur bardage en ardoise qui enveloppe façades et toitures se fond parfaitement dans le paysage rude et rocailleux, contrairement aux enduits éclatants devenus la norme partout en France. Les limites des jardins privatifs sont esquissées autour des maisons, mais sans clôture et, à partir de la rupture de pente, les hectares restants appartiennent à tous. Au nord, une route distribue les accès aux garages et aux entrées.

La faible distance entre les maisons varie en fonction des accidents du terrain, sans poser de problèmes majeurs de voisinage. Suivant sept variantes, les habitations font entre 90 et 140 m2, auxquels peuvent s’ajouter des vérandas. Elles tournent toutes leur séjour largement vitré et leurs chambres vers le sud et la vue, sans aucun vis-à-vis. La simplicité extérieure n’empêche pas de créer une certaine complexité intérieure et des doubles hauteurs. Rochers et plantations donnent de l’intimité aux terrasses qui s’étendent dans le prolongement du salon. Presque entièrement fermées au nord, les maisons font le dos rond. Leur volume compact limite au maximum les déperditions. Sans vivre en communauté retranchée, les habitants à l’origine du projet sont parvenus à garder le cap, malgré les réactions individualistes qui resurgissent parfois.




Lisez la suite de cet article dans : N° 246 - Juillet 2016

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