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Habiter la terre. L’art de bâtir en terre crue : traditions, modernité et avenir, Jean Dethier, Éditions Flammarion, novembre 2019, 512 pages et 800 illustrations, 95 euros. Ouvrage édité aussi en anglais, américain, allemand et espagnol. Entretien avec Jean Dethier, auteur de Habiter la terre. |
d’a : Comment est née et a évolué votre passion pour « l’art de bâtir en terre crue » ?
Jean Dethier : Les 500 pages d’Habiter la terre ont été nourries par les apports de mes implications et recherches depuis cinquante ans. D’abord au Maroc dès 1967, où j’ai été fasciné par l’intelligence des traditions vernaculaires. J’y ai été impliqué au sein de programmes innovants de réhabilitation de villages pré-sahariens et de construction en terre d’habitats sociaux. En France, au Centre Pompidou, j’ai réalisé en 1981 la première exposition dédiée à l’histoire, l’actualité et l’avenir des architectures de terre. Pour démontrer leur fiabilité, il m’a paru stratégiquement indispensable de la compléter par un « passage à l’acte » : j’ai donc entrepris la construction du premier quartier urbain contemporain d’habitat social d’Europe bâti en terre. Il a été matérialisé grâce aux expertises du CRAterre : le Domaine de la terre, inauguré à Villefontaine (Isère) en 1985. Le succès international reconnu de ces deux actions-pilotes m’a convaincu de la nécessité de publier ce livre offrant enfin un ample panorama mondial couvrant 75 pays. Il est dédié – à parts égales – aux traditions (archéologiques, historiques et vernaculaires) et aux extraordinaires renouveaux modernes et contemporains. Le tout est conçu comme un « manifeste écologique » : afin de bâtir avec ce matériau local 100 % naturel sans consommer d’énergie fossile ni produire de gaz à effet de serre, tout en assurant harmonie, responsabilité civique et confort thermique et affectif.
d’a : Votre livre révèle que les patrimoines bâtis en terre crue sont infiniment plus riches et variés que tout ce que l’on imagine…
C’était l’un de mes deux objectifs essentiels afin de vaincre l’amnésie culturelle ambiante : témoigner – notamment grâce à 800 photos et dessins souvent inédit(e)s – de la stupéfiante diversité et qualité des réalisations les plus exemplaires. Et ce, tant à travers le monde qu’en Europe et en France. La « richesse » que vous évoquez de cet ample corpus patrimonial est due au fait qu’il réunit plus de 250 chefs-d’œuvre d’architecture et d’habitat – mais aussi par extension –, d’urbanisme, de paysagisme, de génie civil (et même d’art) de toutes les époques : de l’Antiquité à nos jours. Cela inclut les réalisations pionnières du XXe siècle et celles – très nombreuses – édifiées depuis l’an 2000. Ces dernières illustrent une remarquable polyvalence de vocations dans de multiples domaines : logement (des villas de luxe aux habitats sociaux), éducation (des écoles aux lycées et campus), tourisme (des maisons d’hôte aux hôtels), médecine (des dispensaires aux hôpitaux), culture (des bibliothèques aux musées) et tertiaire (des bureaux aux centres commerciaux). Ce bilan qualitatif inclut les projets de F.L. Wright ou Le Corbusier, de récents talents tels que Kéré, Heringer et Rauch mais aussi de lauréats du Pritzker Prize dont Wang Shu (en Chine et désormais aussi en France), Foster ou Piano : avec son nouvel hôpital bâti en pisé. Au cœur de cette émulation créative mondiale, la France occupe une place souvent ignorée depuis 1789 (avec Cointeraux) jusqu’à nos jours : celle de Grand Pionnier.
d’a : Vous partagez votre enthousiasme avec d’autres pionniers de ces innovations que vous avez invités à contribuer à votre livre. Était-ce important pour vous ?
C’était pour moi capital : afin d’assurer la plus large crédibilité, attractivité et utilité de ce livre. J’ai donc convié 12 expert(e)s de réputation internationale pour faire état des connaissances les plus récentes et pointues. Et ce en plus des apports des trois fondateurs et pionniers du laboratoire CRAterre, mondialement reconnu : ils ont assumé le rôle clef de « comité scientifique » et leurs témoignages sont essentiels et diversifiés. Notamment pour prouver l’efficacité désormais assurée de ce matériau et ses immenses potentialités. Personnellement, je ne suis pas un « spécialiste omnipotent » de la construction en terre mais plutôt un « généraliste » passionné et militant désireux d’assurer l’approche la plus globale et interdisciplinaire possible, la plus actualisée et porteuse d’avenir.
d’a : Votre ouvrage apparaît comme un plaidoyer argumenté en faveur de la construction en terre, mais vous ne cachez pas non plus les occasionnelles limites et difficultés de sa mise en œuvre aujourd’hui…
Je ne suis pas un « ayatollah » de la construction en terre cherchant à manipuler l’opinion par des affirmations tronquées, douteuses, imprécises ou romantiques. Il était donc vital que ce livre évoque avec franchise et clarté les limites actuelles du genre : divers spécialistes et moi-même contribuent ici à cette transparence.
d’a : Ce livre de nature encyclopédique sera un élément efficace de la prise de conscience des formidables atouts de la terre crue face aux enjeux écologiques contemporains. Mais quels sont, selon vous, les prochains objectifs qu’il faut atteindre pour aller encore plus loin ?
Ces objectifs sont décrits en détail dans le chapitre « Perspectives d’avenir ». De plus, il apparaît que ce sont les puissantes motivations écologiques et éthiques des architectes et ingénieurs, ainsi que celles d’une nouvelle génération de bureaux d’études et de contrôle, de chercheurs, d’enseignants et de maîtres d’ouvrage éclairés qui contribuent désormais au devenir de la construction en terre. Particulièrement impérieuse est la nécessité de généraliser partout la fructueuse stratégie pédagogique inventée par le CRAterre pour assurer les compétences des futurs bâtisseurs. Ces phénomènes sociétaux dynamiques s’avèrent désormais capables de vaincre les obstacles de la bureaucratie, des normes abusives et de la domination des multinationales du ciment et autres matériaux industrialisés. Ce sont toutes ces énergies volontaristes et combattantes cumulées qui assurent l’émergence salvatrice au XXIe siècle des architectures de terre crue : elles sont devenues indispensables pour contribuer à notre transition écologique, au bien commun et à « notre avenir à tous ».
Jean Dethier a publié dans le d’a n° 255 (juillet 2017) un long essai sur les évolutions des architectures en terre en France, en Europe et dans le monde entre 1789 et 1968.
L’auteur donnera une conférence de présentation le vendredi 7 février 2020 à 19 h 30 au Centre Wallonie Bruxelles (46, rue Quincampoix, Paris 4e).
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