L’œuvre vive de Michel Corajoud

Si l’œuvre du paysagiste a été amplement médiatisée, son Å“uvre militante au service de l’enseignement du paysage l’a été plus rarement. Elle est pourtant éminemment fertile, si l’on en croit sa nombreuse « progéniture Â». Au nombre de paysagistes qu’il a formés, s’ajoute leur diversité, les émules ayant triomphé sur les clones. Ce fait rare d’une influence pédagogique non entachée de formatage (mais jalouse de son exclusivité !) paraît du ressort de la contagion, Michel Corajoud s’étant en effet voué durant trente ans à innoculer le virus du paysage. Tout en s’inspirant de la réforme des Unités pédagogiques (dont il débattait avec Henri Ciriani), il a tenu à dissocier l’enseignement du paysage de celui de l’architecture, dans une conjoncture culturelle où cette étanchéité lui paraissait indispensable à la reconnaissance du métier. Ayant pour ambition de « déblayer la question du paysage Â», il a recentré l’enseignement de celui-ci sur le projet, que devaient en principe nourrir les disciplines techniques et scientifiques. Pour aider ses élèves à « franchir le Rubicon du projet Â» et affranchir leur signature d’auteur, il a balisé le processus de conception en en bâtissant la méthodologie. Cette entreprise généreuse a fait de lui un paysagiste.

On ne peut la dissocier de sa rencontre fulgurante avec Jacques Simon, « un soleil exaltant Â», qui l’a initié au monde de la nature au fil de maintes embardées aventureuses et avec qui il s’est associé (1964-1966) avant de rejoindre l’AUA (1969-1974). Aujourd’hui encore, on sent resurgir sa fascination à l’égard de ce fils de forestier, « véritable force de la nature Â», reporter et globe-trotter, ayant « le territoire chevillé au corps Â», « une science innée du vivant Â» et se tenant au plus près des événements de la planète et du spectacle de la nature. C’est en rupture avec l’horticulture et avec une culture pittoresque de la nature, empreinte de «détestation de la ville Â» que Michel Corajoud a refondé l’enseignement du paysage, quitte à occulter le legs historique de la discipline et le positionnement pionnier de quelques-uns de ses contemporains sur d’autres fronts.

Paradoxalement, alors que Michel Corajoud est entré dans le paysage via l’architecture, il n’est vraiment devenu paysagiste qu’à la faveur d’une « divergence Â» émancipatrice. Il s’est forgé « une éthique du paysage Â», celle inculquée à ses élèves au gré de voyages en Espagne et en Italie, en ne se référant pas à la nature elle-même mais à « celle disciplinée ou maîtrisée par l’homme Â». Ce regard électif ouvrait la voie d’une réconciliation de la ville et de la campagne. Référence suprême, les paysages sculptés par le labeur paysan, où « se nichent la beauté, la rationalité et tout l’art de la négociation avec le site Â», sont pour Michel Corajoud les plus émouvants. Le plus bel hommage que l’on devrait rendre à son Å“uvre pédagogique – intriquée à son Å“uvre de paysagiste et dont émane l’école française du paysage –, consisterait à la réinterroger à la lumière de l’actualité de l’enseignement de la ville, du territoire, du paysage et de l’architecture et à mettre enfin en lumière le produit de sa fécondité.

Bibliograhie

- « Michel Corajoud Â», Paris, Hartmann édition/ENSP Versailles, collection « Visage Â», 2000.

- « Grand Prix de l’urbanisme 2003, Michel Corajoud Â», sous la dir. d’Ariella Masboungi, ministère de l’Équipement, DGUHC.

- Paru en 2007-2008 aux éditions ENSP Versailles/Actes Sud, une anthologie de textes de Michel Corajoud, et aux éditions du Pavillon de l’Arsenal, la conférence qu’il y a donnée en juin 2007 sur quatre de ses projets (Cité internationale et parc de Gerland à Lyon, quais de la Garonne à Bordeaux, cour du Maroc à Paris).