Il y a vingt ans tout juste, Jean Bocabeille (BFV architectes) acquiert un terrain à l’abandon sur la commune de Moutiers-Saint-Jean, en Côte-d’Or (Bourgogne-Franche-Comté). À 260 mètres d’altitude, ce village de 260 habitants est situé dans un vallon situé entre Montbard (chef-lieu de canton) et Semur-en-Auxois. Le site est celui d’une ancienne tuilerie, principale activité du village qui s’est éteinte en 1960. Ne subsistent aujourd’hui que des vestiges, une cheminée d’environ 15 mètres de hauteur et l’ancien four, une construction maçonnée alliant flancs en pierre et voûte en brique, le tout en piteux état. Des poteaux métalliques et des tirants ceinturent efficacement la construction existante, prémunissant l’écroulement. Sur le terrain, la végétation a progressivement repris ses droits : un bois s’y est développé spontanément (frênes, chênes et érables) mais aussi des plantes invasives que sont les ronces et les épineuses. La présence d’un puits à réactiver laisse entrevoir la possibilité d’une alimentation en eau. Sur une emprise de 7 x 10 mètres, l’ancien four est rempli des briques de la dernière fournée abandonnée à sa cuisson. Impénétrable, l’espace intérieur offre 40 m2 de surface enserrée entre d’épaisses parois (environ 1 mètre). (...)
Apprendre en faisant
Durant deux décennies, le terrain (60 x 60 mètres) reste en jachère, laissant la végétation prendre chaque jour un peu plus ses aises. Jean Bocabeille, architecte mais également enseignant à l’École spéciale d’architecture, souhaite y bâtir un lieu de vie autonome et s’attelle à la conception du projet qu’il n’envisage pas autrement qu’en autoconstruction. L’idée émerge alors de faire de ce chantier une expérience pédagogique, ce qui suscite immédiatement l’intérêt de ses étudiants, partants pour un mois d’août aux allures d’apprentissage. « Face à l’époque que nous vivons et que nous nous apprêtons à vivre, explique Jean Bocabeille, je ressens aujourd’hui très fortement chez les étudiants cette volonté d’aborder la dimension constructive, de manipuler la matière et de la transformer. Face à cette tendance qui émerge franchement dans notre société, ces étudiants ont saisi cette opportunité. Nous nous sommes retrouvés autour de cette idée. Il a ensuite fallu organiser le chantier et surtout décider de la façon dont serait construit ce bâtiment. »
L’équipe se met progressivement en place, composée de Jean Bocabeille, de son ami Loïc Froger, du fils de ce dernier, Walter Froger, fraîchement diplômé de l’ENSA Paris-Malaquais et de neuf étudiants de l’ESA : Lucas Fricheteau, Souleymane Khouma, Marie-Alix Martinat, Salvador Mendoza, Vithushnan Mohanarajah, Sylvain Rodriguez, Ghali Semlali, Antoine Solano et Suphi Zencirkiran. Durant trente et un jours, l’équipe, nourrie et logée dans une maison située à 1 kilomètre du chantier, va vivre cette aventure constructive. « Leur enthousiasme et leur énergie étaient extraordinaires car sur un chantier, chaque jour était une petite victoire avec la satisfaction immédiate pour les étudiants de voir ce qu’ils réalisaient avec leurs mains prendre forme. C’est quelque chose dont ils ont profondément besoin aujourd’hui par rapport aux enseignements théoriques. »
Le choix du système constructif
Pour construire le projet, le choix s’est porté sur un module unique, léger et manuportable, pierre angulaire d’un système ne nécessitant ni moyen de levage mécanique ni aide d’artisans professionnels. Cinq cents planches de bois Douglas de mêmes dimensions (2 800 x 200 x 45 mm) ont été utilisées et assemblées pour édifier la structure au-dessus de la construction existante. Pour préparer le chantier et anticiper le manque d’expérience de ces néophytes, l’agence BFV a réalisé une notice de montage très didactique, façon IKEA, comprenant 28 étapes. Toutes les pièces et tous les assemblages ont été dessinés en 3D pour préciser leurs dimensions, leurs préparations (percement, angle de découpe) ainsi que leurs positionnements. Ne restait plus qu’à s’y mettre. Menée du 1er au 31 août 2022, cette expérience a été marquée par la canicule, sensibilisant concrètement les futurs architectes à l’impact des conditions météorologiques sur un chantier.
Un chantier pédagogique
La première semaine a été consacrée à consolider l’assise du four constituant les fondations de la construction. Il a également fallu procéder au nettoyage du four et du toit, envahis par des racines profondes de trois arbres qui avaient poussé à cet endroit. Les premiers jours ont été consacrés à la préparation, avec la réalisation des établis de travail et l’installation des outils fixes alimentés par un groupe électrogène (scie à onglet radiale, scie circulaire et perceuse à colonne). Durant les semaines qui ont suivi, l’équipe a fabriqué les différents types de poteaux et de poutres, procédé aux assemblages, réalisé le platelage des coursives extérieures, les sous-faces et surfaces des caissons de la pièce intérieure, l’isolation en paille… Les toilettes sèches « avec vue » ont été encloisonnées dans des murs fabriqués avec des briques récupérées sur le site. Enfin, la charpente a été réalisée, avec la pose des fermes et la fabrication de l’escalier.
Durant les derniers jours d’août, l’isolant et le pare-pluie ont été posés. L’étape suivante était celle de la pose des tôles de couverture en acier galvanisé. L’équipe a décidé d’arrêter ce chantier à ce stade, lequel nécessitait un protocole et une installation préalable pour être réalisé en toute sécurité. Au-delà de l’aventure humaine que leur a offerte ce chantier, les étudiants y ont expérimenté ce qu’ils n’apprennent pas à l’école, le « faire ». « On aurait beau être un bon enseignement, note Jean Bocabeille, dans un atelier entre quatre murs à Paris, cela reste très abstrait. Expliquer les descentes de charges, le fonctionnement d’une poutre ou le principe d’un contreventement sur un chantier en cours est très formateur. Le savoir est partagé de façon très directe, tout comme les hésitations, d’ailleurs. Il y a une dimension très concrète de l’apprentissage. »
[ Maîtrise d’œuvre : Jean Bocabeille ; Loïc Froger, publicitaire, ami accompagnant ; Walter Froger, architecte diplômé de l’ENSA Paris-Malaquais en 2022 ; Lucas Fricheteau, Souleymane Khouma, Marie-Alix Martinat, Salvador Mendoza, Vithushnan Mohanarajah, Sylvain Rodriguez, Ghali Semlali, Antoine Solano et Suphi Zencirkiran (Étudiants ESA) – Maîtrise d’ouvrage : Jean Bocabeille – Surfaces : 70 m2 (35 m2 intérieur + 35 m2 extérieur) – Calendrier : été 2022 (charpente), chantier en cours ]