Bruther architectes, logements à Limeil-Brévannes |
Dossier réalisé par Emmanuel CAILLE Pour cerner la nébuleuse
d’attitudes autour du « simple, c’est plus », on peut procéder par
oppositions, si tant est que l’on ne se définit jamais aussi bien qu’en
réaction à la génération qui nous précède. |
Expressivité/neutralité
La dimension symbolique de l’architecture, héritée de l’histoire académique, semble avoir disparu des références, comme si le postmodernisme l’avait marquée du sceau de l’infamie. Le recul de l’enseignement de l’histoire de l’architecture dans les écoles françaises n’est sans doute pas étranger à cet effacement. De l’architecture sans architectes (au sens de Bernard Rudofsky en 1964), cette génération évacue également le vernaculaire de l’habitat traditionnel pour ne retenir que celui industriel des granges et des entrepôts. Le pragmatisme, érigé en réponse à la crise climatique et à l’hystérie consumériste, lui fait rejeter tout autant les formes non standards et autres blobs, sans doute eux aussi compromis dans la star architecture. Il faut désormais faire profil bas. Pour éviter la séduction du pittoresque vernaculaire, les projets seront de préférence photographiés sous un ciel gris et en vue frontale. Même les noms des agences jouent la modestie : Bast (Bureau Architectures Sans Titre), l’Atelier ordinaire, DATA ou GENS. Il faut à tout prix être neutre, anonyme.
Mais cette quête d’objectivité
n’est-elle pas sans risque ? À force d’évacuer l’expressivité du langage
de l’architecture, on peut tendre à l’essentiel comme tomber dans l’absence
d’architecture. Ceux dont l’attitude ne se fonde que sur une posture ne
sont-ils pas menacés de basculer de la sobriété à l’indigence ? Et n’y
a-t-il pas un paradoxe à vouloir ostentatoirement s’effacer ? Certes,
l’architecture, si elle veut préserver sa force de signification, ne pourra se
contenter de définir un nouveau style, mais il lui faudrait alors, comme
l’écrit Éric Lapierre dans ARCH+,
considérer « que désormais c’est l’architecture elle-même, en tant que
médium et en tant que discipline, qui est le médium, en deçà de tout
vocabulaire surimposé ».
Dès 2007, alors que débute le
chantier de la CCTV à Pékin, Rem Koolhaas proclame l’obsolescence de
l’architecture iconique. Au moment où commence la crise des subprimes, quelques architectes s’interrogent
sur le sens de ces réalisations spectaculaires, sur l’impasse à la fois
théorique et opérationnelle que ces icônes incarnent face à la production
courante. Le fondateur d’OMA préconise désormais une architecture
« générique », neutre. La star architecture apparaît enfin pour ce
qu’elle est : l’arbre qui cache la forêt ; pour quelques réalisations
extraordinaires dans lesquelles l’architecte a la maîtrise totale du projet, la
construction de masse impose aux architectes ses programmes, ses normes et ses
process. Comment dès lors reprendre le contrôle de la maîtrise d’œuvre, si ce
n’est en se focalisant sur les fondamentaux de l’architecture : la
lumière, le seuil, les vues ou un espace qui par sa taille outrepasse le
minimum fonctionnel imposé ? La Biennale de Venise dirigée par Rem
Koolhaas en 2014 ringardise l’architecture iconique et invite à s’intéresser
aux architectures publiques construites dans l’après-guerre par d’obscures mais
talentueux architectes. La maison Dom-Ino
de Le Corbusier, dont la maquette est reproduite à l’échelle 1 Ã
l’entrée de l’exposition, sonne comme un retour à la frugalité, ou tout au
moins aux fondamentaux de l’architecture.
Minimalisme/simplicité
Le minimalisme ne relève pas
d’une sobriété conceptuelle. La simplicité ne cherche pas l’économie de forme
mais l’économie de moyens – qui peut aussi passer par celle de la forme.
Le minimalisme élude la narration constructive et le réel en général.
Antipragmatique, il déploie beaucoup de complexité pour faire disparaître… la complexité
et la trivialité du bâti. Être simple n’est pas être sobre à tout prix, ce
serait plutôt travailler à épurer le langage architectural pour le rendre le plus lisible possible et
lui redonner une force puisée dans sa propre matérialité, comme dans le centre
photographique Le Point du jour conçu
par Éric Lapierre (2008).
Formes libres/trame
Est-ce pour conjurer la
tentation du spectaculaire ? La trame régulière de l’assemblage de
poteaux-poutres devient souvent l’arrière-plan du projet. La grille n’a pas de
limite, ce qu’elle offre en façade est identique à ce qu’elle montre en son centre.
A-t-elle d’ailleurs encore un centre ? Elle génère une écriture blanche et
une flexibilité maximum des usages. Comme la cabane originelle de Laugier pour
l’architecture néoclassique, la maison Dom-Ino
devient l’archétype de toute construction. Ainsi pourrait-on par exemple interpréter le Lieu de vie conçu Ã
Saclay par Muoto (2016). Ne pouvant
plus jouer, comme les postmodernes, avec la dimension symbolique et le
vocabulaire historique de l’architecture, la grille, en réintroduisant la
notion de rythme et de régularité, autorise malgré tout l’accès à une forme de
classicisme.
Euclidien/topologique
Avec cette architecture
neutre, nous sommes désormais dans un rapport à l’espace moins euclidien que
topologique, c’est-à -dire que l’on ne se le représente plus depuis l’extérieur
suivant un point de vue, comme avec la perspective, mais que nous privilégions
une appréhension de l’espace en son sein, comme si nous en étions le
cœur : « Je ne le vois pas
selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans. J’y suis englobé. Après
tout, le monde est autour de moi, non devant moi9. »
C’est moins la dimension sculpturale de l’architecture qui est privilégiée
qu’une appréhension plus phénoménologique par laquelle elle est davantage
perçue comme un milieu.
Obsolescence/ruines
L’importance donnée à la
structure, Ã la fois dans la composition du projet et dans sa mise en valeur
visuelle, notamment en façade, est un gage d’adaptation des usages dans le
temps – à condition que la trame soit suffisamment grande. L’effacement de
la façade et du second œuvre au profit de la structure montrée dans toute sa
matérialité pourrait laisser croire que le bâtiment est d’emblée perçu comme la
ruine qu’il est potentiellement, comme la Maison de la recherche et de
l’imagination à Caen, de Bruther (2013). Mais la construction en
poteaux-poutres n’est pas une religion – d’ailleurs ce courant, tout à son
pragmatisme, ne s’impose pas de lois – et le mur plein doit lui aussi
autant que possible s’exprimer dans sa massivité. Les assauts du temps ne devraient
pas altérer sa matérialité. Une fois rendu à l’état de ruine, il serait encore
de l’architecture et, comme les temples romains ayant servi à l’édification de
basiliques, pourra être reconfiguré et habité indéfiniment.
Détail/rusticité
Face à la standardisation des
éléments du bâtiment et à la perte des savoir-faire des entreprises du secteur,
comment reprendre le contrôle d’une écriture constructive ? Une stratégie
consiste à éliminer autant que possible les artefacts du second œuvre, à laisser
les matériaux aussi bruts que possible, à remettre l’ossature au centre du
projet et à lui donner le maximum d’autonomie, à rendre sa lecture simple, le
soin apporté à ses articulations pouvant tenir lieu de modénature. Comme si l’intelligibilité du processus de
construction était une invitation à son infinie reconfiguration. Une attitude que l’on trouve dans les
réalisations de l’agence Hart-Berteloot avec la médiathèque de
Cappelle-en-Pévèle, de Gens avec le chai du domaine Les Béliers ou de Bast
avec le réfectoire d’école à Montbrun-Bocage.
Écologie/rationalité
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