Entretien croisé : élections ordinales, architectes mobilisez-vous !

Rédigé par Theo NÄSSTRÖM SEGUIN
Publié le 22/02/2021

Christine Leconte, Johannie Bouffier-Hartmann et Jean-Pierre Lévêque

La fin du premier tour des élections ordinales régionales s’est déroulée le 2 février pour élire les représentants du Conseil Régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France (CROAIF). En région parisienne, seulement 16 % de votants se sont mobilisés lors de ce premier tour. Deux listes se présentent : Mouvement des Architectes et Défense profession architecte. Nous avons effectué un entretien croisé avec trois personnes impliquées dans ces élections ordinales de la région francilienne : Christine Leconte (présidente du CROAIF), Johannie Bouffier Hartmann (candidate pour son deuxième mandat avec Mouvement des architectes) et Jean-Pierre Lévêque (issu de la même liste et élu lors du premier tour). Le deuxième tour des élections ordinales se tient jusqu’au 8 mars 2021, 16h, pour les sept conseils régionaux n’ayant pas encore affectés tous leurs sièges. Les candidats ayant obtenus le plus de voix seront élus.


D’a : Quels sont les enjeux de ces élections et le renouvellement des conseils de l’Ordre des architectes régionaux ? Pourquoi les architectes doivent-ils se mobiliser pour cette nouvelle mandature ? 

 

Christine Leconte : Les conseils régionaux de l’Ordre des architectes se renouvellent par moitié tous les trois ans et les candidats élus le sont pour six ans. Le président l’est tous les trois ans. Je suis présidente sortante du CROAIF issue de la liste Mouvement des architectes. L’enjeu de ces nouvelles élections est d’avoir une continuité dans les objectifs que l’on s’est fixés : plus de solidarité entre les architectes, une parole politique renouvelée, des problématiques liées aux territoires. Nous voulons continuer à répondre également aux questionnements de la profession à l’heure actuelle : l’écologie, l’économie des ressources, la réparation de l’existant, la réhabilitation. D’autres problématiques liées à la profession et à la formation sont centrales dans la vision que nous portons : la formation, l’économie des agences, la structuration des agences, la formation de nos jeunes. Il est question d’enjeux macro-régionaux qui sont ancrés dans le territoire. Comment continuons-nous ce travail d’ouverture vers les autres acteurs, qui a été mené depuis six ans. Ce réseau est constitué et ne demande qu’à faire émerger des réponses aux enjeux de notre territoire métropolitain dense. Les architectes ont besoin d’une parole forte par rapport aux problématiques qui les concernent – le logement et l’habitat –  mais également face aux enjeux de l'urbanisme comme par exemple ceux de la mobilité, de la gestion de l'espace public. Nous devons avoir une présence politique forte avec des personnes compétentes. Elles doivent à la fois être expertes dans leur domaine et s’intéresser aux problématiques des architectes dans leur diversité, il y a vraiment un double-rôle à avoir et à assumer en tant qu'élu. Aujourd’hui nous avons besoin d'être portés par le vote des architectes. L’Ordre des architectes représente la profession en France et a une mission politique d’intérêt général auprès des pouvoirs publics, ce qui explique l'enjeu et le fait que les architectes doivent se mobiliser. Le premier des engagements c’est le vote, nous envoyons donc ce message : prenez possession de vos institutions et votez !  

 

D’a : Comment mettre en perspective ce vote pour les élus régionaux avec celui pour les conseillers du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA) ? En quoi voter au niveau régional garantit une continuité de la représentabilité au niveau national ?

 

Christine Leconte : Ce qui émerge du vote au niveau régional permet ensuite de porter des politiques qui seront débattues dans l’instance nationale directement avec l'État. Beaucoup de questions que posent les architectes sont directement liées au Conseil national de l’Ordre : la déontologie, la formation, la mutation du métier mais surtout les prises de positions stratégiques des politiques publiques plus globales et le plaidoyer pour l'intérêt général de l’architecture. Il faut être partie prenante dans les politiques publiques afin d’affirmer le rôle important de l’architecte et ne pas être oublié. Au niveau national, il y a ce rôle fédérateur des acteurs que nous devons assumer et de l’intérêt public propre à la discipline. D’autant plus dans ce contexte de crise sanitaire où la question d’un logement qualitatif émerge à nouveau. Nous sommes plusieurs à débuter un rapprochement entre régions. On parle beaucoup entre conseillers de toutes les régions et il est important de poursuivre ces échanges avec la volonté de rénover l’Ordre national. Pour cela nous avons besoin d’élus moteurs et motivés en région car c’est ensemble que nous y arriverons. Il y a un enjeu local fort ici en ÃŽle-de-France : nous représentons un tiers de la profession ; et à la fois un enjeu à dimension nationale du fait que ce sont les élus régionaux qui voteront pour les élus nationaux en juin prochain.

 

Jean-Pierre Lévêque : Nous sommes dans un période charnière car le siège du président du Conseil national de l’Ordre des architectes sera remis en jeu puisqu’il ne peut pas prolonger son mandat. Il y a plusieurs sièges qui se libèrent et une ouverture est possible pour faire avancer de nouveaux sujets dans cette instance.

 

D’a: Quelles thématiques nouvelles la crise actuelle met-elle en lumière au sein de ces instances ?

 

Johannie Bouffier Hartmann : L’enjeu est l’évolution et la transformation du cadre de vie de nos concitoyens par rapport à la crise sanitaire, climatique, écologique. C’est aussi l’évolution de la profession, des pratiques et conditions d’exercice du métier. Il est important pour les architectes d’utiliser le vote pour légitimer leur parole portée auprès des pouvoirs publics. Mouvement des architectes se positionne comme allant de l’avant pour aborder la nouvelle ère qui se présente à la société et faire de notre diversité une force de changement. Plusieurs thèmes-clés sont portés par notre liste : la solidarité, la question de l’égalité femmes/hommes au sein de la maîtrise d’œuvre et l’ouverture de l’Ordre des architectes. Ces éléments concernent la profession mais, plus globalement, il s’agit d’œuvrer au cÅ“ur du vivant et du cadre bâti avec des enjeux d’harmonie et de respect des territoires. Il faut réinterroger la manière de construire, tout comme la conception des espaces, intérieurs et en relation avec l'extérieur, que ce soit pour le neuf ou la réhabilitation. Il s'agit de réorienter les processus de fabrication du bâti et de la ville, au service de l'humain, habitant, usager, et non à la merci de pressions excessivement financiarisées. Un autre axe majeur que nous portons est le partage et la diffusion de la culture architecturale avec le grand public, les maîtrises d’ouvrage et les élus, les particuliers, les entreprises et l'ensemble des acteurs du cadre de vie avec lesquels nous dialoguons.

 

Jean-Pierre Lévêque : Au travers de tous ces sujets il y a quelque chose qui est transversal, qui concerne la position centrale de l’architecte dans le domaine de la construction et qui se doit d’être porté par l’Ordre des architectes en France. À ce titre, la situation sanitaire nous a fait passer dans un autre paradigme. Les spécialistes du logement et ceux de la ville deviennent pléthoriques et l’architecte a de plus en plus de mal à se positionner en tant que généraliste de la ville et de la construction. Les raisons de cette situation sont liées à un monde de plus en plus complexe. Face à cette complexité, le spécialiste semble rassurer, quand le généraliste parait moins compétent, alors que par son recul, il assure justement la cohérence de l'ensemble. L'architecte, cet acteur central est plus que jamais nécessaire pour articuler ces savoirs, les assembler, et les intégrer. Sans perdre de vue l’objectif majeur qui est l’humain au centre de tout ce que l’on construit et que l'on conçoit. Trop souvent, au travers de nos expériences professionnelles, nous sommes confrontés à cette dilution de la responsabilité vis-à-vis de ces enjeux majeurs que sont la ville, la réhabilitation, le changement climatique. Au centre de ces sujets, il nous semble que la voix de l’architecte est centrale, c’est véritablement ce qui nous habite, et ce que nous voulons porter.

 

D’a : Il y a un renouvellement important de la liste Mouvement, avec de nombreuses nouvelles personnes…

 

Jean-Pierre Lévêque : C’est ce qui m’a semblé intéressant dans la constitution de la liste : la recherche de diversité, de représentativité. En l'occurrence, il y a tout à la fois des personnes qui travaillent en profession libérale, aussi bien pour des particuliers que pour des copropriétés ; certains sont employés par des collectivités territoriales et d'autres sont associés au sein d’agences de tailles importantes. Cette diversité fait la richesse de cette liste et la rend représentative et légitime, c’est ce qui m’a poussé à participer à cette aventure.

 

D’a : Qu’est-ce que vous pourriez dire aux jeunes architectes, et aux personnes qui ne sont pas encore bien aux faits de l’Ordre des architectes ?

 

Jean-Pierre Lévêque : M’y intéressant depuis peu de temps, j’ai pu me rendre compte  que les architectes connaissaient mal leurs institutions. Il y a quelque chose à faire pour communiquer plus largement sur le fonctionnement de ces institutions. Les architectes devraient s’emparer de cette maison commune afin de l’habiter pleinement. Les 16 % de votants au premier tour sont représentatifs de ce peu de connaissances concernant cet outil formidable que peut-être l’Ordre. Les architectes se doivent de changer de position. Ils ne peuvent pas se contenter de subir. Il faut passer à l’action, agir et s’emparer des institutions pour porter leurs voix face à une profession latéralisée. La loi de 1977 a créé ces instances, il est important de les faire vivre tout en comprenant de quoi elles sont constituées et comment elles fonctionnent.

 

Johannie Bouffier Hartmann : Les Ordres régionaux proposent des services à destination des architectes. Par exemple, des matinales d’informations sont organisées régulièrement pour leur permettre de développer des outils dans divers domaines : les nouveaux types de marchés (réhabilitation, commande du particulier…), le calcul du coût horaire et les questions de négociation, les matériaux biosourcés…. L’Ordre des architectes est apprécié par de nombreux architectes qui connaissent son rôle au service de la qualité architecturale, dans l'intérêt public et de la société. Il est important que les jeunes architectes découvrent ces services et l’importance de la représentation des architectes auprès des pouvoirs publics, afin de les éclairer dans l'orientation des politiques publiques, impactant l'architecture. L’Ordre des architectes est également représenté dans les jurys HMONP (Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en Nom Propre) et il accompagne la réflexion sur l'évolution de ce dispositif afin de répondre au mieux aux enjeux auxquels est confrontée la profession.

 

Christine Leconte : Il y a aussi une question majeure de l’adage « seul on va plus vite et ensemble on va plus loin Â». L’isolement et l’entre soi ne sont pas une solution pour défendre la profession. C’est en retirant l’image qui peut être poussiéreuse de ces institutions, en les modernisant, que l’on peut s’en servir afin de se fédérer autour de projets. Il s’agit de porter ce positionnement, si nous ne le faisons pas, la législation qui en résulte ne portera pas les considérations de la profession. Cela est déjà arrivé pour la loi sur l’économie circulaire ou encore la loi ELAN où l’architecte était oublié. La raison de cette omission est simple : nos institutions ont besoin d’être renforcées pour fabriquer des plaidoyers. D'où l'importance de voter pour les bonnes personnes. La représentabilité n’est pas le problème, ce qui est important c’est le message politique que l’on veut porter et comment on le fait. C’est fondamental et ça ne dépend que des architectes eux-mêmes.

 

D’a : Y-a-t-il une nécessité de re-légitimer la parole de l’Ordre ?

 

Jean-Pierre Lévêque: Il nous semble important qu’une revue comme d’A s’empare du sujet car le propre de l’Ordre des architectes ce n’est pas la défense des architectes mais de l’architecture comme un service public. Nous sommes dans une profession où nous sommes souvent les uns contre les autres, dans une compétitivité exacerbée. Il y a cette institution un peu oubliée de tous, au rôle pourtant majeur et au sein de laquelle on peut partager nos expériences, mettre en commun et avancer. Ce qui nous rapproche est cette passion commune pour la qualité de notre environnement construit et les conditions dans lesquelles il se réalise.

 

Infos pratiques sur les conditions de vote

Plateforme de vote en ligne – les identifiants et mots de passe ont été envoyé par courriel aux architectes inscrit à l’Ordre (Objet : Election CROA 2021 – VOS CODES POUR VOTER AU 2nd TOUR).

https://vote.election-europe.com/Elections-architectes/

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