Entretien avec Jacques Lucan : Vers un nouveau vernaculaire

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 30/06/2022

Jacques Lucan

Article paru dans d'A n°300

Constructeur, critique et enseignant, Jacques Lucan s’est, depuis la fin des années 1970, simultanément intéressé à l’architecture anonyme et à l’architecture d’auteur. En témoignent ses travaux sur la reconstruction, puis sur la composition au XIXe et XXe siècles, ainsi que ses livres et ses articles sur les architectes émergents de la fin du XXe siècle. Revenons avec lui sur son parcours au moment de la sortie d’Habiter, ville et architecture, son dernier ouvrage.

D’A : Vous me recevez dans l’agence que vous partagez avec Odile Seyler. Depuis combien de temps faites-vous des projets ?

JL : J’avoue que j’ai commencé tard. Après avoir assuré le commissariat de l’exposition « Eau et gaz à tous les étages » au pavillon de l’Arsenal en 1992, après avoir été rédacteur en chef d’AMC et après avoir enseigné le projet à l’université de Paris 8... Pendant les vingt ans qui ont suivi mon diplôme, je n’ai rien bâti en mon nom, mais j’ai collaboré dans des agences d’amis, notamment celle d’Yves Lion. Et même lorsque je ne faisais qu’écrire, j’ai toujours conservé en moi la volonté de construire. L’occasion s’est présentée quand Michel Lombardini m’a proposé de transformer un bâtiment industriel situé à Paris, rue de Torcy, en logements. Au même moment, Odile Seyler a réalisé sa première œuvre, rue des Lyanes. Nous faisions chacun nos projets dans le même lieu, une situation qui a perduré une dizaine d’années. Et quand nous avons gagné avec Jérôme Brunet et Gerold Zimmerli l’extension de l’hôpital universitaire de Genève, nous nous sommes associés et nous avons monté une SARL. Mais chacun s’occupe de ses propres projets à l’intérieur de cette structure dans laquelle Paola et Thaddée Lucan nous ont rejoints. 


D’A : Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir architecte ? 

Aucune tradition familiale. Mon père aurait certainement aimé que je sois ingénieur, ce qui ne m’enthousiasmait guère. En terminale scientifique au lycée Lakanal de Sceaux, j’avais de relatives facilités en maths, mais plus j’avançais, moins cette matière m’attirait. À la bibliothèque municipale, je suis tombé sur des livres d’architecture qui m’ont fait entrevoir un monde qui m’a très fortement intrigué. 

Aussi, en 1965, après mon bac, suis-je entré aux Beaux-Arts dans l’atelier Arretche. C’était un atelier intérieur où il y avait beaucoup de monde... Jean Castex et Philippe Panerai étaient déjà là et donnaient un certain nombre de cours à ceux qui préparaient l’admission. Ils n’étaient pas encore diplômés mais ils m’ont initié à l’histoire de l’architecture.

Henri Gaudin avait quasiment terminé ses études et il traînait encore à l’école, c’était une grande gueule que l’on remarquait quand il passait...

Dès l’année suivante, nous sommes entrés dans une période de crise : Bernard Huet est parti fonder son atelier collégial, en emmenant une partie des étudiants... Une fois admis, je l’ai suivi au Grand Palais où il s’était installé avec, notamment, Candilis et Albert... C’est lui qui en 1967-1968 m’a dispensé le premier vrai enseignement de projet. Je suis entré chez Albert, que je n’ai vu qu’une fois, le jour où je lui ai demandé la permission de rejoindre son atelier. Il est mort peu de temps après. C’est là que j’ai rencontré Roland Castro. 

Après la dissolution de l’école de Beaux-Arts, j’ai atterri à Paris 6, où j’ai terminé mes études en 1972 avec un diplôme écrit sur Haussmann qui a ensuite été édité par l’Institut de l’environnement. Un travail que je préférerais ne pas relire aujourd’hui... 

 

D’A : Vous vous êtes ainsi d’emblée orienté vers l’analyse, l’histoire, la critique...

Oui, ça me préoccupait, j’étais considéré comme un intello... Contrairement à mes camarades, j’ai peu travaillé en agence pendant mes années d’études. En revanche, le Centre de recherche sur les Monuments historiques m’a confié de nombreuses missions, des relevés de portes, de boiseries, de serrureries de bâtiments anciens, mais aussi d’éléments plus importants, comme la charpente de Saint-Louis des Invalides ou celle de la chapelle de la Sorbonne. Une activité très formatrice qui a contribué à forger mon regard sur l’architecture. 

C’était une époque de grande émulation intellectuelle. On courait aux conférences de Manfredo Tafuri qui venait à Paris invité par Bernard Huet, comme aux cours de Michel Foucault au Collège de France ou de Jacques Derrida, rue d’Ulm. Un bouillon de culture qui m’a incité à lire et, au bout d’un certain temps, à écrire...

 

D’A : C’est à ce moment-là que vous avez commencé à travailler pour AMC, qui était à l’époque la revue de la société des architectes diplômés par le gouvernement (SADG) ?

Des copains d’école m’ont approché pour participer à l’Eupalinos Corner, en 1974, une équipe éphémère constituée pour répondre au concours pour les Coteaux de Maubuée à Marne-la-Vallée. Il y avait notamment Yves Lion, Vittorio Pisu, Jean-Paul Rayon, Fernando Montes et, bien sûr, Paul Chemetov... Puis Édith Girard nous a rejoints. Olivier Girard, lui, s’occupait d’AMC avec Patrice Noviant. Grâce à lui, j’ai pu mettre un pied dans la revue. J’ai d’abord rédigé de courts textes et je me suis occupé de la mise en pages, puis, m’impliquant de plus en plus, je suis devenu corédacteur en chef avec Noviant. 

La SADG, qui est devenue ensuite la SFA, n’avait pas les moyens de maintenir la revue à flot. Elle a cessé de paraître en 1981, puis reprise par le groupe Moniteur, qui était très présent à l’époque sur la scène architecturale. Et Marc-Noël Vigier, son président, m’a demandé de la diriger à nouveau de 1982 à 1988... 

À la SFA, nous étions très libres, bien qu’en conflit intellectuel avec son vice-président, Michel Marot. Pour Histoire et modernité, le dernier numéro que nous avons réalisé, son éditorial était en totale opposition avec les articles et les architectes présentés. Marot était un bon architecte, qui a notamment réalisé la villa Arson, à Nice, Marina Baie des Anges à Villeneuve-Loubet : des projets totalement différents. Il n’intellectualisait pas, ne théorisait pas, il regardait simplement et parvenait à s’imprégner des problématiques et des contextes pour leur apporter une réponse adéquate. Dans l’après-guerre, de nombreux bons architectes comme lui n’ont pas vraiment trouvé la reconnaissance qu’ils méritaient... 

 

D’A : Est-ce pour cela que, plus tard, en 1986, vous avez publié un numéro sur les trente ans de l’architecture française de l’après-guerre ?

C’était un moment où il devenait urgent et nécessaire de regarder en arrière pour dresser un bilan de cette période : l’architecture des grands ensembles, l’industrialisation du bâtiment, l’urbanisme proliférant, les mégastructures. Bruno Vayssière est ensuite revenu sur ces années avec son livre sur le hard french en décrivant comment la France s’est brutalement mise à jour et a équipé son territoire en trois décennies : les Trente Glorieuses. Il analysait les grands ensembles, les infrastructures, les autoroutes, les barrages. Effectivement, c’était violent. 

Moi, je me suis plutôt intéressé à ces architectures que l’on voyait comme anonymes et génériques et qui avaient pourtant été construites par des concepteurs aux visions très différentes. Et vous avez raison, je tenais aussi à réhabiliter certaines démarches... Mais j’ai surtout fait ce numéro parce que ma génération s’est construite sur une amnésie volontaire. Pourtant, il y avait des architectes et des bâtiments de très grande qualité. Jean Dubuisson, notamment, et son musée des Arts et Traditions populaires. Et des personnalités fortes comme Roger Aujame, qui avait été très actif dans les derniers CIAM. Mais personne ne s’en préoccupait. Quant aux Fernand Pouillon, Bernard Zehrfuss et autres Jean Balladur et Jacques Henri-Labourdette, ils étaient presque ostracisés. Paul Bossard, par exemple, n’a plus rien fait d’important après Les Bleuets.

 

D’A : C’est à partir de là que vous avez trouvé une position spécifique dans le débat architectural...
J’ai beaucoup écrit pendant cette période – la critique était devenue ma principale activité –, et regardé autour de moi. J’avais de nombreux contacts en Europe. Notamment à Barcelone avec la revue Quaderns et Josep Lluís Mateo ou avec Arquitecturas Bis et Oriol Bohigas. À Milan avec Lotus et Pierluigi Nicolin ou Casabella et Vittorio Gregotti... En Suisse, surtout au Tessin avec Livio Vacchini dont je ferais l’introduction du catalogue de sa première exposition monographique à Bâle en 1992. 

Je me suis intéressé à tous ces architectes qui émergeaient : Josep Llinàs, Herzog et de Meuron, Hans Kollhoff, plus tard, Eduardo Souto de Moura et Valerio Olgiati, et bien sûr Rem Koolhaas... Avec Noviant, nous avions fait un dossier sur ce dernier dans AMC du temps de la SFA alors qu’il n’avait encore rien réalisé !

 

D’A : Pourquoi cet intérêt pour le travail de rem koolhaas ? 

Difficile déjà à l’époque de ne pas le remarquer. Il est venu à la SFA rue du Cherche-Midi lorsque nous préparions le dernier numéro Histoire et modernité dans lequel nous avons publié ses projets. Je me rappelle que nous avons discuté ensemble à bâtons rompus pendant une matinée entière... Par la suite, quand AMC est passée au Moniteur, j’allais souvent le voir à Rotterdam. Il commençait à construire et à s’occuper d’urbanisme. Nous avons publié l’École de danse de La Haye et IJ-Plein à Amsterdam. 

À l’occasion de l’exposition « Fin de siècle, » montée par Patrice Goulet à l’IFA en 1990, Electa Moniteur m’a confié la publication d’un livre sur une sélection de ses projets. C’est à ce moment-là que mes relations avec lui se sont compliquées. Il m’a donné carte blanche, mais il devait déjà avoir en tête S,M,L,XL, le livre qu’il a publié en 1995 : un catalogue où ses projets étaient classés par taille... Il me laissait faire et, en même temps, il était évident qu’il jugeait que cela ne correspondait pas à ce que devait être un livre sur son travail. Dans l’ouvrage d’Electa Moniteur, la dimension n’était bien sûr pas le critère. J’en étais resté à la continuité entre New York délire, la congestion, les réflexions sur le Junkspace – c’est-à-dire aux années 1978-1993 –, alors qu’il était déjà ailleurs. En effet, dès la sortie de S,M,L,XL, il s’est surtout consacré à la très grande dimension... 

 

D’A : Vous, au contraire, on a l’impression que c’est à partir du moment où vous avez commencé à construire que vous vous êtes recentré sur le banal et l’ordinaire...

Vous avez raison; c’est très certainement lié à mon activité de projet. D’abord, parce que je me suis surtout occupé d’opérations de logements pour lesquelles il fallait répondre à une demande très basique et contrainte. C’étaient effectivement des constructions banales : il fallait loger à très bon marché des populations culturellement très différentes. Mais quand je me retournais vers la Suisse pour voir ce que faisaient Herzog et de Meuron, c’était aussi très prosaïque... Les entrepôts Ricola étaient construits avec des matériaux décalés et faisaient l’objet d’une mise en œuvre parfois très sophistiquée. Cependant, pour le commun des mortels, c’étaient des entrepôts et pas autre chose. Tout comme leur maison en pierre à Tavole, en Italie. Et ce que je voyais à Barcelone n’avait rien non plus de très spectaculaire. Ce qui me confortait dans cette position... 

D’ailleurs, ces allers-retours en Suisse ont aussi grandement contribué à m’orienter dans cette voie. Notamment les discussions et les débats autour de l’« architecture analogue » et l’enseignement de Miroslav Šic à l’ETH Zurich...

 

D’A : Mais il y a quand même eu un basculement au début des années 2000...

Oui. En 2000, nous sommes entrés dans une période de turbulences qui correspondait aussi à l’acmé de la mondialisation économique. On pourrait dater son apparition en 1998 quand, après la publication de S,M,L,XL, Rem Koolhaas a construit la Casa da Música à Porto... 

C’est une icône, et c’est aussi une gifle donnée aux Portugais... Sur la plus grande place de Porto, il jette ce bâtiment incroyable qui ne répond ni au contexte urbain ni au contexte culturel, puisque c’est la ville de Siza et de Souto de Moura... Peu de temps après suivra le bâtiment de la CCTV à Pékin, où on a l’impression qu’il veut faire un bâtiment que personne n’a encore jamais vu. Un truc dont tout le monde se souviendra mais qui, en même temps, ne servira à personne... Ce n’est pas un édifice que l’on peut utiliser, même comme référence, c’est un ovni... C’est un coup invraisemblable. Mais c’est aussi le résultat de sa collaboration avec des ingénieurs comme Cecil Balmond, qui s’appliquaient surtout à brouiller les pistes pour que personne ne puisse comprendre comment leurs édifices étaient structurés. Pour le CCTV, c’est une texture que seuls peuvent appréhender les logiciels qui l’ont produite et les ingénieurs qui ont été capables de les manipuler. Il n’y a plus aucun principe constructif lisible. La Villa Dall’Ava (Saint-Cloud) et la Maison Lemoine (Bordeaux) m’intéressaient parce que leur structure n’est pas immédiatement donnée à lire, mais reste déchiffrable. C’est intrigant et ça pousse à s’interroger sur comment les choses tiennent ensemble. À Pékin, c’est un pur jeu sur la fascination, la stupéfaction, la sidération des spectateurs... Nouvel, avec la Philharmonie de Paris ou le Louvre d’Abu Dhabi, va lui emboîter le pas, et même Herzog et de Meuron avec le stade pour les JO de Pékin ou leur Mikado pour Vitra... 

Une fracture qui n’épargne pas l’œuvre de Peter Zumthor. Ainsi, les chapelles Sainte-Bénédicte (Alpes suisses, 1988) et Saint-Nicolas-de-Flüe (Wachendorf, Allemagne, 2007), pourtant proches par leur taille, s’opposent en tout point. La première avec son enveloppe de tavillons de mélèze fait appel à une géométrie savante – son plan en goutte d’eau – pour se fondre parfaitement dans le paysage. L’autre ne tient compte de rien : un bloc de béton brut jeté dans les champs avec une violence inouïe... 

 

D’A : Mais n’assistons-nous pas depuis quelque temps à un retour à l’ordre ?

Si, cette démesure semble avoir pris fin, comme si Rem Koolhaas, commissaire de la Biennale de Venise en 2014, avait sifflé lui-même la fin de la récréation, avec son exposition sur les fondamentaux... D’ailleurs, en France, la critique revient avec beaucoup d’attention sur des architectures moins expressives, plus tempérées et la revue d’a a grandement contribué à ce retour. 

On est revenus à un néo-vernaculaire. Le cas de Bernard Quirot est en ce sens exemplaire : un ancien élève de Ciriani plutôt néomoderne au début de son activité, qui glisse de manière presque imperceptible vers une architecture très inscrite dans son contexte et cherche à employer des matériaux locaux... 

Le parcours de Perraudin est encore plus explicite. Il a commencé en étant fasciné par Norman Foster et le high-tech, et il est devenu depuis plusieurs années l’architecte de la pierre brute... 

Quant aux derniers Pritzker... Que ce soit Lacaton et Vassal, qui ne font pas de recherches spatiales très élaborées, utilisent des matériaux que l’on trouve partout et préfèrent convertir des bâtiments existants plutôt que d’en construire des neufs, ou Francis Kéré, qui s’est surtout illustré en construisant de petits équipements au Burkina Faso, où il réactive des techniques constructives rudimentaires... Toutes ces démarches, bien que très différentes, dessinent globalement une tendance forte aujourd’hui. C’est un phénomène qui existe déjà depuis un certain temps, et que je vois comme une réaction à l’architecture hors-sol du début des années 2000. 

 

D’A : Avez-vous préparé vos étudiants à cette réalité ? 

J’ai commencé à enseigner en 1981 quand Paris 8 était encore rue du Chevaleret, dans le bâtiment de la SEMAPA, avant que l’on ne migre rue Rébeval, et j’ai ensuite participé à la création passionnante de l’École de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée. Puis, quand j’ai été nommé en 1997 à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, on m’a surtout demandé de donner des cours magistraux, qui m’ont permis d’écrire Composition, non-composition, paru en 2009. 

À UP8, rebaptisée Belleville par la suite, j’étais assez isolé. Je ne suis entré ni dans le groupe UNO, ni dans celui d’Huet. J’enseignais en quatrième et en cinquième année, et je n’ai jamais eu de méthode comme Ciriani pouvait en avoir une. Du genre le 30 x 30, les 25 logements, etc. : des exercices obligatoires qui scandent le cursus comme autant d’épreuves initiatiques, comme si aucun salut n’était possible en dehors de ce parcours. 

Si les étudiants venaient avec moi, c’était pour chercher autre chose. J’essayais plutôt de comprendre pourquoi ils tentaient telle ou telle solution, pour mieux les guider ; de discuter avec eux sur les conséquences impliquées par leurs choix, et de les aider à rendre leurs propositions plus cohérentes et plus fortes : c’était un accompagnement plus qu’une transmission. Ils se souviennent sans doute que l’on pouvait parler d’architectes sans les regarder comme des modèles et questionner librement leurs démarches. C’est comme ça que je me suis retrouvé avec des étudiants comme Éric Lapierre, Pierre-Alain Trévelo, Alexandre Thériot ou Julien de Smedt... 

 

D’A : Mais qu’est-ce qui vous intéresse, fondamentalement ? 

J’ai toujours essayé de comprendre ce qui animait la démarche d’un architecte. Même lorsque je parle de Brunelleschi ou de Bramante, je cherche à isoler la conception de l’espace qui est propre à chacun. Elle se définit par la manière dont ils prennent en compte une multitude de contraintes, donnent la mesure d’une étendue, esquissent une configuration... Chez les architectes de cette période, ça passe forcément par une réflexion sur l’ordonnance, sur les proportions, sur la symétrie... Alors que, au XXe siècle, à partir des années 1920, la symétrie laisse la place à quelque chose qui est de l’ordre de l’équilibre des masses. Et les plans centrés sont balayés par le plan libre. J’ai développé dans mon livre paru en 2015, Précisions sur un état présent de l’architecture, cette réflexion sur les démarches architecturales contemporaines.

 

D’A : Qu’avez-vous voulu faire en écrivant habiter ? 

J’avais envie d’écrire un livre sur l’habitat depuis longtemps, me disant que c’est un sujet qui est presque au-delà de l’histoire. Quand je m’y suis attelé, je ne savais pas très bien par où prendre le problème. La première partie est plutôt anthropologique, tourne autour de la question de ce que j’appelle le « temps perdu », la fascination souvent nostalgique pour une architecture vernaculaire qui est en voie d’extinction dès le début du XXe siècle. Disparition intrinsèquement liée au fait que, 

lorsqu’on construit un édifice aujourd’hui, les matériaux ne sont plus locaux. C’est ce que rappelle Le Corbusier quand il analyse la maison bretonne et qu’il constate que, le jour où le chemin de fer est arrivé, les toits sont devenus des toits d’ardoise, ce qu’ils n’étaient pas auparavant. 

La question du logement collectif pour le plus grand nombre est cependant le sujet central de l’ouvrage. C’est une question nouvelle qui n’a été posée qu’à la toute fin du XIXe siècle et au début du XXe... 

Si on regarde les typologies, ce qu’est un logement collectif aujourd’hui en France, on se rend rapidement compte qu’il est essentiellement constitué par des pièces : des chambres qui se distinguent du séjour, et des salles de bains qui sont indépendantes dès les années 1920, comme en témoignent les HBM de la ceinture parisienne. 

Mais cette partition, vous la retrouvez à Berlin et dans toute l’Europe. Personne, au fond, ne sait qui l’a inventée. On ne peut pas nommer un architecte qui aurait mis au point cette typologie. En conséquence, j’ai posé l’hypothèse que la production du logement collectif est une production vernaculaire moderne.

 

D’A : Mais ce logement n’est-il pas l’adaptation du logement bourgeois du XIXe ?

Mais qui a inventé le logement bourgeois du XIXe siècle ? Les types, personne ne les invente, c’est une production anthropologique, sociologique, économique, sans auteur... 

Le plan libre ne s’est pas développé dans les logements collectifs, mais dans les villas et les maisons exceptionnelles. C’est la grande antinomie de l’histoire de l’architecture du XXe siècle... 

On est confortés à un vernaculaire moderne, ce qui est un paradoxe. Quand on regarde les cellules des grands ensembles de l’après-guerre, elles sont toutes semblables. Quand c’est Dubuisson qui les dessine, c’est mieux, mais c’est essentiellement la même chose... Dans toute l’Europe, les logements sont identiques, et c’est encore plus flagrant quand on compare les logements traversants. Il y a des variations, bien sûr, mais c’est toujours la même disposition. Les architectes/auteurs reprennent ainsi des types qu’ils n’ont pas inventés, comme le faisaient les anonymes du temps perdu. Bien sûr, c’est aussi une manière de reposer la question de l’innovation qui, dans le domaine du logement collectif, est rare et, souvent, n’est pas reconduite.

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