Storytelling
En politique, à défaut d’idées, on préfère aujourd’hui s’attacher à des candidats dont la vie tient lieu de profession de foi. En économie, on attire les investisseurs avec des concepts fédérateurs résumés en quelques images édifiantes, incarnant l’espérance d’un avenir radieux. Cette manière de représenter la complexité d’un monde chaotique sous forme d’une histoire simple rassure ; baptisée « storytelling », elle est issue des techniques du marketing communicationnel.
Or l’architecte se définit justement par sa capacité d’abstraction, lui permettant d’imaginer des espaces virtuels puis de traduire ces images mentales en une représentation compréhensible par tous. Et pour que celle-ci soit réellement partageable par tous les acteurs de la société, il faut aux architectes un autre talent, celui de faire rêver à la vie qui va animer ces espaces. En d’autres termes, il leur faut construire une histoire, une fiction dont ils espèrent convaincre qu’elle deviendra réalité. Les si séduisantes images numériques produites lors des concours (d’ailleurs conçues avec les mêmes logiciels que pour le cinéma d’anticipation) sont à elles seules des promesses de vies meilleures. Ce pouvoir, conférant aux architectes un rôle proprement social, est aussi celui qui fait naître en eux cette tentation démiurgique qui leur a toujours été reprochée. Mais avec cette propension actuelle à tout réduire à une mise en récit simplificatrice, certains ont compris qu’il y avait là une place à prendre. Plutôt que de s’appuyer sur un savoir technique qui leur échappe de plus en plus, n’est-il pas moins risqué et plus gratifiant pour les architectes de se grimer en directeur artistique, et pour les plus habiles d’entre eux en gourou des mutations contemporaines ? Élus, développeurs ou financiers ont compris le parti qu’ils pouvaient tirer de ces nouveaux metteurs en scène du territoire.
Ce sont les mécanismes de ces nouveaux enjeux que nous avons essayé de décrypter dans le dossier de ce numéro.
Emmanuel Caille